Bosnie-Herzégovine : les somuni, ces petits pains qui embaument les soirs de ramadan

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Le mois du ramadan est particulier à Sarajevo. Avant l’heure de l’iftar, le repas pris au coucher du soleil, l’odeur des somuni, ces petits pains parsemés de graines de nigelle, flotte sur le quartier ottoman de Baščaršija. Chaque soir une longue file d’attente se forme devant la boulangerie Poričanin, la plus réputée de la vieille ville.

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Par M. Beker.

La boulangerie Poričanin fait durer la tradition depuis plus de 90 ans. À chaque ramadan, toute la ville se presse dans cette boulangerie de Baščaršija, pour acheter les fameux somuni, ces petits pains traditionnels recouverts de graines de nigelle.

Les Poričanin sont boulangers depuis 1923. Muharem Poričanin, l’oncle de Mehmed, a commencé le métier et est devenu artisan indépendant. La boulangerie de Baščaršija, connue de tous à Sarajevo, mais également dans le pays et la région, a ouvert en 1953. L’entreprise est passée de génération en génération et ses produits, notamment les somuni, symboles du ramadan, ont toujours satisfait ses clients.

« Mon oncle n’avait pas d’enfants. Il est décédé à l’âge de 60 ans et par un concours de circonstances j’ai commencé à travailler au magasin avec ma tante qui est morte deux ans et demi plus tard. Depuis lors, j’ai repris l’entreprise familiale. Nous l’avons modernisée, mais nous nous efforçons de faire perdurer la tradition. Nous possédons des fours modernes, mais également un four à bois, sans lequel il ne serait pas possible de faire les vrais somuni », affirme Mehmed Poričanin, propriétaire de la boulangerie.

La boulangerie a fonctionné à plein régime jusqu’à la guerre et, même durant cette période elle ne s’est pas arrêtée, malgré des conditions de travail difficiles. Comme tous les autres bâtiments de la ville, la boulangerie de Mehin a subi des dommages. Elle a été rénovée en 2000 et depuis elle fonctionne de nouveau comme avant. Dix-huit personnes y travaillent désormais. Tous sont comme une petite famille.

« Le secret de mon entreprise est la présence de mes enfants à mes côtés, à la fois au niveau de l’entreprise et de la phase de production. J’essaie de travailler le plus possible en suivant les méthodes anciennes, celles transmises par mon oncle, mais aussi de moderniser la production. Mon produit phare est le somun, qui est caractéristique de cette ville et de l’ensemble de la Bosnie-Herzégovine. Les somuni de Sarajevo sont particuliers, ils peuvent peser jusqu’à 500 grammes. Néanmoins, depuis la venue des ćevabdžinice, ces restaurants où l’on mange les ćevapi, on nous demande de faire des somuni plus petits, de 300 grammes environ », déclare Mehmed.

La boulangerie fonctionne avec succès depuis plus de 60 ans. Mehmed est à la retraite depuis plusieurs années et le commerce a été repris par sa fille Amela Mujezinović.

« Honnêtement, il n’y a pas de recette particulière, seulement la sensation qui s’apprend en le faisant. Je l’ai apprise de mon oncle. La caractéristique du somun est sa pâte molle, assez froide, qui n’atteint pas une complète fermentation, de sorte qu’il cuit en une minute », explique Mehmed.

Des somuni nulle part comme à Sarajevo

La boulangerie est ouverte 365 jours par an. Parmi les employés règne une ambiance familiale et durant le ramadan, le commerce prend un charme tout particulier, lorsqu’une longue file d’attente se forme devant la boutique.

« Je suis fier et très heureux de recevoir chaque client, car depuis ma naissance, je suis dans cette entreprise. Bien qu’ayant fait une école secondaire d’électrotechnique, je suis resté fidèle à l’artisanat de mon oncle et tout cela grâce à de grands sacrifices, et surtout grâce à mes enfants », ajoute Mehmed.

Amela a repris l’entreprise en 1995. Après s’être inscrite à la faculté d’Économie, elle s’est rendu compte que ce n’était pas ce qu’elle voulait faire et son amour pour l’artisanat au sein duquel elle a grandi a pris le dessus. Elle a commencé par des tâches de nettoyage et assume aujourd’hui la gestion de l’entreprise.

« C’est ma propre décision, par amour pour mon père avant tout car il n’avait pas de fils, et également par amour pour cet artisanat, car je suis dedans depuis mon plus jeune âge. J’ai souvent regardé mon père travailler », affirme Amela. Les débuts n’ont pas été faciles, mais son investissement et sa persévérance lui ont permis de réussir, comme l’affirme son père, mieux que lui.

« C’était difficile car il y avait beaucoup de choses que je n’arrivais pas à comprendre. Je pensais pouvoir faire autrement, peut-être mieux et plus vite et il m’arrivait d’entrer en conflit avec mon père, jusqu’à ce que je comprenne que la meilleure façon de travailler était celle de mon père et de son oncle. Je m’efforce depuis de préserver la tradition », raconte Amela, en soulignant que son père est toujours d’un grand soutien.

Faire la queue pour les somuni, le charme du ramadan

Amela a un fils et une fille et encore deux sœurs. Elle espère qu’un jour certains d’entre eux réussiront à poursuivre ce travail. Amela et son père apprécient particulièrement la période du ramadan, qui apporte une ambiance spéciale à leur travail. Les gens attendent une heure ou deux pour acheter les somuni de l’iftar, cuits dans le vieux four de façon traditionnelle.

« Cela signifie beaucoup et c’est un sentiment très spécial, parce que ce n’est pas un détail. La file d’attente transporte avec elle une émotion particulière. Une fois, j’ai tenté de donner à un ami de mon père ses somuni alors que ce n’était pas encore son tour et il m’a dit de ne jamais le refaire : "Ne me refuse pas ce plaisir de faire la queue pour acheter mes somuni, car plus j’attends, plus mon ramadan est doux, plus doux sont le somun et l’iftar", m’a-t-il dit. Cette émotion particulière se transmet de génération en génération et fait le charme du ramadan. Sarajevo et la Bosnie-Herzégovine doivent conserver cette tradition »…