Blog • « Magazzino 18 » de Simone Cristicchi ou la valeur de la commémoration au fil du temps

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Un auteur romain porte à Milan un spectacle écrit pour la ville de Trieste, ça aurait pu être un risque, mais la critique et surtout le public ont apprécié. Plus de dix années après la première représentation de la pièce, bien de fois contestées, on se rend compte comment la nécessité de commémoration évolue dans le temps, tout comme les réactions du public et des compositeurs politiques et comment aussi des auteurs pas forcément liés aux drames qu’ils racontent, peuvent, au bout du compte, en être des témoins et des divulgateurs fiables. Parce qu’il n’y a pas que Cristicchi.

Simone Cristicchi est chanteur, compositeur, acteur de théâtre, écrivain de documentaires et de pièces théâtrales engagés. Il est né à Rome, dans la pièce, un monologue, il chante et récite aussi en patois romain, le protagoniste est un comptable d’un Ministère romain envoyé à Trieste pour faire un inventaire des objets conservé dans le Magasin 18 au vieux port de la ville de Trieste.

Le Magasin contient tous les objets et les biens y déposés par les réfugiés juliens dalmates lors de leur exode des villes de la côte de l’Istrie et de la Dalmatie. Le Magasin abrite des maisons entières avec leurs contenus en termes de meubles, ustensiles, vêtements, outils de travail et surtout des souvenirs de famille, des albums de photos, des recueils de lettres, des documents, des certificats, …
Des biens et des propriétés y laissés dans l’attente de trouver une nouvelle habitation et qui ont été abandonnée et oubliés par leurs propriétaires, évidemment incapables de trouver les moyens pour les transporter, où les maisons pour les ramasser à nouveau.

Au comptable Persichetti la tâche d’en dresser l’inventaire et de le transmettre à Rome et, au même temps, de découvrir l’histoire dernière cet événement par le truchement de l’Esprit du Magasin qui hante les lieux et vient lui rendre visite.

L’ignorance du comptable représente les années d’oublis et de désinformation qui ont caché les faits de l’exode et des foibe au public italien, le fantôme introduit les pièces musicales et donne voix aux victimes, de toute sorte, victimes de l’exode, des foibe, des déplacements, jusqu’au nourrisson mort de froid dans le champ d’accueil de Padriciano en Italie. C’est une chorale d’enfants qui accompagne de temps en temps le chanteur dans les morceaux musicaux.

Simone Cristicchi, pourquoi pas lui ?

Auteur engagé, qui a dénoncé différentes situations difficiles, comme la condition des aliénés dans les asiles, dans une chanson qui lui a fait gagner le Festival de la Chanson italienne en 2007, qui s’est produit avec des chorales et dans des projets courageux, comme des tournées avec des chorales des travailleurs des mines et des mineurs enfermés dans une prison. C’est de ces jours l’annonce de sa prochaine participation au Festival de la Chanson de San Remo, encore une fois avec un texte engagé sur la garde des parents âgés, toujours à la recherche de quelque chose de nouveau et inattendu, qui puisse faire le buzz, surtout pour le festival de la chanson facile de San Remo.

En 2013, il représente pour la première fois la pièce « Magasin 18 », écrite avec le journaliste Jas Bernas, sous la direction du réalisateur Antonio Calendra, au théâtre Politeama Rossetti de Trieste. Le public de Trieste touché et ému apprécie et un an après la pièce est transmise à la télévision nationale, la RAI, le 11 février, à l’occasion de la dixième journée de commémoration de l’exode julien dalmate et des foibe.

Son CV en fait un auteur préparé et au même temps assez détaché pour écrire des morceaux musicaux variés, un au sujet des foibe, titré la « Fosse », un morceau au rythme saccadé par un bâton qui percute le plancher du théâtre, un autre un morceau mélancolique en patois istro-vénitien sur la maladie de la nostalgie de l’expatrié.

Oui parce que le spectacle est bien bâti avec des petits rideaux légers qui se moquent de la naïveté du comptable et qui donnent du repos et les morceaux de dénonciation des faits, des chiffres, des oubliés de l’histoire bien préparés et complets.

Pourquoi pas donc Cristicchi. En effet quelqu’un lié au drame n’aurait jamais pu faire mieux, sans risquer de déclencher le traumatisme à chaque représentation. Tout comme il n’aurait peut-être pas pu rechercher une certaine dose de légèreté pour rendre le spectacle supportable à un public pas forcément concerné.

D’ailleurs dans le panorama littéraire italien il n’y a pas que Cristicchi, On trouve aussi Stefano Zecchi, professeur d’esthétique à l’université, éditorialiste, personnage télévisé et auteur de romans dont un pour chacune des villes de la côte istrienne-dalmate dans le deuxième après-guerre. Dans son roman « Quando ci batteva forte il cuore » (Lorsque le cœur frappait fort), publié en 2010, écrit que le cœur du protagoniste frappait fort « … pour l’espoir, pour la peur, parce que pour nous la paix des autres signifiait encore injustice, douleur, morte », et que les aux réfugiés déplacés dans le monde, il leur était demandé « d’oublier, parce que c’est juste […] de tourner de page … parce qu’il ne faut pas ressusciter le passé et c’est mieux laisser les choses comme elles sont. ». Donc Cristicchi est en très bonne compagnie.

Mais encore il fallait vérifier quel accueil a eu la pièce à Milano, surtout après dix années depuis l’introduction de la journée nationale de commémoration des victimes des foibe et de l’exode.

Le sens changeant des occasions de commémoration

Il y a un moment où la commémoration ne peut plus être que de la dénonciation, lorsque les victimes disparaissent et les intéressés sont moins engagés, et alors qu’elle est le sens de continuer à représenter le même événement ? C’est le passage de la dénonciation à la réparation, ou l’acceptation enfin, qui est plus facile pour ceux qui au bout du compte ont moins d’intérêts là-dedans.
Le temps qui passe fait ainsi que toute célébration et transmission aux générations futures change la nature de la célébration, en en changeant le sens et forcément d’audience.

L’explique bien Olivier Remaud dans son livre « Penser comme un iceberg », où il affirme « Nul n’ignore le double objectif des cérémonies de commémoration, à plus ou long terme. Elles ne rappellent pas seulement des événements qui ont traumatisé les sociétés. Elles rendent aussi hommage aux victimes disparues en soulevant des questions douloureuses. Au final, elles visent le retour à une existence dite « normale » et des accommodements partagés. On se souvient afin de réussir, un jour, à atténuer ce qui fait si mal, voire à ne plus y penser. L’oubli fait partie de la mémoire, tel est le postulat.