Par Charles Nonne
Ce sont des Slovènes de la minorité allemande du pays qui ont fondé la première organisation cycliste de Ljubljana, le Laibacher Bycikilsticher Club, en 1885. Pas en reste, les Slovènes formeront la leur deux ans plus tard. D’abord interdit pour sa dangerosité, le vélo devient pourtant vite populaire dans la capitale de Carniole, avant de se diffuser, au sprint, vers Maribor puis de plus petites bourgades. La première course cycliste nationale a eu lieu dans la ville de Gorizia, alors en terre italienne. 5000 curieux se rassemblèrent pour observer les as de ce nouveau sport.
L’engouement pour la petite reine pédale cahin-caha durant toute la première moitié du XXe siècle, à la fois heurté par les marasmes économiques de la monarchie yougoslave, la naissance de nouvelles disciplines sportives et la montée en puissance d’autres régions. La Slovénie socialiste verra cependant naître de nouveaux clubs, qui se feront un nom : Sava à Kranj, Krka à Novo Mesto, et bien sûr le légendaire Rog à Ljubljana.
Depuis l’indépendance, la Slovénie a connu son lot de jeunes pousses : montés en gamme et s’approchant des podiums, nombreux sont ceux qui se sont écroulés une fois confrontés à la haute compétition. Parmi eux, Tadej Valjavec, habitué du top 20 des Tours de France et d’Italie, qui s’est retrouvé quasiment déchu à cause d’une affaire de dopage. Il faudra attendre le début des années 2000 pour que la Slovénie se hisse parmi les vingt nations les plus douées de la discipline, sans jamais parvenir à crever le plafond de verre. Mais il flotte depuis quelques années un air de renouveau en Slovénie, et la saison 2018 a produit des crus au-delà des espérances.
Une pépinière de champions
Symbole incontesté de cette ascension fulgurante : Primož Roglič, 28 ans, qui est arrivé sur les routes du Tour de France 2018 auréolé de sa victoire au Tour du Pays basque et au Tour de Slovénie. Après avoir grimpé sur le podium à deux jours de l’arrivée sur les Champs Élysées, l’ancien sauteur à ski reconverti, s’est finalement classé quatrième. Une jolie performance pour ce rouleur, cinq ans à peine après avoir donné ses premiers coups de pédales dans la catégorie des professionnels. Aujourd’hui, il est le leader de la célèbre équipe néerlandaise LottoNL-Jumbo.
Derrière lui, de nouvelles jeunes pousses se préparent déjà à prendre la relève : Matej Mohorič, 23 ans, passé professionnel dès 19 ans, a remporté le dernier Tour d’Allemagne. Plus jeune encore, Tadej Pogačar a connu son premier triomphe au Tour de l’Avenir 2018, à tout juste 19 ans. Pendant ce temps, l’équipe féminine de BTC City Ljubljana commence elle aussi à faire parler d’elle. Sans compter que la Slovénie fait figure de modèle en nombre de cyclistes professionnels par habitant. Les récentes performances des champions slovènes suscitent en tout cas un enthousiasme inédit pour le vélo : cet été, Primož Roglič a été accueilli par une foule en délire à l’hôtel de ville de Ljubljana à son retour du Tour.
Vendre ses paysages
La Slovénie cherche ne cherche pas seulement à vendre ses champions, elle veut aussi attirer les cyclotouristes du monde entier sur ses routes. La stratégie nationale pour le tourisme met ainsi en exergue les avantages du pays pour les amateurs et professionnels. Bled a son propre festival de vélos. Le Tour de Slovénie, organisé presque chaque année depuis 1993, est diffusé par Eurosport depuis 2017. Des milliers de cyclistes se pressent aussi chaque année pour le Marathon Franja, fondé en 1982 par le directeur du club de Rog et un journaliste féru de vélo, qui emmène les compétiteurs à travers les vallées de l’Ouest pour un dénivelé de 600 mètres.
Mais l’engouement a aussi un petit côté m-’as-tu-vu. « La caractéristique slovène, c’est de se payer un vélo à 8 ou 10 000 euros, s’inscrire au marathon Franja, regarder ce qu’on reçoit pour l’argent payé et dire tout haut que c’est très cher », raille Tomaž Grm, président de l’Association slovène de cyclisme, dans les colonnes de Delo.
Le berceau de la roue
Et le sport n’est pas sans faille dans un pays souvent considéré comme trop petit pour entraîner des champions. Les routes slovènes ne sont pas encore aussi étendues et connectées que dans d’autres pays en pointe, comme les Pays-Bas. Constituer une équipe slovène capable de se faire une place dans les grandes courses internationales reste également une douce utopie. L’équipe slovène Adria Mobil obtient certes des résultats honorables, mais son budget ne tient pas la comparaison internationale. Le soutien du Comité slovène olympique, des sponsors, de l’État et du public est donc encore à parfaire.
À la veille des championnats du monde d’Innsbruck, malgré une blessure au coude qui l’a condamné à une fin de saison modeste, Primož Roglič voulait pourtant y croire. « On va leur montrer qui sont les Slovènes. On va se donner à 110% et espérer que tout va bien se passer. » Finalement, il s’est classé 34ème, à 4’ du vainqueur, le vétéran espagnol Alejandro Valverde. Gageons que les années à venir confirmeront le nouvel enthousiasme que suscite le cyclisme en Slovénie. Après tout, la plus vieille roue du monde (5150 ans) a bien été trouvée à Ljubljana.