Hommage à Stéphane Karo : les musiques des Balkans perdent l’un de leurs premiers ambassadeurs

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Stéphane Karo nous a quittés le 15 novembre. Ce pionnier du renouveau des musiques balkaniques était peu connu du grand public, qui lui doit pourtant la découverte du groupe tsigane roumain Taraf de Haïdouks à la fin des années 1980, puis des Macédoniens de Kočani Orkestar et des Roumains de Mahala Rai Banda. Hommage.

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Par Yougosonic

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Musicien belge d’origine hongroise, curieux et touche à tout, Stéphane Karo fut de diverses aventures culturelles dans le Bruxelles de la fin des années 1980 : on le retrouvait autant sur certains morceaux de l’excellent groupe new wave belgo-israëlien Minimal Compact (du futur DJ Morpheus), que dans une formation de musique arabe, ou encore dans le Mukalo, un café interculturel au cœur du Matonge, le « quartier congolais » de la capitale belge. Les « musiques du monde » n’étaient pas encore à la mode, on assistait aux prémisses dans une sorte de bohème underground en quête de nouvelles sonorités. Stéphane, son complice d’alors, Michel Winter, et le label indépendant Crammed Discs en furent des pionniers...

Le Katmandou de Stéphane Karo, ce fut le village de Clejani en Roumanie, où il se rendit un an avant la chute de Nicolae Ceaușescu, pour tenter de rencontrer les « Lautari de Clejani », qu’il avait découvert par hasard, mais avec enthousiasme, via le disque éponyme, édité par Radio France quelques années auparavant dans une perspective ethnomusicologiste. Après moult détours et chausse-trappes, il finit par rencontrer les musiciens, incarnation d’un riche héritage musical peu corrompu par les influences extérieures et la variété.

Séduit par cette intégrité musicale autant que par leur incroyable talent, il enregistre le groupe. Peu de temps après la chute du conducator, il retourne en Roumanie et décide de faire tourner les musiciens. À Bruxelles, on le prend pour un fou. Un banquier belge décide pourtant de soutenir le projet via un prêt. La suite est connue : le groupe de musiciens villageois prend le nom de Taraf de Haïdouks et connait un succès planétaire, contribuant au boom de la musique tsigane et plus globalement à celui des musiques du monde.

Stéphane Karo devient tout à la fois producteur, directeur artistique, manager, « mentor », mais aussi complice, ami, soutien, et parfois « assistant social » du Taraf de Haïdouks chez qui il se rendait régulièrement. Il apprend le roumain, épouse une habitante de Clejani, Margareta, qui prend la place de co-manageuse du groupe. Sans paternalisme déplacé ni conservatisme artificiel, et dans un dialogue respectueux avec les musiciens, il s’est toujours efforcé de conserver l’authenticité du groupe.

Lucide sur certaines dérives de la « mode tsigane » avec ses soirées « où les Tsiganes ne vont pas » et qui masquent, sous un voile de branchitude, la discrimination et le racisme qu’ils continuent de subir, Stéphane Karo fut aussi un militant infatigable de leur cause, comme de bien d’autres. Altermondialiste, citoyen du monde, des notions qu’il pratiquait concrètement, il était aussi un esprit libre, un homme intègre, généreux et humble, aux dires de tous ses amis qui le pleurent, notamment en Roumanie et en Macédoine, où personne n’a oublié son soutien et son amitié. Paix à son âme.