Blog • Quand le French bashing s’empare des Roumains…

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Bien avant l’arrivée en finale de la sélection française, on le sentait venir, puis cela n’a cessé de monter pour atteindre des sommets pendant et au lendemain de sa victoire contre l’équipe nationale croate : que vient faire dans une compétition aussi prestigieuse que la Coupe du monde de football ce ramassis de Noirs et d’Arabes présentés par une France qui nous a tant agacé en prétendant donner des leçons au monde ?

Les médias sociaux des anciens pays communistes ont été à la pointe d’une insurrection raciste sans précédent à ma connaissance ayant comme cadre le monde sportif. Par certains côtés, les échanges entre les « amis » et « amis des amis » faisaient penser aux commentaires des chroniqueurs nazis aux jeux Olympiques de Berlin en 1936 sur les athlètes de couleur et les pays décadents qu’ils représentaient. Mais, cette fois-ci, il n’y a pas eu l’appareil nazi de propagande derrière ces manifestations qui affichaient l’horreur du mélange et prônaient la supériorité de l’homme blanc (sobrement désigné "l’Européen"). Tout simplement, elle révélaient au grand jour un fort sentiment de mépris et de haine qui couvait depuis un moment et dont on pouvait deviner l’existence mais pas l’intensité.
Plus étonnants que l’injure raciste déclinée moyennant mille subterfuges cousus de fil blanc ce sont l’élan suscité par les performances de l’équipe croate, la ferveur manifestée par les fans de la dernière heure et le désarroi qui s’est emparé d’hommes et de femmes qui auparavant à peine connaissaient la Croatie lors de la défaite de son équipe nationale. Certains l’attribuèrent d’ailleurs à un complot des organisateurs avec la participation de l’arbitre. Le match Croatie-France, c’était surtout le petit face au gros, le favori, certes, mais aussi les petits Blancs, « si professionnels », face aux « Noirs de deux mètres », pour reprendre des expressions rencontrées sur le Facebook roumain. Le dérapage n’était pas systématique mais assez fréquent.

Le complexe du colonisé (culturel) et la vague antifrançaise

Pourquoi, dans un pays comme la Roumanie, s’en prenait-on avec un tel acharnement à la France en particulier ? La chose n’était pas nouvelle, les premiers signes dans ce sens sont apparus au lendemain de la chute du communisme et, il y a un mois, on a assisté à une répétition générale du procès intenté à la France qualifiée vertement de raciste à cause de la caricature de Charlie hebdo dont le crime était d’assimiler les Roumains aux Roms (comme si les nombreux Roms de Roumanie présents en France n’étaient pas eux aussi des Roumains). A cette question, la « recommandation » postée par Robert Adam dimanche matin, à la veille de la finale, apportait à sa façon une réponse :

« Pour soutenir ce soir la Croatie, le Roumain facebookeur a dû devenir, dans l’ordre, d’abord « roumain » et seulement après « facebookeur ». Ceci ne serait pas arrivé sans le soutien de la France. Il n’aurait pas eu les révolutionnaires de 1848, l’Union des Principautés en 1859, la dynastie royale, les institutions politiques dans leur première mouture, la Grande Union de 1918 et même pas la langue roumaine moderne et sa littérature. Il aurait vraisemblablement constitué une nation informe au sein de l’Empire russe jusqu’en 1918 dont les intellectuels auraient parlé un roumain rudimentaire mais se seraient exprimé de façon créative en russe. Et il aurait soutenu aujourd’hui la Croatie au nom de la fraternité slave. Mais aujourd’hui, le Roumain le fait juste par esprit de fronde (évidemment, encore un mot français) à l’égard de l’arrogante France.
Pour casser le consensus, ’’Allez les Bleus’’ ! La France gagne. »

En mettant en avant ce que l’on pourrait appeler le complexe du colonisé (culturel) assez répandu chez les Roumains, l’auteur du message soulevait une question sensible qui continue de faire débat. L’intérêt porté par un Napoléon III aux Principautés danubiennes n’était certes pas innocent, et il en va de même pour tant d’autres aspects des rapports politiques, culturels et intellectuels entre les deux pays jusqu’à la consécration de la « Grande Roumanie » au traité de Trianon de 1920. Mais le résultat est là et il n’est pas aisé de trancher. D’aucuns, en Roumanie même, vont jusqu’à voir dans leur pays une simple création de la France puis des Occidentaux contre la Russie tsariste d’abord et le communisme ensuite. D’autres s’ingénient à faire remonter les « travers » des Roumains de nos jours aux écarts par rapport au modèle initial. D’autres, les plus nombreux, se dépensent sans compter pour valoriser l’apport autochtone avec des résultats pas toujours encourageants. Toujours est-il que les frustrations qui résultent de ces incertitudes se traduisent par une agressivité qui ne recule devant aucun moyen d’autant plus gratuite que l’influence de la France a beaucoup décliné ces trois dernières décennies au cours desquelles les anglicismes ont pris le relais des emprunts du français après la pause observée au cours des années 1950 marquées par l’afflux de russismes dans le langage politique. Décidément, le pays a encore du chemin à faire pour clarifier son rapport aux « autres » au cours de son histoire et la solution n’est pas pour demain.

Ferraille, ferraille : la version détournée

En attendant, le racisme, qui mobilise somme toute seulement une minorité d’actifs et de bavards, mais agissant dans l’indifférence de la majorité des Roumains, continue de poser de sérieux problèmes. Hier encore, une plateforme intitulée « mouvement de résistance » postait une caricature montrant le personnage de Charlie hebdo portant le maillot des Bleus et tenant dans ses mains le trophée de la Coupe du monde de football au lieu de celui de Roland-Garros remporté par Simona Halep. « Ferraille, ferraille, eh bien, vous nous avez traités de Roms, nous vous traitons de Noirs ! », semble vouloir dire l’auteur du détournement. L’idée que les personnes d’origine africaine nées en France puissent être des Français et que les Roms, présents depuis des siècles sur le sol de la Roumanie actuelle, des Roumains a apparemment toujours du mal à passer.