Blog • les liens entre Francesco Crispi, ancien Président du Conseil italien, et l’Albanie

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Francesco Crispi, ancien président du conseil italien, né le 4 octobre 1818 à Ribera et mort le 12 août 1901 à Naples, était d’origine arbëresh (albanaise). Le journal Le Gaulois évoquait dans un article publié le 18 février 1927, ses liens avec l’Albanie, le pays de ses ancêtres.

Francesco Crispi (au centre, moustache) et ses ministres, reçus par le roi (1888)
DR

Il est tout naturel que les journaux s’efforcent d’expliquer et de justifier l’attitude de l’Italie à l’égard de l’Albanie. Ils disent que l’intérêt que le gouvernement de Rome porte à la situation et au sort futur du pays des Skipétars ne date pas d’hier et ils citent les paroles prononcées à plus d’une reprise par Crispi, paroles qui tracent la ligne de conduite que l’Italie doit suivre dans la question albanaise.

Crispi s’intéressait au sort de l’Albanie pour une autre raison encore, raison personnelle. Le premier dictateur italien des temps modernes car Crispi était aussi un dictateur, mais d’un autre genre que M. Mussolini et dont la dictature s’écroula à la suite du désastre d’Adoua (Abyssinie), était d’origine albanaise, et il s’en vantait, paraît-il. Sa famille, avait émigré au quinzième siècle d’Albanie et s’était fixée en Sicile. Parlant de l’Albanie, Crispi prononça un jour ces paroles :

« Nous avons le devoir d’éviter, ou du moins de nous prémunir contre toute influence étrangère sur ce pays. L’intangibilité de l’Albanie devrait être placée au premier plan de notre politique extérieure. Négliger ce point ce serait élever une barrière insurmontable à notre avenir adriatique. »

Dans son Journal, on trouve une mention de l’Albanie au cours d’une conversation qu’il eut le 26 octobre avec Domenico Farini, alors président du Sénat :

« En 1887, a dit Crispi, nous nous opposions à ce que l’Autriche s’emparât de la Bosnie et de l’Herzégovine. J’exposai cette pensée, au nom du gouvernement italien, à Derby et à Bismarck. Ceux-ci, dans un accord qui me parut merveilleux, répondirent « Prenez l’Albanie. » Naturellement, je répliquai « Qu’est-ce que nous devons en faire ? » Et Derby d’ajouter « C’est toujours un gage. » Et Bismarck exprima cet avis « Si l’Albanie ne vous plaît pas, prenez une autre terre turque sur l’adriatique. »

Crispi continue dans son Journal : « Le sens des paroles des deux hommes d’Etat était clair pour moi qui avais motivé mon refus de donner à l’Autriche la Bosnie et l’Herzégovine au point de vue de la défense militaire de l’Italie. Nos frontières orientales sont ouvertes à l’invasion ennemie et si nous renforçons l’Autriche par de nouveaux territoires, c’est nous qui supporterons le dommage. »

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Commentant cet exposé et l’opinion exposée par Derby et Bismarck, les journaux italiens disent que si Crispi n’avait réellement pas dans son programme politique l’annexion de l’Albanie à l’Italie, il n’admettait point non plus que ce territoire tombât sous la domination d’une autre puissance. Dans un de ses écrits daté du 1er mai 1900, il manifesta son idée sur ce sujet :

« Dans ces derniers temps, on a affirmé, dit-il, avec beaucoup de légèreté que la diplomatie viennoise méditait l’occupation de l’Albanie. Cette assertion est des plus singulières. L’Albanie n’est pas slave ; c’est une nation qui a sa personnalité propre, qui a une langue et des coutumes à elle rappelant ses origines pélasgiques. Dans ces conditions, on comprendrait qu’en accueillant un long et antique vœu l’on consente à ce que l’Albanie proclame son indépendance, mais ce serait une erreur, très grave de l’incorporer dans les pays slaves de l’Europe. Consentir à l’annexion de l’Albanie à l’Autriche ne serait pas un avantage pour cet empire et ce serait, par contre, un préjudice incalculable pour l’Italie qui verrait ainsi s’effacer, et à jamais, toute trace de son influence sur l’Adriatique. »

Et M. Crispi ajoute :

« Une telle offense à nos raisons, à nos droits, consacrés par une glorieuse tradition, ne s’accomplira pas. Les relations d’amitié intime et cordiale, cultivée pendant cinq siècles, rendent l’Albanie bien plus proche de nous que de l’empire autrichien où son annexion ne ferait qu’augmenter les dissensions de race et la confusion des langues. »

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Après Crispi, ce furent le marquis di San Giuliano et le comte Guicciardini qui s’occupèrent beaucoup de l’Albanie. Ces deux ministres – incompris des présidents du conseil d’alors qui ne comprenaient rien à la politique extérieure – (c’est l’Idea Colaniale qui parle ainsi) firent de leur mieux pour renouer les relations d’autrefois avec l’Albanie et poursuivre le programme de Crispi. Les journaux italiens ajoutent que ces deux ministres avec Crispi ont été les précurseurs de la pénétration italienne en Albanie, les promoteurs et les continuateurs de la politique albanaise que l’Italie inaugura en 1890 et que M. Mussolini applique aujourd’hui en faisant sien l’avertissement traditionnel : Ayez l’œil sur l’Albanie.

Robert Charlet

Source : Le Gaulois - https://www.retronews.fr/journal/le-gaulois/18-fevrier-1927/37/217443/4

Article publié en albanais :
https://www.darsiani.com/la-gazette/le-gaulois-1927-cfare-mendonte-francesco-crispi-per-shqiperine/