Mémoire des Juifs des Balkans (8/10) • Le jardin abandonné de Greta et la saga de la famille Minh

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C’est l’histoire d’une grande famille d’industriels juifs qui a fait fortune dans la Serbie du début du XXe siècle. La crise de 1929 a été le premier choc, puis est venue la Seconde Guerre mondiale et l’occupation nazie... De la splendeur passée ne reste plus qu’un patrimoine en friche. Reportage en accès libre sur la saga des Minh.

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Texte : Milica Čubrilo Filipović | Photos : Marija Janković

© CdB / Marija Janković

Cet article est le huitième volet d’une série de reportages sur la mémoire « à demi-oubliée » des Juifs des Balkans. Avec le soutien de l’ambassade de Suisse à Belgrade.


Au cœur de Belgrade, dans le quartier de Crveni Krst, rue Bregalnička, se trouve un parc à l’abandon envahi par les ronces. Il y a bien longtemps qu’il ne sert plus de bioskop bašta, un « jardin-cinéma » où l’on venait regarder des films projetés sur un écran géant en béton. Il ne reste plus que le vieil Aca qui s’est improvisé un abri dans le soubassement de la plateforme où il accumule des montagnes de bric et de broc qu’il répare et revend. Des Roms occupent ce qui fut l’ancienne guérite du projectionniste. Tout ce petit monde cohabite avec les gens du quartier qui viennent y prendre l’air ou emmener leurs enfants jouer, à défaut d’autres espaces verts.

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Ce petit parc de piètre apparence, qui se souvient que ce fut le jardin botanique de Margarita Minh, surnommée « Greta », dont l’élégante villa à l’architecture moderne est toujours visible de l’autre côté du mur, rue Silvije Kranjčević ? Si les ginkgos centenaires et le majestueux cèdre du Liban savaient parler, eux seuls nous diraient qui les a plantés. « Je n’avais pas dix ans et nous avions l’habitude de sauter la clôture pour pique-niquer près du bassin où nageaient les poissons, sans que personne ne nous l’interdise jamais... » Melanija, 89 ans, est née dans le quartier de Crveni Krst. « Après la Seconde Guerre mondiale, nous n’avons plus eu de nouvelles des Minh. Quel sort leur a été réservé ? Certains ont-ils survécu à l’Holocauste ? Ce sont des questions que je me pose souvent… À l’époque, il y avait beaucoup de Juifs dans notre quartier. »

© CdB / Marija Janković
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Des années plus tard, Melanija a pris l’habitude de retourner dans ce parc, alors transformé par la société cinématographique sociale Beograd film en cinéma en plein air, cette fois assise par terre sur un coussin parmi le public pour se régaler de films fantastiques d’aventures comme Čudotvorni mač (« L’Épée enchantée », 1950). La villa de Greta a été nationalisée par le régime communiste, avant que l’usufruit n’en soit laissé à l’ambassade des États-Unis, puis à celle d’Irak au début des années 1970. Depuis la fin des années 2000, le tentaculaire jardin d’enfants Baby Palace y a pris ses quartiers. Seuls les vitraux de la porte d’entrée témoignent encore du style de l’époque.

Au bistrot du coin, on soupire de résignation : si la mairie ne se donne pas la peine d’entretenir le parc, c’est parce que des investisseurs immobiliers viendront bientôt y creuser un grand trou pour ériger des cubes de béton hideux.

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À 200 kilomètres au sud-est de la capitale, au pied de la montagne de Rtanj en forme étonnante de pyramide, le nom de Minh évoque des souvenirs diffus. À l’entrée du village lui aussi nommé Rtanj – un hameau d’une centaine d’âmes dépendant de la commune de Boljevac – Mikan, 66 ans, prend son café et profite du soleil. Son père était ouvrier mineur. « Les Minh, on n’en parlait pas, c’était l’époque du socialisme. » Mais, ajoute-t-il, ils avaient bonne réputation. « Ils ont beaucoup fait pour les habitants. C’est d’ailleurs dans une de ces maisonnettes de mineurs qu’on passe nos week-ends », dit-il en montrant une lignée de petites habitations en bois branlantes. Quelques pas plus loin, le long de la route défoncée qui traverse le village, près des containeurs débordants d’ordures, on distingue l’ancienne entrée des mines, aujourd’hui recouverte de broussailles. Une plaque commémorative ornée de l’étoile rouge y a été apposée en hommage à Aloja Hiršl, un partisan communiste (juif ?) exécuté par les nazis en 1941. Mais des Minh, aucune mention.

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Cette famille a pourtant compté parmi les grands bâtisseurs de l’industrie serbe, selon Ženi Lebl, auteur de Until the Final Solution - Jews in Serbia [1].

En 1870, Samuel Minh quitte sa Moravie natale pour s’établir à Paraćin, en Serbie centrale, à 160 kilomètres au sud de Belgrade. La même année, il fonde la première usine textile moderne des Balkans. Les machines importées d’Europe de l’Ouest sont transportées sur le Danube en chaland puis, depuis le port de Smederevo, sur des chars à bœufs. C’est un succès : les Minh exportent leurs tissus dans toute l’Europe occidentale et centrale. De Paris à Vienne, ils remportent prix sur prix. L’aîné, Julius, encourage son père à investir dans les mines de charbon, en plein développement en Serbie orientale. Rtanj ouvre en 1902, propriété de la Compagnie industrielle des frères Minh. Un pari audacieux dans cette région reculée, surnommée la « Sibérie serbe » faute de chemin de fer.

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En pas moins de dix ans, les Minh construisent une centrale électrique à vapeur, une liaison ferroviaire Rtanj-Zaječar et un téléphérique. Les mineurs ont droit à un hébergement individuel qu’ils meublent avec ce qu’ils fabriquent sur place dans les ateliers. Mais la Grande Guerre éclate : l’occupant allemand détruit les machines et met le feu à la mine.

Au lendemain de l’armistice, les Minh retroussent à nouveau leurs manches. Après le décès de Samuel dans un sanatorium à Vienne en 1919, Julius prend les rênes de l’entreprise. À ses côtés, Greta Konrad, son épouse, une Juive d’Autriche rencontrée en Slovénie dans un sanatorium où elle était infirmière alors qu’il était traité de la tuberculose. Il sera aussi secondé par son frère Adolf et son demi-frère Alexandre.

Très vite, la mine de Rtanj attire des ingénieurs, des techniciens et des mineurs allemands, croates, hongrois, tchèques, russes, slovènes… La population quadruple en six ans, dépassant les 2000 habitants. Un hôpital voit le jour, une boulangerie, une épicerie, une auberge, un centre culturel et un cinéma. Greta et Julius n’ont pas d’enfants, mais ils ouvrent une école qui, en 1929, comptera 60 élèves. Gymnase, piscine, école de ski, terrain de foot… Des bourses sont même accordées aux élèves les plus méritants pour qu’ils poursuivent leurs études à Vienne. « Le samedi et le dimanche, un orchestre de 25 musiciens jouait pour les mineurs et leur famille », peut-on lire dans Beogradski stranci (« Les Étrangers de Belgrade » — un titre lui-même étrange : les Minh étaient-ils des « étrangers » ?), publié en 2009 par l’Office de tourisme de Belgrade.

© CdB / Marija Janković
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Tous ces espaces sont maintenant vides, fermés, menaçant ruine, quand ils n’ont pas tout bonnement déjà disparu. Le gymnase, ancien Sokolski dom (« Foyer des faucons », une sorte mouvement de scoutisme slave créé par un Tchèque sous l’Empire austro-hongrois), a un temps servi de Dom pionira (« Foyer des pionniers »). Mais à la suite d’une vente controversée par la municipalité dans les années 2000, plus personne ne l’utilise désormais. Pour s’approcher des bâtiments, il faut enjamber les orties, les églantiers et les fougères. Au centre du village, l’ancienne demeure des Minh repose, le toit éventré. Plus haut, un vaste parc s’étend sur 40 hectares, ayant contenu près de 150 espèces de plantes et une roseraie de plus de 3000 variétés.

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« Longtemps je me suis demandé ce que cachait cette étrange forêt de contes de fées… » C’était au tournant des années 2000. Vesna Nikolić, institutrice, est embauchée depuis quelques mois à la colonie de vacances de Rtanj. « Malgré les ravages du temps, une magnifique coupole se dressait fièrement entre deux ifs. J’imaginais des dames se promener et des messieurs causer affaires tout en fumant la pipe. Il ne manquait plus que les violons… Je n’en revenais pas ! Un décor belle époque en ce lieu si désolé. » Elle fera la rencontre d’« oncle Rudi », un villageois qui a connu les Minh et sauvegardé des photographies. Il lui transmettra ses souvenirs, que Vesna Nikolić mettra par écrit. En 2008, le premier prix du concours de l’Association juive de Serbie, catégorie « Chroniques et mémoire », lui a été décerné.

Greta, Vera, Vida

À la débâcle financière après le krach retentissant qui secoua Wall Street en 1929, s’ajoute une grande sécheresse dans la région de Rtanj. Julius a juré aux paysans de les pourvoir en blé et en maïs, mais pour des raisons inconnues la douane saisit la marchandise. C’est le drame. Ne pouvant remplir sa promesse, Julius se suicide à Belgrade en 1931. Greta prend la tête de l’entreprise, avec l’aide d’Adolf et d’Alexandre. Elle fera bâtir une chapelle au sommet du mont Rtanj, à 1565 mètres d’altitude, en l’honneur de son époux. Les pierres seront transportées à dos d’âne.

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En 1937, Greta fait ériger sa villa, située alors rue Nova, près du parc Borov à Belgrade. Le projet d’architecture est conservé aux Archives de la ville. « Formes cubiques, façades plates sans éléments décoratifs, toit plat… Du superbe Bauhaus », juge l’architecte Mirjana Roter Blagojević, co-auteur de Kuće beogradskih jevreja 1920-1941 (« Maisons des Juifs belgradois 1920-1941 »).

Greta est à mille lieues d’imaginer que, quatre ans plus tard, le pays tombera sous la botte nazie. De nouveau, le sort frappe les Minh. Ils sont dénoncés par l’ingénieur en chef Holik et un certain Bauer.

© CdB / Marija Janković

Apprenant que la Gestapo a fusillé Alfred Herman, le neveu de Julius, et sachant sa fin proche, Adolf se suicide, la kippa posée sur la tête, devant l’entrée de son garage, 11 rue Vojvoda Protić, aujourd’hui rue Radoslav Grujić. « Les voisins les plus âgés se souviennent que son épouse Elisabeth les invitait à manger des beignets chauds et à se baigner dans la piscine avec ses enfants, Vera et Georges », apprend-on dans Beogradski stranci. Le même ouvrage cite une lettre d’Adolf : « J’ai élevé mes enfants pour qu’ils soient humains et qu’ils aient une âme. En ces temps cruels, l’humanisme est une faiblesse. Mais si c’était à refaire, je ferais pareil. Il est difficile d’être humain, mais ça reste la meilleure voie ». Greta trouve refuge dans la montagne, à Ilino, un hameau voisin de Rtanj, chez la famille Radenković. Elle y meurt en 1947. À Rtanj, le souvenir des Minh s’efface progressivement de la mémoire.

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Quant au demi-frère Alexandre, propriétaire avec son épouse Alisa d’une somptueuse villa moderniste érigée en 1930 dans le quartier huppé de Dedinje, il voit l’occupant réquisitionner les lieux en 1941 pour y installer ses services économiques. Leur fils Pavle avait 17 ans. « Jusque-là, nous avons eu une jeunesse dorée », témoigne au téléphone Bubiša Simić, 99 ans, chef d’orchestre et pionnier de l’ethno-jazz serbe, qui est resté un ami fidèle de Pavle jusqu’à la mort de celui-ci en 2017. « Le week-end, nous nous réunissions pour des après-midi dansants, de 17h à 20h. Pavle jouait du piano dans l’orchestre de jazz de notre école. »

Dans ses mémoires, Four years in the shadow of death (« Quatre ans dans l’ombre de la mort »), que la bibliothèque virtuelle juive a publiées en 2007, Pavle raconte comment, le 16 avril 1941, son père et lui ont dû porter le brassard jaune les désignant comme juifs, avant d’être transférés à Topovske šupe, dans le quartier d’Autokomanda, où l’occupant avait parqué les Juifs et les Roms de Belgrade en attendant de les fusiller. Pavle et son père ont été assignés aux travaux forcés. « Je ne sais pas exactement qui nous a aidés, mais en novembre, munis de laissez-passer et d’un visa italien, nous avons réussi à embarquer dans un train en direction de Sušak, via Zagreb, et nous sommes descendus à Kraljevica, une petite ville côtière proche de Rijeka, sous administration militaire italienne. Une zone moins dangereuse que les territoires contrôlés par les oustachis croates. Quand les Italiens se sont mis à leur tour à faire la chasse aux Juifs, nous avons échappé aux camps, car selon nos papiers, nous étions catholiques. »

Pavle rejoindra les partisans de Tito en 1943. À la libération, ses parents emménageront dans un petit appartement rue Birčaninova, à Belgrade. Alisa y mourra en 1967, Alexandre en 1977.

Greta
© Archives familiales

« Adolf, mon grand-père, avait organisé à temps la fuite de sa famille. Mais lui, il n’a pas pu sauver sa peau. » Vida Jovanovic-Minh vit au Mexique. « Elisabeth Traihel, ma grand-mère, une Juive d’origine allemande convertie au catholicisme après la Première Guerre mondiale, a réussi à se cacher. Comment ? Je ne sais pas », explique par visioconférence depuis Mexico City cette pétillante photographe aux cheveux frisés. « Leur fille Vera, ma mère, a épousé un Serbe orthodoxe. Ce fut un mariage in extremis. Ils ont rejoint la Suisse à pied, chez mon oncle Georges, le frère de Vera, munis de laissez-passer que mon grand-père leur avait procurés. Puis ils ont continué vers l’Angleterre, et de là, un bateau les a emmenés en Amérique. Mais à cause du système des quotas, ils ont débarqué à Cuba, où je suis née en 1949. Dix ans plus tard, nous avons déménagé au Mexique. Quant à mon oncle Georges, il est allé au Brésil, où mon grand-père Adolf avait acheté des terres des années auparavant, au cas où… »

Julius
© Archives familiales

Vera fera un retour en Serbie avec Vida âgée de 17 ans, en 1967, l’année de la fermeture des mines. « Nous étions à Rtanj en train de nous promener, et je me souviens que quelqu’un est accouru demander à ma mère si c’était elle Vera. Après, ma mère a longtemps pleuré. » Mais ni Vera ni son mari ne souffleront mot du passé à leurs enfants. « Ce n’est qu’après leur décès, elle en 1999 et lui en 2004, que les pièces du puzzle ont commencé à s’ordonner. Je séjournais à Belgrade chez ma tante paternelle Seka. C’était il y a quinze ans... Comme je voulais savoir où se trouvait la maison de ma mère, elle m’a conseillé de me renseigner auprès du Musée historique juif. Là, j’ai découvert que cette maison, 11 rue Radoslav Grujić, abritait le Bureau de protection des monuments historiques. J’ai aussi reçu le contact du fils d’Alexandre, Pavle, qui vivait en Israël depuis 1955. Puis on m’a parlé de Vesna Nikolić, l’institutrice qui avait découvert l’histoire des Minh lors de son séjour à Rtanj. Enfin, alors que les portes d’un ascenseur se refermaient, on m’a glissé la carte d’un cabinet d’avocats. »

Julius, Alexandre et Adolf
© Archives familiales

Vida et Vesna Nikolić se sont rencontrées à Rtanj en 2008. Puis Vida a rendu visite à Pavle en Israël. Elle a également appris que, sur la base d’une loi adoptée en 2011 sur la restitution des biens nationalisés ou confisqués après la Seconde Guerre mondiale, une demande de restitution de la totalité du patrimoine de la famille Minh avait été faite. Il ne manquait que les documents de Vera. Encore une fois, le hasard s’en mêla, lorsque Vida rendit visite à une amie de jeunesse, Danijela Voljč, une Slovène avec qui elle s’était liée et dont les parents avaient travaillé au Mexique. « On était en train de déjeuner en famille dans les collines près de Ljubljana. Malgré la neige inattendue début mars et le risque de me retrouver coincée là-haut, rien n’aurait pu me faire renoncer aux sarmas dont je raffole tant… » Alors que Vida raconte ses péripéties, le père, 87 ans, soudain se redresse et s’exclame : « Tous les documents sont chez moi ! Ta mère me les a donnés. Elle avait tout recueilli en 1967, les actes d’état civil, de nationalité… Elle m’avait demandé de trouver un avocat à Belgrade pour voir si nous pouvions récupérer quelque chose. Et puis, il y a eu la guerre et je n’ai rien fait… »

Portrait de famille
© Archives familiales
Sans titre
© Archives familiales

À ce jour, l’Agence serbe pour la restitution n’a pas donné de réponse aux éventuels héritiers. « Il a fallu commencer par obtenir la réhabilitation d’Elisabeth, de Vera et de son frère Georges, car le régime communiste les avait catégorisés ennemis de l’État et collaborateurs à cause de leur origine allemande », souligne Srdjan Zerdo, du cabinet Živkovic Samardžić. À la libération, Elisabeth, elle-même une survivante de l’Holocauste, a été détenue dans un camp réservé aux Volksdeutsche, les « Allemands du peuple », dont elle est parvenue à s’enfuir, avant de rejoindre l’Italie, et puis sa fille à Cuba... « Le dossier Minh est l’un des plus gros dossiers de restitution. On parle de plus de 200 parcelles dans le cadastre de Rtanj », précise l’avocat.

Sans titre
© Archives familiales

Vida et ses frères Mark et Adrian au Mexique, les cousins Jorge Adolfo et Ana Paola au Brésil, Daniel (le fils de Pavle) en Afrique du Sud pourront-ils un jour s’asseoir sur le banc de pierre près de la coupole de leur aïeule Greta à Rtanj et admirer le sommet de la montagne pyramidale, que l’on dit magnétique ? Des photographies des Minh seront-elles projetées sur l’écran géant du bioskop bašta ? Un jardinier fera-t-il pousser une rose noire, la fleur préférée de Greta ? « Ce ne serait que justice », estime Joca Dragutinović, un habitant de Rtanj. « Du temps des Minh, le village était bien géré. Aujourd’hui on n’a plus ni d’épicerie, ni d’éclairage public ni de canalisations ! »

Même la municipalité a intérêt à voir le dossier de restitution rapidement bouclé. C’est ce qu’assure le maire de Boljevac, Nebojša Marjanović (Parti progressiste serbe). Surtout en ce qui concerne les biens immobiliers à Rtanj, car le processus freinerait le « développement touristique » du village. Mais un hommage aux Minh ou une valorisation approfondie de leur patrimoine industriel en friche ? La simple idée de restaurer la chapelle au sommet de la montagne, la petite église ayant été détruite en 1992 par des vandales qui croyaient y trouver un trésor, ne semble pas l’avoir effleuré. « Il ne me viendrait pas à l’esprit de me servir des Minh comme image de marque », reconnaît-il. « Après tout, il y a eu des suicides… »

La chapelle
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Pour l’édile municipal, ce qui attire les visiteurs, c’est la promotion de Rtanj, « une montagne aux énergies puissantes et inexpliquées ». Concrètement : la construction prochaine d’un téléphérique et l’extension de l’imposant complexe hôtelier Ramonda, propriété des casinos Mozzart, à la lisière du village. Une valeur sûre, sachant que le président de la République en personne s’est rendu sur place lors de l’inauguration de l’hôtel en juin 2019…

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Quant à l’ancien patrimoine industriel des Minh, il est aujourd’hui presque entièrement entre les mains de Ratko Gašić, directeur d’Unimer-Kruševac, entre autres fabriquant d’engrais. Les bâtiments, il les a rachetés à une société en faillite après la mise en vente du site par l’Agence pour la privatisation au milieu des années 2000. Deux marteaux croisés, blason des mineurs, ornent le sommet de la façade monumentale de cette cathédrale industrielle, derniers témoins d’une époque révolue.

© CdB / Marija Janković
© CdB / Marija Janković
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« La Serbie n’est pas un pays riche, je le comprends, mais j’espère tout de même que nous récupèrerons une partie de notre héritage. » Lors de ses passages au pays de ses ancêtres, Vida ne manque jamais d’escalader le mont Rtanj. « Une fois le puzzle reconstitué, l’histoire de notre famille a une valeur immense. J’ai obtenu la nationalité serbe, j’ai eu une éducation catholique, mais à la maison, à la Sveti Luka, on fêtait la slava. Et au fur et à mesure que je vieillis, je me sens de plus en plus juive… Comme si ma mère, ma grand-mère et mon arrière-grand-mère m’avaient accompagnée tout au long de ce chemin. »

© CdB / Marija Janković

Notes

[1D’abord publié en serbo-croate en 2001 sous le nom Do "konačnog rešenja" : Jevreji u Beogradu 1521-1942, puis traduit en anglais en 2007.

[2D’abord publié en serbo-croate en 2001 sous le nom Do "konačnog rešenja" : Jevreji u Beogradu 1521-1942, puis traduit en anglais en 2007.