Blog • une interview exclusive du roi Zog et de la reine Géraldine dans leur villa de Cannes (1955)

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Paris-presse publiait, le 18 août 1955, une interview exclusive de son correspondant avec le roi Zog et la reine Géraldine à Cannes. La famille royale albanaise venait d’arriver en France, après avoir passé une dizaine d’années en Egypte. Malgré sa santé fortement dégradée et grâce au soutien de la reine, le roi se souciait toujours de l’Albanie.

Ci-dessous, les échanges du journaliste Francis Rico avec le couple royal albanais :

Le roi Zog d’Albanie rêve de retrouver son trône

Côte d’Azur
Dans une vieille villa de Cannes
(De notre correspondant Francis RICO.)

Une villa aux murs gris, lézardés, dont le jardin touffu n’a pas été entretenu depuis des lustres : c’est là qu’est descendu le roi Zog d’Albanie, qui vient d’arriver à Cannes avec la reine Géraldine.

Construite en 1900 à l’époque des grands-ducs, avec un luxe de tourelles en stuc, la demeure, malgré son grand salon au plafond peint, est triste et reste imprégnée de l’odeur caractéristique des vieilles maisons inhabitées.

Devant la porte, assis en rond, sur des fauteuils en potin datant de la reine Victoria, de grands gaillards, les derniers fidèles du souverain détrôné, attendent de meilleurs jours en devisant.

Ils parlent entre eux à voix basse, où bien égrènent des chapelets musulmans faits de gros grains de couleur.

Qui sont-ils ? D’anciens hauts fonctionnaires, des officiers, des magistrats, perdus dans l’anonymat du complet veston européen...

Ils veillent sur le roi qu’ils voient rarement, guettent la sortie de la reine ou des princesses, sœurs de Zog, surveillent les faisans de l’ainé, Leca Scanderbeg, qui fait les cent pas au fond du parc en regardant la pointe des cyprès.

Tout aux alentours, Cannes resplendit de santé. Les villas, volets ouverts, respirent les vacances, la joie, le soleil, la fortune.

Au fond, la mer est parsemée de voiliers ou déchirée par les skieurs nautiques.

De la fenêtre du grand salon on aperçoit les toits des palaces couverts de drapeaux qui flottent au vent et le Palm Beach Casino dresse son étrange architecture orientale de mosquée perdue sur les bords lointains de la Méditerranée.

Le roi m’a reçu à l’heure promise. Il est assis sur un grand canapé qui rend plus fine sa silhouette amaigrie. Zog 1er se lève, la main tendue.

— Je suis heureux, dit-il, de recevoir un Français. Nous aimons tant la France qui nous a tant aimés.

Son secrétaire particulier tend un plateau de cigarettes d’un tabac blond de la Régie française. Zog Ier, qui ne cesse de fumer malgré l’interdiction de ses médecins, allume une nouvelle cigarette sur celle qu’il vient à peine de consumer. Je ne l’avais pas revu depuis une interview qu’il m’avait accordée en 1939, à Versailles, où il s’était réfugié après la prise de Tirana par Mussolini.

— Vous voilà vengé, sire, des Italiens ?

Un pâle sourire sous sa fameuse moustache d’officier de cavalerie balkanique.

— Que d’événements depuis, soupira-t-il. Les Pâques de 1939 ont été le départ de la guerre mondiale. Mais comment pouvions-nous le savoir ?

Une reine souriante

La reine Géraldine apparaît dans une robe printanière et fraîche, sans prétention ; un collier de perles fines pour tout bijou. Elle est grande, élancée, souriante. D’un seul coup, le vieux salon rococo s’éclaire.

Elle parle divinement le français avec un accent un peu chantant. Elle est Hongroise d’origine. Mais elle a tant voyagé !

— Je retrouve ma jeunesse ici, s’exclame-t-elle, dans ce pays si bleu et si beau. Vous savez que j’ai fait mes études au lycée de Nice et dans une pension anglaise ?

Comme je lui demande si elle aime sortir, voir des collections, aller au casino, son sourire se fige :

— Le roi est malade ; Il a besoin de repos, répond-elle. Il doit suivre un régime strict. Que ferai-je seule, dans un gala ? Que ferais-je sans lui ?

Zog la regarde tendrement. Il glisse sa main sur la sienne. Ses lèvres murmurent un remerciement.

— Je dois aller à Paris, reprend-il pour consulter vos sommités médicales. Ma santé est fragile, et je dois me ménager, car je voudrais consacrer le reste de mes forces au salut de mon pays.

— Pensez-vous donc un jour, sire, retourner en Albanie ?

Son visage se ferme. Le ton de sa voix se durcit. Le secrétaire enfin, traduit la réponse.

— Si les grandes puissances s’entendent sur la réunification de l’Allemagne, déclare le roi, alors viendra le jour où certains pays seront appelés à se prononcer par des plébiscites libres sur leurs intentions et leur désir de gouvernement. L’Albanie comme les autres pourra prononcer sa volonté.

On entend la cloche d’une chapelle toute proche égrener les douze coups de midi. Le soleil est déjà haut. Géraldine se penche pour apercevoir la Croisette noire de monde. Il fait bon vivre dans l’ombre fraîche. La reine prend la main du roi et tous deux s’enfoncent dans le jardin, entre deux haies de lauriers-roses.

— Bonne journée, monsieur, dit Zog Ier, en allumant une nouvelle cigarette.

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k27141517/f4.item

Article publié en albanais : https://www.darsiani.com/la-gazette/paris-presse-1955-intervista-ekskluzive-me-mbretin-zog-dhe-mbretereshen-geraldine-ne-vilen-e-tyre-ne-kane-qellimet-e-mbretit-dhe-kujdesi-i-geraldines-per-shendetin-e-tij/