Blog • Ivan Goran Kovačić, une grande figure oubliée de la littérature croate

|

Qui est Ivan Goran Kovačić, auteur du poème Jama, désormais bien oublié de la littérature croate ? A la découverte d’un écrivain peut-être trop vite laissé de côté.

Par Déborah Grbac

Ivan Goran Kovačić peu avant son décès, en 1943, dans les rangs des partisans

Cet été, j’ai eu du boulot, je me suis rendue en Croatie avec une traduction à peaufiner et à boucler au plus tôt. L’auteur est un Croate qui écrivait dans les années quarante du siècle dernier, le style est compliqué, un poète, auteur d’un poème appelé « Jama ». Le poème était devenu dans les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale un manifeste de la culture socialiste en Yougoslavie. Hélas, je ne connaissais pas Ivan Goran Kovačić et le premier impact est fort.

Le style est compliqué et archaïque plus que recherché, très poétique pour de la prose, les mots s’enchaînent comme un chapelet d’images poétiques soignées et riches, le texte se développe sous mes yeux au fur et en mesure que j’en saisis le significat. Je sens que le Dehanović-Jernej, le dictionnaire que j’utilise d’habitude, n’est pas suffisant pour m’aider à bien rendre l’auteur. Heureusement les vacances en Croatie sont proches, outre à des bains de mer, je pourrais profiter du bain dans la langue croate pour mieux apprécier l’auteur.

A la recherche de Kovačić

Invitée à un repas chez des amis de famille, je commence à me renseigner sur l’auteur. Je découvre que c’est un auteur du Gorski Kotor, le croate parlé là-bas, la variante kajkave, est un peu différent de celui de l’Istrie dont j’ai l’habitude. A cela il faut ajouter que l’auteur ayant écrit dans la première moitié du siècle passé, dans un style volontairement recherché, est loin du langage courant.

Je continue mon enquête auprès des membres de la famille et là je découvre, à ma grande surprise, que Kovačić est un auteur désormais éliminé des programmes scolaires. Seuls les quadragénaires, ou les personnes plus âgées, se rappellent encore de lui, surtout de son poème « Jama ». Les générations successives n’en savent rien ou presque. A mon retour chez moi, je recueille d’autre renseignements sur l’auteur et en particulier je découvre dans un essaie paru en Italie en préface de la traduction du poème « Jama » que l’auteur était présent dans l’histoire de la littérature croate de Dubravko Jelčić, mais, d’après l’opinion de l’auteur, que Jelčić lui avait donné peu d’importance, du moment que l’auteur avait subi un ostracisme de la part de la culture croate des années quatre-vingt-dix en tant que représentant d’un genre littéraire, la littérature partisane, qui n’était plus de mode dans la Croatie de l’après indépendance. Je vérifie ce renseignement directement sur le Jelčić et en effet je trouve qu’à Kovačić ne sont dédié que deux pages, mais cela est le cas aussi de bien d’autres auteurs traité dans le livre. Si le Jelčić s’arrête davantage sur l’auteur c’est pour souligner qu’il meurt par main céthnique, parallèlement aux sorts subies de la nation croate dans les années quatre-ving-dix. Le livre de Jelčić paraît en 1997.

Kovačić retrouvé

Ivan Goran Kovačić nait à Lukovdal le 21 mars 1913, il quitte sa ville natale et le milieu rural auquel il appartient pour aller à étudier la slavistique à Zagreb, vite il abandonne ses études pour travailler dans la presse en continuant à cultiver ses intérêts intellectuel, il écrit des poésies (aussi en kajkave), des essais, des articles sur des sujets différents : littérature, art, cinéma, il était aussi traducteur.

Il participe aux affrontements de la Seconde Guerre mondiale en tant que partisan et il est tué en 1943 à Vrbnica, près de Foča (Bosnie-Herzégovine), dans des circonstances peu claires. Son poème, « Jama », sur les atrocités de la guerre, nous est transmis d’après une transcription faite à partir de sa première lecture en public quelque temps avant la mort de l’auteur.

Dans La peur dans l’art, essai écrit en 1940, lorsque l’auteur parle de la peur des gens, il la décrit comme n’étant plus « un mystérieux atout de leur jeu de carte ». Cela serait valable aussi aujourd’hui, loin de toute menace on n’est concerné que par les petit soucis et tracas de nos propres vies quotidiennes, par la vague inquiétude de ne pas réussir sa vie, faute de chance. D’après Kovačić la peur des gens est décrite avec l’image d’un homme essayant de se sauver d’un bombardement tombant sur sa ville, en plein après-midi. Lorsque, réveillé de façon abrupte de son sommeil d’après repas par le bruit des avions volant sur sa tête, il doit vite chercher un refuge. Avant tout il se cache naïvement dans le couloir de la maison et au moment où, les maisons s’écroulent autour de lui, il se rend à la rue et là « des milliers de silencieux projectiles, comme du sable et des guêpes, volent dans l’air ; lui il reste accouché et en une seule fois il s’aperçoit, qu’il ne peut pas se lever, comme si on lui avait détaché ses propres jambes découpées ... Les nerfs sont trop tendus, il se réanime et tout éprouvé il tombe dans les nouveaux profondeurs des horreurs modernes ».

Une vision plutôt « balkanique » et fataliste de la guerre...

La peur ce ne serait plus donc de ne pas disposer de bonnes cartes à jouer sur le table de jeu de la vie, mais de garder sa propre vie menacée par la guerre et la guerre, elle est vue comme quelques chose d’imprévisible tombant du ciel, comme une malédiction des dieux faisant parti d’un jeu et avec des enjeux plus grands que ceux appréciables à partir de la perspective et des intérêts des individus pris singulièrement. Cette description qui aurait du être, et rester, j’ajouterais, valable pour 1940, en prévision de ce que la deuxième guerre mondiale aurait apporté, elle est bel et bien valide aussi pour décrire ce qu’il s’est passé en Croatie dans les années quatre-vingt-dix, lorsque le citoyen commun a été surpris par la guerre, qui lui est directement tombé sur la tête du ciel comme dans l’image utilisé par Kovačić.

C’est une vision plutôt « balkanique » et fataliste de la guerre, à laquelle si on ajoute la connotation politique de l’auteur, acquise par son assassinat et sa successive classification sous la case "auteur partisan", transforment soit l’auteur que sa vision dans quelque chose qui n’est plus à la mode dans la Croatie d’aujourd’hui, voir l’élimination des programmes scolaires.

Et pourtant, en lisant cette description de la peur des gens et de la guerre faite en 1940, ce qui m’est revenu à l’esprit c’est une poésie d’un autre poète croate Nikola Milićević « Možda je tako pisano » (« Peut-être était-ce écrit ainsi »), ou on parle de la guerre en Croatie comme de quelque chose qui a eu lieu, parce qu’elle était peut-être écrite, et d’après la lecture de Kovačić, elle était aussi écrite dans ses mots à lui, cinquante années avant. D’ici l’intérêt de relire du Kovačić de redécouvrir un auteur trop vite oublié.