Traduit par Ph.B.
Slobodan N. Vukosavić est professeur à l’Université de Belgrade, chef du Département de l’Énergie, membre de l’Académie serbe des sciences et des arts (SANU), et président du Conseil académique pour l’énergie.
Les conséquences du réchauffement climatique nous obligent à abandonner les combustibles fossiles. L’Agenda Vert prévoit la construction de véhicules électriques, de batteries, de centrales solaires et de parcs éoliens, pour lesquels il est nécessaire d’extraire de grandes quantités de minéraux critiques, peu présents dans la lithosphère (<0,1 %) et difficiles à obtenir en raison de la pollution de l’eau, du sol et de l’air causée par leur extraction.
Les nouvelles technologies d’extraction ont un impact environnemental moindre : elles ne nécessitent pas la construction de décharges, ne perturbent pas les couches de sol biologiquement actives et n’impliquent pas le rejet d’eaux polluées dans l’environnement, reposant plutôt sur la recirculation complète, la réinjection, etc.
Malheureusement, ces nouvelles technologies sont plus coûteuses et ne sont pas acceptables pour les entreprises souhaitant concurrencer la Chine. C’est pourquoi la plupart des mines dans les pays du tiers-monde sont construites de manière traditionnelle, avec des décharges.
Les principaux experts allemands affirment que l’exploitation minière dans l’UE serait trop onéreuse et que les lois environnementales strictes de l’UE rendent l’obtention des permis appropriés beaucoup plus difficile. Les pays de l’UE ne veulent pas de mines qui, suivant les pratiques du XIXe siècle, utilisent des décharges et rejettent des eaux problématiques dans l’environnement.
Ils affirment que l’intérêt à long terme de l’UE est d’ouvrir des mines dans des pays où l’environnement n’est pas une priorité, et où l’exploitation minière peut être réalisée à moindre coût, au détriment de l’environnement.
Le projet Jadar prévoit l’utilisation de décharges et rejettera occasionnellement des eaux toxiques dans l’environnement. La production prévue d’acide borique et de sulfate de sodium générerait de grandes quantités de déchets dangereux, dont l’élimination est prévue sur des terres exposées aux torrents et aux inondations, de plus en plus fréquents et intenses en raison du changement climatique.
Les scientifiques indiquent que le rejet inévitable de substances toxiques de la mine de Jadar dans l’environnement causerait des dommages d’une ampleur considérable. Il n’est pas clair s’il y aura ou pourra y avoir une quelconque dépollution de l’environnement, car aucun fonds adéquat, garantie ou autre instrument financier incontestable pour l’indemnisation des dommages n’est prévu. À la place, on propose des promesses vagues, des déclarations non contraignantes et des études optimistes commandées et financées par des multinationales, tandis que les résultats d’études indépendantes sont ignorés.
Sous l’influence des entreprises, de nombreuses décisions de l’agenda vert ignorent les résultats scientifiques objectifs, promeuvent l’impératif du marché et du profit, en négligeant les lois de la physique et les limites des ressources mondiales. Dans les pays dotés d’un plan de développement cohérent, la recherche est orientée vers des technologies nécessitant moins de minéraux critiques, comme les voitures fonctionnant avec des carburants verts, l’utilisation de sources renouvelables hors réseau (pour la production de carburants verts), les centrales nucléaires, les centrales géothermiques, etc.
Ces changements ont déjà un fort impact sur le développement prévu des principaux fabricants non européens, réduisant considérablement les perspectives de profits à long terme liés à l’exploitation du lithium.
L’UE a intégré le projet Jadar dans ses plans, bien qu’aucun signe n’indique qu’elle y investira son propre argent. Elle ne prévoit pas de réactiver d’anciennes mines dans les zones arides d’Allemagne (Cinvald) et d’Autriche (Koruska), d’où le minerai pourrait être transporté vers le désert arabique, en y laissant les déchets toxiques. Elle propose plutôt la destruction d’un paysage fertile et sain en Serbie, offrant une vie de qualité et durable.
Les entreprises impliquées sont motivées par l’augmentation à court terme des profits, ignorant en grande partie les dommages énormes et permanents qui menacent les intérêts vitaux des citoyens serbes. Leur arsenal pour mettre en œuvre des projets socialement nuisibles comprend la manipulation de l’opinion publique via les médias, l’imposition de récits préparés mais faux, la distraction de l’attention publique du sujet principal et la suppression systématique de toute opinion critique.
Les faits objectifs et les avis d’experts intègres n’atteignent pas les citoyens, tandis que la démocratie est réduite à une façade cachant les intérêts économiques de l’élite. Les contrats et autres informations essentielles ne sont pas accessibles au public, tandis que les médias diffusent les récits financés par le régime en place, formulés de manière à étouffer tout instinct d’autodéfense citoyenne.
Des travaux scientifiques évalués par des pairs et rédigés par des experts indépendants indiquent que le projet Jadar mettrait en danger l’approvisionnement en eau de 2,5 millions de personnes, menacerait l’agriculture, paralyserait d’autres activités économiques et entraînerait le déplacement de la population. Malgré cela, le régime en place s’emploie à discréditer les résultats scientifiques validés, tandis que les entreprises s’efforcent activement de réfuter toutes les conclusions qu’elles n’ont pas commanditées elles-mêmes.
Malheureusement, des politiciens européens aux tendances similaires les rejoignent dans cette démarche. D’excellents experts serbes en géologie et en exploitation minière se voient refuser la possibilité de participer à des recherches appliquées en géologie, réservées exclusivement aux entreprises. Quelques-uns acceptent des offres de ces entreprises et rédigent des études infondées sur l’exploitation minière, avec des conclusions positives préétablies. La diffusion de conclusions ignorant grossièrement la dévastation environnementale imminente induit une confusion dans une partie du public et masque les risques pouvant transformer ces personnes en réfugiés environnementaux.
Les visiteurs de l’UE en Serbie ignorent souvent les manipulations électorales, la dysfonctionnalité des institutions et les médias biaisés, mais prônent l’exportation des minéraux serbes vers l’UE et suggèrent même que la Serbie abandonne l’agriculture pour se consacrer entièrement à l’exploitation minière.
Les citoyens serbes s’attendaient à recevoir de l’aide de l’UE pour combattre l’autocratie, établir une démocratie parlementaire, restaurer les institutions du système, séparer les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, faire respecter la loi et lutter contre une corruption sans précédent. Bruxelles voit certainement ces failles, mais ne fournit pas l’aide attendue. Au contraire, l’UE semble vouloir exploiter ces faiblesses en collaborant avec l’autocrate serbe afin de transformer la Serbie en base de matières premières, en obtenant des minéraux critiques au prix de la désertification des terres, au détriment de la nature et des citoyens. Ainsi, l’avenir de la Serbie est compromis.
Le gouvernement autocratique serbe a déjà modifié les lois en faveur des entreprises et au détriment des citoyens. La réglementation nationale a récemment supprimé des restrictions sur certaines substances toxiques clés dans le sol et l’eau, permettant ainsi aux acteurs miniers en Serbie de polluer sans restriction, de pratiquer une extraction bon marché au détriment de la nature, de la faune et de la population, de construire des décharges et de rejeter des substances toxiques, tout en déclarant, à juste titre, qu’ils « respectent les lois de la Serbie ».
Des politiciens allemands lucides dissipent les illusions des promesses infondées de Bruxelles et envoient un message clair : l’UE ne peut pas être garante de la protection de l’environnement en Serbie, car cela relève de la responsabilité du gouvernement serbe actuel, ce qui donne aux citoyens serbes une vision claire d’un avenir sombre.
Contrairement aux objectifs de l’Agenda Vert, le projet Jadar prévoit la consommation de quantités importantes de combustibles fossiles, de dérivés du pétrole et de gaz naturel. L’énergie nécessaire à la production de carbonate de lithium à Jadar est bien plus élevée que celle requise pour le produire à partir de la saumure des lacs salés en Bolivie, au Chili, en Argentine et en Chine. L’énergie représente une part décisive du coût de production des matières premières et des produits finis ; ainsi, les perspectives de rentabilité du lithium extrait dans la vallée de Jadar sont fortement compromises par l’émergence d’un lithium beaucoup moins cher issu des eaux salines.
En fin de compte, les entreprises concernées déclarent qu’elles n’ont pas été attirées en Serbie par le lithium, mais par l’exploitation du borate. Le prix du lithium sur le marché mondial a chuté de plus de huit fois en seulement quelques années. Cette baisse est également due à l’intérêt croissant pour les voitures ne nécessitant pas de batteries au lithium. Outre les voitures fonctionnant aux carburants verts, des voitures (comme celles de BYD) avec des batteries au sodium sont désormais disponibles sur le marché, surpassant largement les batteries au lithium fer-phosphate (LFP) sur les plans technique, économique et de la sécurité.
Le projet Jadar est prévu dans une zone fertile, peuplée, dotée d’un potentiel agricole exceptionnel, au-dessus d’un système aquifère clé en Serbie. D’après les connaissances disponibles, il n’existe aucun moyen d’exploiter les minéraux ciblés dans une telle région sans que les dommages résultants ne soient incomparablement supérieurs aux bénéfices. Selon les estimations publiées par un groupe d’économistes indépendants serbes, les bénéfices que le projet Jadar apporterait à la Serbie seraient environ vingt fois inférieurs à la valeur de la production annuelle de framboises dans la région élargie, production qui serait négativement affectée par l’exploitation minière. Les dommages dus au rejet de substances toxiques et les coûts de la dépollution pourraient largement dépasser les recettes brutes, ce qui suggère que la pollution ne serait pas réparée et que les dommages seraient permanents.
Il est donc raisonnable de limiter l’exploitation du lithium aux zones désertiques, éloignées des sources d’eau clés, des systèmes aquifères, de l’agriculture et des zones habitées, ce qui est d’ailleurs la pratique habituelle jusqu’à présent. En Serbie, le gouvernement autocratique a envisagé l’ouverture de plus de 40 mines, principalement dans des zones peuplées, avec une agriculture prospère et rentable, ainsi que des réserves stratégiques d’eaux souterraines.
Si l’exploitation minière prévue en Serbie est menée à bien malgré la volonté clairement exprimée des citoyens, la population concernée se verra privée de ses droits humains fondamentaux. Les citoyens, l’État et les utilisateurs européens intéressés par les minéraux serbes pourraient alors entrer en conflit, car le droit légitime de la population à l’autodéfense impliquerait l’interruption de l’approvisionnement en minéraux, menaçant ainsi la production de biens technologiques dans les usines de l’UE.
Cependant, des experts allemands affirment que l’UE n’a d’autre choix que d’« exporter » ses problèmes environnementaux vers d’autres pays, où la protection de la nature, les droits humains et les conditions de travail sont bien plus faibles que dans l’UE. Sa participation à la construction de mines controversées en Serbie serait un signe clair que l’Europe ne considère pas la Serbie comme un futur membre à part entière de l’UE.
La Serbie est située en Europe et est intrinsèquement liée à l’UE. Pourtant, les perspectives de relations mutuelles sont doublement menacées. Afin de mettre en œuvre une exploitation minière bon marché, avec décharges et rejets d’eaux problématiques dans des pays dépendants (alors même que l’UE lutte activement contre les sécheresses et la pollution), l’UE a intérêt à soutenir des gouvernements autocratiques qui acceptent ces conditions, ce qui entrave fortement le développement de la démocratie et nuit à la stabilité à long terme de la région.
Dans un contexte de corruption généralisée, de domination inconstitutionnelle du sommet du régime sur le pouvoir judiciaire, législatif et exécutif, et d’impunité pour les manipulations électorales massives, le soutien que les responsables de l’UE apportent aux autorités autocratiques en Serbie, ainsi que leur insistance sur une exploitation minière bon marché et dévastatrice, sapent fondamentalement la confiance des citoyens serbes envers l’UE. L’érosion de la confiance qu’avait une grande partie de l’opinion publique serbe envers l’Union ouvre la voie à l’influence de puissances non-européennes, ce qui est contraire aux intérêts de la Serbie, mais aussi à ceux de l’UE.
Au lieu de l’impasse décrite, une voie de coopération devrait être trouvée, qui apporterait des bénéfices aux deux parties. Depuis de nombreuses années, une entreprise chinoise exploite le cuivre et de nombreux minéraux critiques dans les villes serbes de Bor et Majdanpek. Ainsi, des quantités significatives de cuivre européen sont remises à une entreprise non-européenne. L’exploitation de la mine et de l’usine entraîne des émissions de métaux lourds et toxiques dépassant les valeurs limites de plusieurs dizaines de fois, ce qui accroît considérablement l’incidence des maladies et des décès dus à des affections non contagieuses. À Bor, le nombre d’employés (hors travailleurs étrangers) est comparable au nombre de patients en oncologie, tandis que la population (hors étrangers) a déjà diminué d’environ 20 %.
Selon les données disponibles, la Serbie perçoit moins de 3 % de la valeur marchande totale des minéraux, un montant très proche des projections de recettes que la Serbie tirerait du projet Jadar (calcul proposé par l’ancien gouverneur de la Banque nationale de Serbie et trois économistes de renom). Alors que la demande de cuivre augmente, les précieuses réserves européennes de cuivre sont cédées à la Chine pour presque rien, ce qui montre qu’il existe une marge de coopération entre la Serbie et l’UE, mais qu’elle se situe dans le bassin de Bor, et non dans la vallée de Jadar.
La coopération avec l’UE et le sauvetage de la Serbie du chemin précipité vers l’extinction exigent que tous les auteurs de violations de la loi et de la Constitution soient punis, y compris les hauts représentants du régime au pouvoir, et que tous soient privés de l’accès à l’argent et au pouvoir acquis illégalement. Telle est la tâche et le devoir des citoyens de Serbie. Il suffirait que l’Europe cesse d’apporter son soutien aux usurpateurs, aux dirigeants non démocratiques et aux contrevenants.









