Par Milica Čubrilo Filipović
Après les élections générales d’avril et la formation d’un nouveau gouvernement en octobre, le projet controversé d’exploitation de lithium dans la vallée du Jadar par la multinationale Rio Tinto est revenu à l’ordre du jour. « Nous avons mis un point final à Rio Tinto en Serbie, c’est terminé », avait pourtant déclaré le 20 janvier 2022 la Première ministre Ana Brnabić, après plusieurs mois de manifestations contre ce plan de transformation d’une région agricole fertile en mine géante souterraine ayant des conséquences drastiques sur l’environnement. Le mécontentement s’était répandu parmi les électeurs et même plusieurs responsables du Parti progressiste serbe (SNS) au pouvoir, et un décret avait mis fin à la réalisation de ce projet estimé à 2,4 milliards de dollars, annulant le plan d’occupation des sols.
Pour les militants écologistes, il était clair dès le départ qu’il s’agissait d’une manœuvre préélectorale. Le Président Aleksandar Vučić avait d’ailleurs prévenu : « La décision d’arrêter la coopération avec Rio Tinto était une erreur », a-t-il déclaré dès le 7 avril, quatre jours après la tenue des élections.
« Un projet parfait »
Du côté de Rio Tinto, le PDG Simon Thompson a informé ses actionnaires, lors de la réunion annuelle en Australie en mai, qu’il comptait poursuivre les discussions avec le gouvernement serbe « maintenant que les élections sont passées ». « Nous n’avons pas renoncé à Jadar, tout simplement parce que c’est un projet parfait, y compris d’un point de vue environnemental et social », déclarait le directeur exécutif, Jakob Stausholm.
Une initiative populaire a alors été mise sur pied par l’Association des organisations écologiques de Serbie (SEOS) et le mouvement Kreni-promeni. Une pétition de 38 000 signatures a été déposée au Parlement le 18 mai, demandant l’adoption d’une loi interdisant l’exploitation du lithium en Serbie. « L’initiative n’est toujours pas à l’ordre du jour au Parlement. Par contre, un faisceau d’indices montre que Rio Tinto et les responsables politiques repassent à l’attaque. C’est pourquoi nous nous mobilisons », explique Zlatko Kokanović, un habitant du village de Gornje Nedeljice et militant de l’association Ne damo Jadar.
Quelques jours à peine après sa prise de fonction, le 4 novembre, la nouvelle ministre de l’Énergie et des Mines, Dubravka Đedović, a en effet déclaré que la Serbie avait de la chance d’avoir un minerai si important pour les ressources renouvelables, convoité par le monde entier. Pour cette ancienne directrice régionale de la Banque européenne d’investissement, il faut « voir comment ce potentiel va être utilisé, car tous les pays qui ont une ressource naturelle et ne l’exploitent pas sont à perte ».
Nous sommes les seuls idiots sur la planète à avoir renoncé à notre propre lithium.
Dans un langage moins châtié, le Président Vučić a clairement annoncé la couleur : « Nous sommes les seuls idiots sur la planète à avoir renoncé à notre propre lithium. Je n’arrive pas à croire ce que nous avons fait. C’est la plus grosse erreur que j’ai commise en dix ans. Il faut mettre une camisole de force à celui qui interdirait l’exploitation du lithium », a-t-il lancé le week-end précédent à la télévision Prva, soulignant avec mépris qu’« à peine 100 000 habitants vivent dans cette région ». Et le députés du SNS Darko Glišić d’ajouter : « Le monde entier exploite le lithium. Nous sommes les seuls crétins à y avoir renoncé, alors que île région de Podrinje peut être un eldorado ».
Pendant ce temps, Rio Tinto continue à travailler discrètement. Dans la vallée du Jadar, trois terrains ont été achetés ces derniers mois. Mais à Belgrade, on embauche. Selon le site de Rio Tinto, un protocole d’accord a été signé avec l’entreprise slovaque de production de batteries Inobat. Un protocole a également été signé avec la Faculté d’agriculture de Novi Sad pour le financement de recherches et thèses de doctorat. Selon le milieu des affaires et des cabinets d’avocats à Belgrade, la filiale serbe de Rio Tinto, Rio Sava, est très active. « Nous avons été contactés pour les aider à améliorer leur image et à développer des investissements », confie le représentant d’une entreprise internationale de conseil basée dans la capitale serbe.
Nous refusons de devenir une colonie des entreprises minières.
« La radio télévision nationale, RTS, refuse d’ouvrir le débat, les députés SNS refusent que la commission parlementaire chargée de la protection de l’environnement entende les représentants des riverains et les membres du corps scientifique, et ils mettent les bouchées doubles pour que le projet voie le jour », dénonce Aleksandar Jovanović Ćuta, un militant écologiste, député de la coalition rouge-verte Moramo et président de la commission de la protection de l’environnement.
Tout aussi résolus, les militants verts de SEOS et les agriculteurs se sont donné rendez-vous dimanche à 15 heures devant le palais gouvernemental afin d’exiger la suspension des activités de Rio Tinto en Serbie. « C’est la terre fertile et l’eau propre qui sont les plus grandes ressources qui demandent des investissements. Or, l’agriculture et l’exploitation minière comme Rio Tinto les envisage ne sont pas compatibles. Nous refusons de devenir une colonie des entreprises minières », déclare Zlatko Kokanović. Les opposants à Rio Tinto sont soutenus par l’opposition, qui estime pour certains que l’exploitation du lithium doit être interdite définitivement, et pour d’autres qu’un moratoire doit être adopté.