Benjamin Fondane

Ecrits pour le cinéma. Le muet et le parlant

|

Textes réunis et présentés par Michel Carassou, Olivier Salazar-Ferrer et Ramona Fotiade.

Lorsqu’il meurt, en octobre 1944 dans une chambre à gaz de Birkenau, Benjamin Fondane a seulement quarante-cinq ans. Il laisse cependant une oeuvre importante de poète, de dramaturge, d’essayiste, mais aussi de cinéaste - la part la plus ignorée de son oeuvre bien que difficilement dissociable du reste.

Déjà, en 1928, il écrivait à propos de ses ciné-poèmes : « Une partie de moi-même que la poésie refoulait vient de trouver dans le cinéma un haut-parleur à toute épreuve. »
Ayant perdu toute confiance dans les mots, Fondane s’enthousiasme pour le muet. Mais le film devient sonore, parlant - bavard disait Fondane -, soumis de plus en plus à des impératifs économiques. Cependant, entre 1934 et 1936, il lui est permis de faire quelques expériences cinématographiques comme il les a rêvées. Il tourne notamment Tararira. Le film scandalise le producteur qui refuse de le distribuer.

Ses écrits sur le cinéma sont ceux d’un homme qui se faisait l’idée la plus haute du septième art et qui, ayant vécu comme une tragédie le passage du muet au parlant, en apporta l’analyse la plus pénétrante et la plus lucide.

Extrait du livre :
Entracte ou le cinéma autonome

« On argue qu’au cinéma tout est affaire de technicité. Un beau film est un film bien fait. Ici, il convient de rire. Il n’y a que les enfants, les pions et les vérificateurs, pour définir un beau poème : Nous avons mis le métier à l’eau. Ce cadavre a été à peu près complètement éliminé en littérature, en peinture, en musique. Au cinéma, il se porte fort bien. Le cinéma attend Rimbaud. »
Joseph Delteil, Choléra.

Il n’est pas si mauvais quand on n’a rien à dire de recourir à d’autres qui en savent plus long. Le système à la mode parmi les « modernistes » qui est, pour une oeuvre scénique, de solliciter le plus grand peintre, le plus grand musicien et le plus grand chorégraphe, système dangereux qu’instaurèrent les ballets de Diaghilev (qui sut avec succès, de tous ces disparates, tirer de l’homogène) n’est pas cependant à dédaigner alors qu’il s’agit de gens sachant à peine leur métier et dont une compétence si étrangère qu’elle soit à leur art, peut surfaire les intentions et la valeur. Picasso, il est vrai, écrasa les ballets de Massine (il faut qu’on écrive quelque jour sur la mort du ballet par la peinture) ; mais, aux ballets Suédois où il n’y a ni souffle, ni ballet, et il y a au moins les décors d’un Fernand Léger ou d’un Chirico, la musique d’un Satie, le scénario d’un Blaise Cendrars. Ainsi Relâche farce sans goût ni sel de Picabia nous valut, avec toutefois un récit de Picabia, Entracte de René Clair.
Entr’acte fut une vraie tranche d’art entre les deux tartines d’un sandwich rassis qui nous fit goûter d’assez mauvais danseurs se moquant de la danse, de la musique, de l’éclairage, de l’art, du public et d’eux-mêmes. Picabia vint saluer en automobile un public qui, à son grand étonnement, cessa de siffler pour l’applaudir. Il rentra tout blême dans un néant d’où il venait à peine de sourdre. Il crut que tout était perdu ; rien ne le surprit donc davantage que le triomphe de René Clair : c’est le seul qu’on siffla véritablement, le seul qui méritait d’être sifflé ; on ne trompe jamais le public ; il y avait vraiment dans le film tous les signes de l’effort, du grand art et de l’honnêteté. Avant de créer le monde - car je suppose qu’il le fera un de ces jours - René Clair voulut le voir ; il n’en dénombra pas les richesses, mais les matériaux, soupesa les masses, jaugea les énergies, découpa avec des ciseaux d’ange les paysages et les mit dans son gousset. Il n’est donc pas surprenant si le monde, à l’instant même, perdit dimensions, épaisseur, opacité et position verticale ; dans ce voyage à travers la vieille création des six jours déjà ranci, nous vîmes le Tout, bousculé, brouillé, emmêlé à force de vitesse, d’une vitesse que le vacarme de Satie rendait étourdissante.

Achetez ce livre en ligne