Blog • A Iași, l’autre capitale de la Roumanie

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Située à 400 kilomètres de Bucarest, la cité moldave a toujours compté dans l’histoire de la Roumanie. Elle en fut même la capitale provisoire il y a un siècle. Aujourd’hui, son dynamisme culturel en fait encore une ville à part dans le cœur des Roumains.

Nous sommes le 27 août 1916, en pleine Première Guerre mondiale. Le jeune royaume de Roumanie sort de sa neutralité et entre en guerre contre l’Allemagne et l’Empire austro-hongrois. Appuyées par l’armée russe, les troupes du roi Ferdinand Ier lancent l’offensive sur la Transylvanie. Mais les forces de l’Axe conte-attaquent par le sud et Bucarest est prise par les Allemands en décembre. Il faut trouver une capitale provisoire au pays.

La famille royale avait anticipé et choisi Iași, une métropole florissante, cosmopolite et située relativement loin du front. Sans attendre d’être capturé à Bucarest, Ferdinand y installe son quartier général dans un hôtel particulier de style néoclassique : le palais Cuza. Tout au long du XIXe siècle, l’édifice avait servi de résidence aux Catargi, aux Paladi, aux Cantacuzino et à d’autres grandes familles moldaves. Le prince Alexandru Ioan Cuza, l’artisan de l’union des principautés de Valachie et de Moldavie en 1859, y avait même vécu pendant quatre ans. Suffisamment longtemps en tout cas pour donner son nom à l’hôtel...

Bref, les membres du gouvernement et de nombreux fonctionnaires rejoignent le roi à Iași, emportant avec eux le trésor national. Ils sont très vite imités par les notables, les banquiers, les intellectuels et les artistes des régions conquises par l’Axe. Sans oublier que les troupes françaises conduites par le général Henri Berthelot utilisent la ville comme base arrière. Et Iași qui ne comptait que 80 000 habitants de voir sa population quintupler.

Elle étouffait déjà en novembre 1916 quand la reine Maria s’apprêtait à la rejoindre. La souveraine dut attendre plusieurs semaines avant qu’on lui trouve une résidence, la casa Cantacuzino-Pașcanu, située à 500 mètres du palais Cuza, au cœur de ce qui allait être la capitale provisoire du royaume jusqu’en novembre 1918.

Qu’est devenue Iași, depuis ?

Capitale d’hier et de demain

Située en Moldavie roumaine, à 400 km de Bucarest et 150 km de Chişinău, Iaşi a longtemps été un lieu de pouvoir très important. Entre 1564 et 1859, elle est la capitale de la principauté de Moldavie, un vaste territoire à la charnière des empires ottoman, russe et austro-hongrois. Les princes qui y résident sont les vassaux des puissances étrangères mais gèrent de façon autonome les affaires intérieures. C’est notamment à Iaşi qu’est signé le traité mettant fin à la septième guerre russo-turque en 1792. La cité moldave est aussi la première ville roumaine à épouser les idées de la révolution de 1848. Entre 1859 et 1862, alors que le prince Cuza vient de sceller l’union des principautés de Moldavie et de Valachie, la ville est avec Bucarest l’une des deux capitales de la Roumanie. Elle cède la place à sa rivale pour une somme d’argent dont elle ne verra jamais la couleur. Entre 1916 et 1918, à l’heure où Bucarest est occupée par les forces de l’Axe, elle redevient provisoirement la capitale du pays. Depuis, Iaşi a tourné la page. Elle est aujourd’hui le chef-lieu du département du même nom et rêve de devenir la capitale européenne de la culture en 2020.

La cité aux sept collines

Entourée de sept collines, dont quatre sont dominées par de superbes monastères, Iaşi s’étend sur 9 500 hectares. Elle est traversée d’ouest en est par le Bahlui, un affluent de la Jijia qui se déverse dans le Prut, et par la rivière Nicolina qui coule dans la partie sud pour se jeter dans le Bahlui. En partie piéton, le boulevard Ştefan Cel Mare fend un cœur historique très hétérogène où les bijoux du patrimoine historique se mélangent aux aberrations architecturales du régime communiste. Plusieurs quartiers résidentiels se sont développés dans le nord de la ville à partir du XVIIIe siècle. Parmi eux, Țicău, Tătărași mais aussi Copou, aujourd’hui l’un des plus calmes et des plus verts de la cité moldave. Le XXe siècle correspond à l’essor des quartiers Păcurari et Nicolina, dans le nord-est et le sud, mais aussi de la zone industrielle qui s’étend sur tout le sud-est de la ville le long du Bahlui. Iaşi poursuit désormais son développement urbanistique en avalant des communes rurales voisines. L’an dernier, le quartier Palas est également sorti de terre derrière le Palais de la Culture. La ville compte deux gares, la gare centrale et la gare Nicolina, qui la relient directement à toutes les grandes villes roumaines mais aussi à Chişinău, la capitale de la République de Moldavie. A huit kilomètres au nord du cœur historique, aux abords de la base de loisirs Ciric, l’aéroport international propose des vols en direction de l’Autriche, de l’Italie, du Royaume-Uni, de la Grèce, de la Turquie et de la France.

Ferveur religieuse

Iaşi est animée par une très grande ferveur religieuse. Chaque année au mois d’octobre, des centaines de milliers de pèlerins s’y pressent pour toucher les reliques de Sfânta Parascheva qui sont exposées dans la cathédrale métropolitaine. Des queues immenses se forment alors dans la ville qui devient, pour quelques jours, le centre spirituel de l’orthodoxie roumaine. Iaşi est aussi la métropole de province qui abrite le plus d’églises. Leur nombre a augmenté de 65% depuis la révolution pour atteindre aujourd’hui 71. Parmi ces lieux de culte, 30 sont inscrits au patrimoine historique dont l’église Sfântul Nicolae Domnesc, construite à l’époque de Ştefan Cel Mare, ou celle des Trois Hiérarques. Perchés sur des collines ou situés en plein centre-ville, de nombreux monastères témoignent aussi de la vigueur de la vie religieuse dans cette ville où neuf habitants sur dix se déclarent orthodoxes. Enfin, les deux derniers patriarches de l’Eglise orthodoxe roumaine, Teoctist et Daniel, ont d’abord été les archevêques de Iaşi et les métropolites de Moldavie et de Bucovine avant d’accéder aux plus hautes fonctions.

Une capitale culturelle

La ville aux sept collines est souvent présentée comme la capitale culturelle de la Roumanie. Elle compte quatre théâtres, une centaine de bibliothèques, une vingtaine de musées et deux importants festivals de théâtre, « EuroArt » et « Dar Iaşi » organisés au printemps. De son glorieux passé, elle tire un patrimoine architectural exceptionnel qui fait l’objet d’un vaste plan de restauration. Ses églises, son Hôtel Traian dessiné par Gustave Eiffel ou son flamboyant Palais de la Culture inauguré en 1926 témoignent de son rayonnement culturel à travers les siècles. C’est à Iaşi que fut jouée la première pièce de théâtre en langue roumaine (1816), inaugurés le premier théâtre national (1840), le premier musée (1834) et le premier jardin botanique (1856) de Roumanie ou encore fondée la première troupe de théâtre yiddish au monde (1876). La ville est aussi l’un des berceaux de la littérature roumaine. Des auteurs prestigieux comme Creangă, Eminescu, Sadoveanu ou Alecsandri, tous membres du courant littéraire Junimea, y sont nés ou y ont vécu. Mais la ville célèbre aussi des scientifiques comme Emil Racoviţă, le père de la biospéléologie, ou de grands princes comme Vasile Lupu et Dimitrie Cantemir. Il n’est pas impossible que Cristian Mungiu, Palme d’Or du festival Cannes en 2007, ait aussi un jour un buste à lui dans cette ville qui l’a vu naître.

Un centre universitaire attractif

La ville continue aussi d’attirer un grand nombre d’étudiants. Environ 60 000 jeunes originaires des quatre coins de la Roumanie et de 70 pays différents s’y forment chaque année. Ils perpétuent une tradition académique séculaire et représentent une manne financière conséquente. A la rentrée 2012, 44% d’entre eux ont choisi l’une des quinze facultés de l’Université Alexandru Ioan Cuza. Fondée en 1860, c’est la plus ancienne université de Roumanie mais aussi l’une des plus prestigieuses. De son côté, l’Université de médecine et de pharmacie Grigore T. Popa joue depuis le communisme la carte de l’ouverture internationale. Comme sa rivale de Cluj, elle propose des cursus en anglais et en français qui débouchent sur des diplômes reconnus au niveau européen. Cette formule est un succès. Un quart des 10 000 étudiants inscrits sont étrangers et l’université récolte chaque année plus de 6 millions d’euros grâce aux frais d’inscription majorés dont ils doivent s’acquitter. A noter aussi que plusieurs milliers d’étudiants issus de la République de Moldavie franchissent la frontière pour étudier dans l’un des huit établissements d’enseignement supérieur que compte la ville.

Un cosmopolitisme en trompe l’oeil

Au cours de l’année universitaire, il n’est pas rare d’entendre parler français, arabe ou anglais dans les cafés de la cité moldave. Les centres culturels étrangers sont également très dynamiques. Mais quand vient l’été, une autre réalité saute aux yeux : l’homogénéité de la population stable. En effet, 98,4% des habitants de Iaşi se sont déclarés roumains lors du recensement de 2011. Malgré la vigueur des échanges universitaires, on est donc loin du bouillonnent multi-culturel qui faisait jadis la renommée de la ville. Il y a encore 70 ans, près de la moitié de la population locale appartenait à la minorité juive et d’importantes communautés russes, allemandes, polonaises ou arméniennes cohabitaient. Il reste pourtant moins de 400 Juifs dans cette métropole qui en a compté jusqu’à 40 000. En cause, le massacre de plus de 13 000 d’entre eux lors du pogrom orchestré en juin 1941 par les autorités roumaines mais aussi les vagues d’émigration successives liées à la création d’Israël en 1948.

Une démographie en déclin

Iaşi est la ville la plus importante du nord-est de la Roumanie. Jusqu’au recensement de 2011, elle était même la ville de province la plus peuplée. Pourtant avec seulement 263 410 habitants, elle est aujourd’hui surclassée par Cluj et Timişoara. C’est le résultat d’un déclin démographique amorcé après la révolution de 1989. Iaşi a en effet perdu 81 000 habitants en vingt ans, dont plus de 57 000 ces dix dernières années. Ce déclin s’explique notamment par la fermeture de fleurons de l’industrie qui a poussé de nombreux ouvriers à partir. Mais la cité moldave reste l’une des rares métropoles à bénéficier d’un taux d’accroissement naturel positif. En 2011, 7788 naissances y ont été enregistrées contre 4127 décès, selon les autorités locales. La quatrième ville de Roumanie est enfin le chef-lieu d’un département qui compte 723 000 habitants et enregistre le meilleur taux d’accroissement naturel du pays (+ 458), devant les départements de Suceava, Brasov et Ilfov.

Une économie en reconversion

Sous le communisme, Iaşi était l’un des plus grands bastions industriels de Roumanie. Ses usines gigantesques excellaient dans la production de machines-outils, de pièces industrielles, de cigarettes ou d’huile et employaient des dizaines de milliers de salariés. Pourtant après la révolution, la plupart d’entre elles ont été fermées et vendues morceau par morceau. En pleine reconversion, la ville reste le plus grand pôle économique d’une région largement sinistrée. Le nord-est de la Roumanie est en effet la deuxième région la plus pauvre de l’Union européenne et le département de Iaşi n’est que 19e sur 42 au classement des départements les plus riches du pays, avec un PIB de 1250 euros par habitant en 2012. A Iaşi pourtant, seules 3092 personnes étaient au chômage en 2011, soit 1,39% de la population active de la ville. L’industrie pharmaceutique se porte bien et de nombreuses PME spécialisées dans les nouvelles technologies s’y sont récemment implantées. L’an dernier les exportations ont également augmenté de 35% par rapport à 2011. Pour les autorités locales, cet essor s’explique par une très bonne absorption des fonds européens. Une dizaine de projets cofinancés sont en cours pour redynamiser le tissu économique de la ville.

Photo 1 : palais de la culture de Iași
Photo 2 : palais Cuza de Iași
Photo 3 : plan de Iași
Photo 4 : monastère Galata de Iași
Photo 5 : théâtre national Vasile Alecsandri de Iași
Photo 6 : université de médecine et de pharmacie Grigore T. Popa de Iași
Photo 7 : rue Lăpușneanu, dans le centre de Iași
Photo 8 : jardin botanique Iași