Le colonel Ordioni et les Roumains/Valaques du Timok/Homolje

Blog • La paysanne du Danube

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Pour compléter le tableau des Roumains et apparentés, voici une lettre datant du 13 mai 1921 envoyée par le président de la Commission de délimitation de la frontière serbo-croato-slovéno-bulgare à sa fille. Elle évoque les Valaques de la région de Homolje-Timok. Précisons que le traité de Trianon n’a pas donné suite aux revendications de la Roumanie concernant cette région, des revendications qui n’ont pas été réitérées ultérieurement. Le tableau de la « paysanne du Danube » n’est guère à son avantage. De nos jours encore, les habitants de cette région, qui proviennent de plusieurs vagues de migration au XVIIIe et début du XIXe siècle, se disent Valaques quand ils parlent en serbe et Roumains quand il parlent en roumain.

« Si j’ai bonne mémoire, je t’ai envoyé au cours de mes pérégrinations dans les Balkans, des descriptions aussi détaillées que je pouvais le faire sur les costumes des femmes ; je t’ai même apporté quelques échantillons de blousons albanais et roumains, un costume entier de jeune fille bulgare, etc. Je t’ai parlé du principal vêtement de la femme macédonienne, une dalmatique ; à Uskub j’ai eu l’occasion de te parler du costume élégant de la femme mirdite, ou catholique, du Nord albanais avec sa culotte bouffante, sa grande tunique et son voile blanc. De Constantinople je t’ai envoyé une description du vêtement de la femme turque avec son férédjé, son yachmak ; d’Athènes je n’ai pas oublié de te parler de la femme grecque et de son costume qui tend de plus en plus à s’européaniser. Il me reste à faire défiler devant tes yeux divers accoutrements des paysans du Danube qui n’ont aucun cachet spécial et qui ne méritent une mention particulière qu’à titre documentaire et pour compléter la galerie des costumes balkaniques, extrêmement variables.

Il me reste à te parler de la « paysanne du Danube », qui n’est pas elle-même d’un puissant intérêt, mais c’est dans le but de compléter notre collection.

Ma mission vient d’étudier surtout la vallée du Timok, moins importante que la riche vallée de la Morava, sa voisine. On m’a parlé si souvent de cette vallée, des beaux soldats qu’elle fournissait et que l’on avait groupés dans la division du Timok, que je n’étais pas fâché de voir cette vallée qui devait, dans une partie de son cours, servir de limite entre la Serbie et la Bulgarie, les éternelles ennemies.

Le terrain qui forme cette vallée est en effet riche par lui-même, mais il n’est pas cultivé. Les habitants sont tous des Valaques, et non des Roumains comme on le disait, mais ils sont chétifs, maladifs, rabougris et présentent et présentent des aspects misérables. De plus, ils sont paresseux et ne demandent à la terre que le strict nécessaire pour leur subsistance alors qu’ils pourraient obtenir bien davantage. Population pastorale, elle vit surtout des produits de ses bestiaux.

Les moutons y sont beaux, énormes, avec une petite tête et donnent une laine presque soyeuse tellement elle est fine. Aussi les femmes travaillent-elles cette laine avec un certain goût et confectionnent des étoffes qui ne manquent pas d’un certain cachet ! mais elles sont trop voyantes, trop criardes et ne pourraient faire l’affaire de nos élégantes Françaises.

La femme travaille énormément dans cette vallée patriarcale du Timok, mais elle est de petite taille et fort laide. On dirait une race abâtardie ; quelques-unes sont naines, maigres et malheureuses. J’en ai vu de toutes petites qui vont aux champs, conduisant de jeunes pourceaux, filant la laine tout en marchant et parfois s’occupant même d’un tout petit enfant, minuscule mais marchant déjà par ses propres moyens, avec des jambes à peine perceptibles.

Voyons la toilette ! Ici pas de mode et les malheureuses que j’observe n’ont pas envie d’élever leur couturier à hauteur d’un génie, ne savent même pas que les femmes du monde occidental, leurs sœurs, sont esclaves de la mode. Elles continuent à s’habiller comme leurs mères, leurs aïeules et tout se fait dans des villages perdus : le mouton donne la laine qui, cardée, filée, tissée, etc., devient le costume aux couleurs éclatantes de ces jeunes filles et jeunes femmes.

Ce qui frappe surtout, c’est la jupe-cloche, forme crinoline, qui est très courte ; à peine dépasse-t-elle le genou ! mais le bas de la jambe est emprisonné dans de gros chaussons de laine aux couleurs également très voyantes et qui doivent tenir très chaud ; le pied disparaît dans une sorte de chaussure faite en peau de bête, très mal préparée mais souple et avec laquelle on ne doit pas attraper de cors aux pieds.
Par-dessous cette jupe passe une chemise blanche et par-dessus une espèce de tablier divisé en deux sur les côtés, ouvert pour permettre, je suppose, de mieux travailler et de mieux danser. Le tout bien dégagé de sorte que les jeunes filles ne sont nullement gênées dans leur travail, leur marche et leurs amusements.

Quelques jeunes filles (…) ont arboré lors des fêtes de la Pâque orthodoxe, célébrée cette année le 1er mai, le costume d’été qui m’a paru plus seyant, quoique ample avec des manches largement ouvertes par où l’air et le soleil peuvent circuler librement. Mais quelle différence avec les robes-fourreau des femmes occidentales !...
Le haut du corps est maintenu dans un corsage ayant la forme d’un boléro, qui n’a rien de remarquable.

Sur la tête, les cheveux sont maintenus par un foulard, de couleur jaune de préférence, que les jeunes filles nouent avec une certaine grâce, un charme réel. Même dans ces pays, bien primitifs, la jeune fille essaie de plaire, d’être attrayante, de trouver le mari, le compagnon de sa vie qui doit faire sa destinée.
attrayante, de trouver le mari, le compagnon de sa vie qui doit faire sa destinée. »