Réfugiés dans les Balkans : vers une nouvelle crise humanitaire en Serbie ?

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Des arrivées plus nombreuses, des refoulements plus violents... Face au manque d’hébergement, la situation devient de plus en plus intenable pour les réfugiés bloqués en Serbie. Alors que l’hiver approche, le gouvernement fait l’autruche. Entretien.

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Propos recueillis par Philippe Bertinchamps

Les barbelés de la frontière hongroise
© Facebook / No Name Kitchen

Radoš Đurović est l’un des fondateurs et le directeur exécutif de l’Asylum Protection Center (APC/CZA), une ONG serbe qui fournit une aide juridique et psychosociale aux demandeurs d’asile et aux réfugiés.

Le Courrier des Balkans (CdB) : Comment décririez-vous la situation actuelle pour les réfugiés en Serbie ?

Radoš Đurović (R.Đ.) : La situation est difficile. Tous les jours, nous voyons environ 300 personnes qui entrent en Serbie via la Macédoine du Nord. Les arrivées sont en constante hausse. Depuis le début de l’année, on estime qu’environ 70 000 personnes sont entrées sur le territoire serbe. On en compterait en ce moment 10 000, c’est trop par rapport aux capacités d’accueil du pays.

CdB : D’où viennent les réfugiés et quel est leur profil ?

R.Đ. : Ils sont passés par la Turquie, puis la Bulgarie avant d’arriver en Macédoine du Nord et en Serbie. La plupart sont des hommes seuls, des ressortissants afghans et syriens pour la plupart, mais aussi des gens venus d’Irak, du Kurdistan, d’Afrique, du Maghreb... On compte parmi eux environ 10 à 15% de familles, des femmes avec des enfants. Ils marchent en direction des pays de l’Union européenne, qu’ils considèrent comme leur dernière chance.

CdB : Mais l’UE ne les laisse pas franchir ses frontières...

R.Đ. : Le problème est qu’une fois arrivés à la frontière hongroise, ils subissent des refoulements extrêmement violents, que je n’hésite pas à qualifier d’inhumains. Les autorités hongroises violent délibérément les accords de réadmission avec la Serbie. Elles font comme s’ils n’existaient pas. Aussi, la plupart du temps, les autorités serbes ne sont pas informées de ces retours forcés.

CdB : Le nombre de refoulements est-il élevé ?

R.Đ. : Une centaine par jour. Certains weekends, leur nombre peut même s’élever jusqu’à 2000. Si l’on tient compte des effets combinés des entrées dont le nombre est en forte croissance et de ces retours forcés incessants, la situation devient vite intenable, particulièrement en termes de capacité d’accueil. Et bien sûr, cela fait le jeu des passeurs.

CdB : Quel est le prix à payer pour passer clandestinement la frontière ?

R.Đ. : Le prix du passage est compris entre plusieurs centaines et quelques milliers d’euros. Il faut bien comprendre que c’est un business très lucratif, car à la différence du trafic d’armes ou de drogues, ici, les passeurs peuvent faire payer plusieurs fois une seule et même personne qui a été repoussée par la Hongrie de l’autre côté de la frontière. Tout cela fait le jeu de ces réseaux criminels au point que des violences éclatent entre eux, comme en juillet, pour le contrôle de ce business.

CdB : Quelle est la situation dans les centres d’accueil gérés par le gouvernement ?

R.Đ. : Que ce soit dans le sud de la Serbie, comme à Preševo, ou dans le nord, en Voïvodine, à Adaševci, Sombor et Subotica, les centres d’accueil sont débordés, avec tous les problèmes d’hygiène que cela entraîne. Si les personnes en transit y restaient un jour ou deux, pas plus, la situation ne serait pas aussi dramatique. Or, ce n’est pas le cas. Non seulement les camps débordent à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur. Que ce soit dans l’enceinte des camps ou au-dehors, on voit partout des tentes pousser.

CdB : Quelle est la capacité d’accueil de la Serbie ?

R.Đ. : La Serbie peut accueillir jusqu’à 6000 personnes. Bien en-deçà de ce qu’il faudrait actuellement.

CdB : Face au risque de crise, quelle est la réaction des autorités serbes ?

R.Đ. : Pour autant que nous la sachions, la Croix Rouge est aux abonnés absents. Quant au Commissariat pour les réfugiés, il brille une fois de plus par son manque de professionnalisme. Notamment quand il s’agit des directeurs des centres qui ont la plupart du temps été nommés malgré leur manque flagrant d’expertise et qui ont en plus tendance à considérer les migrants comme des personne en situation d’illégalité, ce qui n’est pas le cas. De notre côté, nous avons beau tirer la sonnette d’alarme, rien n’y fait. La réponse du Commissariat est encore et toujours d’une lenteur incroyable, comme si le gouvernement, préoccupé par d’autres problèmes, se désintéressait de la question.

CdB : Dès lors, que peuvent faire les réfugiés ?

R.Đ. : Partir est la seule solution. Mais comment ? Faute d’hébergement suffisant et à cause des refoulements, la Serbie devient un cul-de-sac, une situation comparable, toutes proportions gardées, à Calais.

CdB : Comment réagissent les communautés locales ?

R.Đ. : Elles ont peur, se sentent menacées et bien évidemment, les groupes radicaux d’extrême-droite, comme les Patrouilles du peuple, se font entendre de plus en plus fort. Au moindre incident, aussitôt relayé par les médias, ces groupes en profitent pour jeter de l’huile sur le feu, alimentant la méfiance de la population à l’encontre des musulmans qui sont aussitôt suspectés d’être des terroristes potentiels.

CdB : Quelles mesures la Serbie devrait-elle prendre pour éviter une nouvelle crise humanitaire ?

R.Đ. : En Voïvodine, Médecins sans frontières (MSF) est de nouveau sur le terrain. Du côté du gouvernement, la réponse consisterait d’une part à augmenter immédiatement les capacités d’hébergement de base, et d’autre part à dénoncer publiquement les violations des accords de réadmission par la Hongrie, ce qu’il s’abstient malheureusement de faire.