Blog • Les abus des autorités grecques envers les Albanais de la Çamëria (1925)

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Dans le Journal Officiel de la Société des Nations, en février 1925, trois documents révèlent les abus des autorités grecques envers les Albanais de la Çamëria (Epire). Documents.

Lettre au président de la Commission Mixte

Athènes, le 13 mai 1924.

Comme suite à l’exposé que nous avons eu l’honneur de faire à Préveza, nous nous empressons de soumettre à la haute Commission les arguments suivants, qui militent en faveur de la race albanaise de la Tchaméria, c’est-à-dire des districts de Margariti, de Goumenitza et de Fulates, dont nous sommes les représentants et où nul Musulman, d’après notre humble avis, ne doit être soumis à l’échange.

Les Musulmans de la Tchaméria, y compris Paramithia, sont des Albanais reconnus comme tels par tous les historiens, depuis toujours, et particulièrement par ceux de la fin du XVIIIe siècle et du commencement du XIXe.

Ces historiens et voyageurs sont des Anglais, des Français et des Grecs ; il nous suffira de citer Leake, Pouqueville, Gervinus, Finlay, Aravantinos. Tous ont dit que les Tchams, comme les Souliotes, sont des Albanais de race, de langue et de coutumes. Il y a encore aujourd’hui, dans le village de Gardhioi, un quartier appelé Kopolate, tous des Musulmans qui sont des cousins du fameux héros souliote Djévéle.

En effet, ce qui distingue une race d’une autre, ce qui fait que les Tchams sont des Albanais ce sont leur langue, la langue albanaise parlée dans la famille, leurs coutumes, qui diffèrent du tout au tout de celles des Turcs, coutumes et usages domestiques, celles qui ont trait au mariage, aux funérailles, à la naissance d’un enfant, les danses, chansons, etc.

Le costume des Tchams est tout à fait caractéristique ; il remonte même au temps des Pélasges et est commun à tous les Albanais, aux Tchams comme aux autres. Quant à ceux qui soutiennent que les Tchams sont venus de Damas (Chem en lyre), ce sont là des paroles ineptes de gens ignorant tout de l’histoire et mus par des intérêts personnels. Des « hodjes » aussi ont prétendu être des Turcs, et ils désiraient aller en Anatolie, espérant, sans doute, y trouver encore le Khàlif.

Nous vous serions extrêmement reconnaissants, si une décision était prise le plus tôt possible en notre faveur, nous décrétant hors d’échange, et si des mesures étaient prises pour que les restrictions imposées à l’élément albanais musulman soient levées et que, par conséquent, nous soyons libres de disposer de nos biens, de nos personnes, jouissant de nos droits civils, afin de rentrer dans un état normal, chose après laquelle nous soupirons depuis quinze mois.

Nous vous prions, Monsieur le Président, de daigner agréer l’assurance de notre très profond respect.

Au nom de :
Husni Abez, Haki Masa, Kasim Djafer, Ramad Suleiman de Filât,
Cheko Hamid, Abidin Djemali, Aden Sehmet de Goumenitza,
Hedji Brahi, Mehmet Duze de Margariti.
(Signé) Musa DEMI.

Source : gallica.bnf.fr/ Bibliothèque nationale de France
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9782416k/f246.image

Publié également en albanais : https://www.darsiani.com/la-gazette/letra-e-cameve-myslimane-te-filatit-gumenices-dhe-margaritit-drejtuar-lidhjes-se-kombeve-1924-nuk-jemi-turq-mos-na-shkembeni/

Mémorandum : De quelle façon les Albanais de l’Epire sont forcés de quitter leur pays

Au mois de septembre 1923, les autorités des districts de Margarit et Goumenitcha (Préfecture de Janina) sévirent d’une manière peu usitée contre l’élément albanais.

Les villages Arpitsa, Mazarek, Smokovina, Kourtez et la ville même de Margarit furent la proie du sergent Yani et du gendarme Manoli, tous deux originaires de Crète.

Dans le village Arpitsa, les Albanais Omer Hadji Veli, Djemal Bekir, l’iman Mollah Bessim, Djafer Lako, Abdi Soula, Nouh Tchamo, Ilias Ali, Refat Djafer, Ali Kotchouman, Ahmed Hadji, Dahri Feizo Kourti ont été maltraités, battus publiquement et mis en prison pendant dix jours à Margarit, où ils furent parqués comme du bétail, puis conduits à Prévéza et, enfin, à Janina, en tout trente-cinq jours de tribulations.

Le même sort a été réservé, à Margarit : au Mufti Adem Hadji Abbas, Ahmed aga Kassim, Hadji Ibrahim, Ibrahim Mollah, Mouetafa Bayo, Youssouf Hadji Mahmoud, Ibrahim Royha ;

A Smokovina : à Bekio Hamid, Mon Ismail.

A Kourtez : à Hassan Hamid (remis en liberté parce qu’il avait conservé la nationalité ottomane) ;

A Mourto (village appartenant au district de Goumenitcha) : au nommé Kiasim Salih :

A Mazarek : aux nommés Ferhad Mahmed, Hamid Mehmed, Sake Meto, Mato Osman, Chakir Suleiman, Moussa Veli, Tchen Veli, Youssouf Tetim Tahir Meta, Damin Mete Uzevir Meté, Zer Temi Mollah Hamza, Mollah Moussa.

Parmi ces derniers, Tchen Veli a été torturé ; les gendarmes l’obligèrent à s’asseoir sur une grille rougie au feu.

Pendant que Sake Meto était battu, le sergent Yani et le commandant de la gendarmerie (Astinomos), également appelé Yani, avaient mis leurs pieds sur la bouche et la poitrine après le rite de la bastonnade, Sake Meto a été pendu par les pieds à un arbre. Le médecin auquel s’est adressé Sake Meto pour avoir une constatation sur la nature et la provenance de ses blessures s’est refusé à la faire.

Les familles (femmes et enfants) de Mollah Moussa, de Youssouf Tetim, Sake Meto, Mato Osman et Deoud Sadi ont été mises en prison pendant vingt-quatre heures à Margarit.

La gendarmerie de Margarit a extorqué de l’argent de toutes les victimes, les rançonnant de fortes sommes.

Sur la plainte, très timidement faite, des Albanais, une enquête a été ouverte par le colonel Alexandre Syrakos ; le commandant de la gendarmerie Yani a été reconnu coupable et relevé de son poste, mais son homonyme, le sergent Yani, le gendarme Manoli, ainsi que les autres gendarmes coupables, sont encore à Margarit.

Ces mêmes Yani et Manoli ont continué à terroriser la population albanaise. Tout dernièrement encore, lors de l’arrivée à Prévéza de la Commission mixte pour l’échange des populations (avril-mai 1924), Yani a invité au poste de Margarit sept notables de la ville avec 1’intention de les influencer pour se déclarer soumis à l’échange et les empêcher de se dire Albanais.

Par suite des mauvais traitements infligés par les autorités militaires, surtout par les détachements, beaucoup de villages ont été abandonnés par leurs habitants, les gendarmes et soldats ayant contracté l’habitude de s’installer chez les Albanais, de vivre à leurs dépens pendant des semaines et de les rançonner, sous le prétexte que ces Albanais sont en relation avec 1’Albanie indépendante. En même temps que les soldats et les gendarmes, ce sont d’autres bandes qui font sentir le poids de leur dépravation, de véritables brigands ceux-ci, mais vivant en très bons termes avec les autorités civiles et militaires.

Le village Koska, situé près de la frontière albanaise, est parmi ceux qui sont soumis à une taille méthodique.

Koska compte deux cents familles, toutes albanaises, et les détachements militaires le visitent régulièrement, exigeant de ses habitants, non seulement la nourriture qu’ils ne payent jamais, mais leur imposant toutes les corvées, telles que transport d’eau et de bois, construction de baraques et tous les menus et gros services.

Source : gallica.bnf.fr/ Bibliothèque nationale de France
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9782416k/f247.image

Publié également en albanais : https://www.darsiani.com/la-gazette/dokumenti-zyrtar-i-lidhjes-se-kombeve-1925-si-u-detyruan-shqiptaret-e-epirit-te-largohen-nga-vendi-i-tyre/

• Mémorandum. Comment les Albanais en Epire et en Macédoine sont obligés de se soumettre à l’échange.

On sait que la Société des Nations a chargé la Commission mixte en Grèce de discerner les Albanais des Turcs de façon que les premiers ne soient pas chassés de leurs foyers.

Malheureusement, les autorités locales helléniques, par un excès de zèle, ont recours à des moyens détournés pour forcer les Albanais musulmans de la Grèce à fuir ce territoire.

Ces moyens sont la persécution systématique menée avec raffinement.

C’est ainsi que les Albanais de la Tchaméria (Prévéza Filates) sont journellement molestés et rançonnés par des brigands, sous les yeux de la gendarmerie et des autorités civiles grecques.

Le brigand Cile Mastora et son lieutenant Nikolas Kiamo se sont particulièrement spécialisés dans ce métier, dans le district de Paramithia (Adjonates), où les villages doivent leur payer tribut.

Les autorités helléniques ont réquisitionné les maisons des Albanais et y ont installé par force des réfugiés, mettant les premiers dans les rues, tandis que les maisons des chrétiens ne sont jamais réquisitionnées.

Les villages de Carbunare, Gardhiqi, Dragumi ont été vidés de leurs habitants, qui se sont réfugiés à Parga et Margariti, dans la misère la plus noire.

Les autorités ferment l’œil, ne donnent jamais raison aux Albanais, mais, par contre, appuient l’action des brigands. C’est ainsi que le sous-lieutenant Papas terrorise la population de Filate, et les Albanais qui osent porter plainte contre les brigands sont soumis à la bastonnade. Des brigands s’imposent officiellement comme rançonneurs aux paysans albanais, et malheur à ceux qui ne veulent pas s’y soumettre. Par exemple, le brigand Théodore Tsimando a été imposé aux villageois de Lopes.

Les brigands Nejo et Haidus rançonnent les villages albanais de Lopes, Koska Sqepar, Spatar, et comme les Albanais ont eu des velléités de se soustraire à ce tribut, l’officier Papas (dont nous avons parlé plus haut) a battu devant tout le monde les Albanais Adelin Pilafi et Roustem Hamza de Versela, pour la raison qu’ils refusaient de payer tribut auxdits brigands.

Il n’est point permis aux Albanais de se plaindre des violences et des vols commis par des réfugiés ; ainsi les Albanais Mamo Balo, Schuaib, Malo Moustafa Said, Adem Schuaib et Kerim Melak, de Margelletch (Margariti), ont été mis en prison et envoyés à Prévéza pour avoir osé se plaindre de ce que les réfugiés leur enlevaient les olives, les fruits, les légumes de leurs vergers.

La politique suivie par ces traitements est celle d’obliger les Albanais à quitter la Grèce. Les autorités persécutent ceux des Albanais qui se déclarent tels et ne veulent pas quitter leurs foyers.

Ainsi les Albanais Haki Musa, Musa Demi (Filâtes), Omer Tchapari et Djevad Merouche (Préveza) ont été traduits devant le tribunal comme « propagandistes albanais ». Le mufti de Filates a été également traduit devant le tribunal, mais remis immédiatement en liberté sur la promesse de se déclarer partisan de l’échange.

Le préfet de Préveza Djekas a menacé les Albanais Cheik Sabri, Mehmet Buza et Chukri Abaz pour avoir osé dire devant la Commission mixte qu’ils sont Albanais et que, par conséquent, ils ne doivent pas quitter le pays.

Les persécutions subies par les Albanais des villages situés dans les préfectures de Florine et de Castoria ne sont pas moins écœurantes.

Là aussi, on a tout enlevé aux Albanais, maison, récolte, bétail, et, afin de les forcer à partir, on les soumet à des maltraitements journaliers. Ainsi les nommés Mustafa Ismail et Démir Mustafa, originaires du village albanais de Révani (Castoria), ont été battus à mort le 28 avril 1924 dans le poste militaire de Révani et dans celui de Calovishta. Les visages et les corps des deux victimes étaient devenus une masse informe qui n’avait plus rien d’humain.

Un autre Albanais, Addullah Zékir, de Slivéni (Castoria), a été assassiné le 4 mai 1924 par des réfugiés sans que les autorités aient fait la moindre tentative pour l’arrestation du meurtrier.

Source : gallica.bnf.fr/ Bibliothèque nationale de France
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9782416k/f248.image

Publié également en albanais : https://www.darsiani.com/la-gazette/shperngulja-dhuna-dhe-vrasja-e-cameve-nga-autoritetet-greke-deshmia-ne-dokumentin-zyrtar-te-lidhjes-se-kombeve-1925