Blog • La « gouvernance expérimentale » et la Yougosphère

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J’ai déjà parlé dans un de mes posts de nouvelles formes de coopération internationale, et du papier que j’avais présenté en 2012 lors d’une Conférence internationale sur l’apprentissage en réseau dans la gouvernance transnationale. A l’époque, je ne le savais pas encore, mais je faisais de la « gouvernance expérimentale ».

Mon intention était de démontrer que l’idée du Professeur Ðurić sur « l’espace yougoslave » était toujours valable, d’autant plus que cette idée avait eu à l’époque un regain de notoriété à cause d’un essai du journaliste Tim Judah, qui avait relancé le concept sous le nom de « Yougosphère » [1].

Je crois qu’aujourd’hui on a de plus en plus besoin de ces nouvelles formes de gouvernance et j’aimerais bien m’y arrêter brièvement, d’autant plus que, celle qu’en 2012 pouvait encore être considéré comme une approche "expérimentale", ne l’est plus de nos jours. Les principes de la "gouvernance expérimentale" ont été retenus entre temps, tant que l’on les retrouve dans les récents manuels de droit de l’Union européenne. Ceci parce que c’est surtout à l’intérieur du processus décisionnel de l’Union européenne que la gouvernance expérimentale s’est exprimée, en y trouvant un terrain propice à son épanouissement.

Qu’est-ce au juste que la « gouvernance expérimentale » ?

Sous le champ de la gouvernance expérimentale, tombent toutes ces formes de coopération entre décideurs politiques appartenant à des nations différentes, comme : les fora, les agences nationales collaborant en réseaux, les Conseils de réglementation, et surtout : la méthode ouverte de coopération de l’Union européenne. La gouvernance expérimentale est appliquée à un nombre de secteurs d’action pour l’instant limités, mais destinés probablement à croitre dans le futur, ainsi que les domaines à compétences mixtes partagés entre Union européenne et ses Etats membres.

Pour l’instant la méthode ouverte de coopération s’applique à la réglementation des secteurs comme : les services financiers, le premier secteur où elle a été appliquée, des secteurs plus internationaux comme : les télécommunications, l’énergie, la protection de l’environnement, des secteurs « intérieurs » comme la justice et les affaires intérieures et enfin des secteurs plus sociaux : la promotion de l’occupation et la sureté dans l’ambiance de travail ; mais il y en a aussi d’autres.

Il s’agirait principalement de secteurs de nature technique, où normalement c’est la Commission qui est la plus concernée, comme institution européenne appelée à intervenir dans le concret, et qui à cause de leur spécificité technique, demandent la participation d’experts appelés, à travers le procédé de la "comitologie", à donner leur avis à ceux qui sont ensuite appelés à prendre des décisions, ou à faire adopter des réglementations.

Eléments communs de toutes les expériences de gouvernance expérimentale sont : un certain degré de délibération dans le processus de prise de décision et une ambiance "sociale" de laquelle les décideurs peuvent profiter, soit pour rechercher un accord préalable, soit pour vérifier les résultats de leurs décisions et les évaluer ensemble.
La gouvernance expérimentale aurait dans son for intérieur des mécanismes non seulement d’échange et de coopération, mais aussi de contrôle et d’évaluation réciproques par le biais de la "peer-review" des résultats. La vérification des résultats serait donc laissée, non pas à une institution supérieure, mais aux "semblables", aux acteurs, posés au même niveau, appelés à appliquer ces réglementations localement. La révision de la part de ses propres semblables a lieu à l’intérieur de la communauté même d’appartenance.

De la gouvernance expérimentale dans les Balkans

En réalité, la « gouvernance expérimentale » n’est jamais parvenue, selon les chercheurs de l’équipe du Professeur Zeitlin, jusqu’aux Balkans occidentaux, d’après leur opinion dans le domaine des relations extérieures de l’Union européenne, elle s’appliquerait plutôt à la Politique européenne de voisinage, forcément destinée à d’autres aires géographiques. Selon les chercheurs la politique de voisinage serait l’instrument plus adapte à « externaliser » certaines politiques de l’Union sur la base des idées de la gouvernance expérimentale, les accords d’association en tant qu’instrument plus « communautarisé » ne fonctionnerait bien à ce propos.

En réalité, la nature juridique d’accords mixtes des accords d’association donnent à ces instruments le côté délibératif et l’ambiance « sociale » propice aux mécanismes de la gouvernance expérimentales pour agir, davantage les conditions particulières des pays issus de l’ancienne Yougoslavie aiderait à l’épanouissement d’une autre caractéristique de la gouvernance expérimentale qui est celle de « l’apprentissage en réseaux ».

Plutôt que « Yougosphère », une « communauté épistémique yougoslave »

Prenons la définition de communauté épistémique en usage dans la science des relations internationals : « An epistemic community is a network of professionals with recognized expertise and competence in a particular domain and an authoritative claim or policy-relevant knowledge within that domain or issue-area. » Tout comme les communauté épistémique des professionnels qui partagent un terrain pratique et expérimentale commun et communiquent avec une langage technique pour initiées, j’ai considéré, données des relations commerciales à la main, le groupe des pays issues de l’ancienne Yougoslavie, comme une communauté partageant un passé commun, fait aussi d’expériences pratiques et de coutumes et une langue d’expression similaire, l’ « espace yougoslave » du Professeur Ðurić.

Mais encore, le communauté épistémique représentent « … a vehicle for the development of insightful theoretical premise about the creation of collective interpretation and choice » [2]. Donc un terrain favorable aussi à l’apprentissage en réseaux, et comme conclut le Professeur Zeitlin : « actors in the EU have in roughly the last decade pioneered new and systematic ways of speaking about what they learn and learning about what they speak ». De même, les pays des Balkans occidentaux peuvent apprendre par leur communication et apprendre à partir de leur communication. Les années de paix qui ont suivi dans les derniers vingt-cinq années démontrent du moins qu’ils ont appris une importante leçon.

Notes

[1Judah Tim "Yugoslavia is dead, long live the Yugosphere", LSEE Papers on South Eastern Europe, The London School of Economics and Political Science, Crowes Complete Print, London, November 2009, disponible à l’adresse : http://www.lse.ac.uk/europeanInstitute/research/LSEE/PDFs/Publications/Yugosphere.pdf

[2Adler Emanuel, Hass Peter M. Epistemic Communities, World Order, and the Creation of a Reflective Research Program, in “International Organization”, vol. 1, Knowledge, Power, and International Policy Coordination (Winter, 1992), pp. 367-390.