Blog • Les codex pourprés de Berat : hommage à Pierre Batiffol

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Luan Rama nous envoie le texte que voici de la conférence qu’il a tenue vendredi 30 septembre à l’Inalco. Il rendait hommage à cette occasion à Pierre Batiffol (1861-1929), l’historien et épigraphiste français dont les contributions ont permis de faire connaître en Europe les codex de Berat. Parmi les sept « codex pourprés » du patrimoine mondial réalisés entre le VIe et le XVIIIe siècle, deux se trouvent en Albanie, deux en Italie, un en France, un autre en Grande-Bretagne et, enfin, un en Grèce.

Le monde des manuscrits anciens est très passionnant et nous rappelle les décors du film « Au nom de la rose » d’Umberto Ecco et les scriptorium, ces ateliers des moines situés dans les cloîtres des monastères, comme j’ai vu à l’abbaye de Cluny où sont écrits et produits ces codex qui aujourd’hui font partie du patrimoine mondial.

Aujourd’hui, j’aurais bien aimé avoir parmi nous les deux experts des anciens manuscrits de la Méditerranée, Didier Lafleur et Luc Brogly. Je les ai rencontrés il y a une quinzaine d’années par hasard. En effet, après l’inscription des codex de Berat sur le programme de l’Unesco « Mémoire du Monde », enthousiasmé par le monde exceptionnel des vieux manuscrits pourprés, j’ai voulu en savoir plus sur la personnalité de Pierre Batiffol. Jusqu’au changement politique en Albanie, Theofan Popa a été l’un des rares spécialistes des manuscrits sacrées et des églises ; mais lui aussi il fut emprisonné. Son livre sur l’histoire des églises en Albanie a été une publication posthume.

Autant dire que le monde des plus beaux manuscrits albanais était largement méconnu. Ainsi, j’ai écrit un livre Dorëshkrimet e purpurta (Les manuscrits pourprés), dont un chapitre est consacré à la découverte par Batiffol des codex de Berat en 1885. J’ai cherché en vain à l’époque une photographie de cet homme d’Eglise. Un jour, j’ai appris par Internet qu’un prêtre avait déposé quelques jours auparavant aux archives de la Compagnie de Saint-Sulpice, rue de Regard à Paris, les archives personnelles de Pierre Batiffol. C’était une nouvelle inattendue. Tout de suite, je me suis rendu aux archives et là, par hasard, le même jour sont venus consulter le fond Didier Lafleur et Luc Brogly. Ils rentraient en effet de Berat et de Tirana où ils avaient vu les codex de Berat aux Archives Nationales à Tirana où se trouvent beaucoup d’autres textes religieux du Xe au XVIe siècle, des manuscrits des églises de Korça, Voskopojë, Vlora, Berat, Gjirokaster, etc. Bien sûr, aujourd’hui, je regrette de ne pas avoir eu avec eux une discussion plus détaillée et professionnelle sur la richesse des anciens manuscrits albanais.

L’impact du programme « Mémoire du Monde » de l’Unesco

En 2003-2005 j’ai fait partie de la Délégation permanente de l’Albanie à l’Unesco. A cette époque le site antique de Butrint au sud d’Albanie était déjà inscrit sur la Liste du Patrimoine mondial de l’Humanité à l’Unesco. On travaillait en ce moment sur d’autres dossiers pour inscrire aussi la ville de Gjirokaster et le dossier des codex de Berat était déjà à la Commission des inscriptions pour le programme « Mémoire du Monde » de l’Unesco. C’était un travail de longue haleine, un dossier préparé par plusieurs spécialistes avec à leur tête l’historien Shaban Sinani, académicien, qui à l’époque était le directeur des Archives nationales où se trouvaient les deux codex pourprés. C’était un dossier bien préparé. La base du dossier approuvé en 2005 était l’étude scientifique de l’historien français Pierre Batiffol. Il s’agissait du 1. - « Beratinus-1 » du VIe siècle , constitué de 190 pages, la majeure partie de l’Évangile selon Matthieu et aussi l’Évangile selon Marc, un évangile manuscrit en lettres onciales, en majuscules, qui représentait un des trois ou quatre archétypes les plus anciens du Nouveau Testament. 2. - « Beratinus-2 » du IXe siècle, constitué de 420 pages des quatre évangiles complets, sur vélin, selon l’écriture des textes standard, où certains paragraphes étaient en écriture semi-onciale.

D’après son style et son ancienneté, il était comparable au codex Gr. 53 (Saint-Pétersbourg). Quand on parle d’écriture sur vélin, il faut comprendre que ces manuscrits sont écrits sur un parchemin, confectionné de la peau d’un veau mort-né ou d’un très jeune veau. Il s’agit d’une peau très souple, blanche et fine. Les deux codex albanais constituaient une base de grande importance pour la communauté mondiale et le développement de la vieille littérature biblique, liturgique et hagiographique. Les sept « codex pourprés » du patrimoine mondial se suivent l’un et l’autre durant treize siècles, à savoir du VIe au XVIIIe siècle, donc deux en Albanie, deux en Italie, un en France, un autre en Grande-Bretagne et enfin un en Grèce.

Après les années 1980, l’histoire des codex de Berat était déjà mieux connue par les Albanais, mais méconnue à l’étranger. Aucune exposition, aucune sortie des codex en dehors de l’Albanie. Mais, après l’inscription au programme du "Mémoire du Monde", l’Albanie allait pouvoir raconter l’histoire extraordinaire de ces deux codex, comme un des plus importants trésors du patrimoine albanais. Le film documentaire dédié aux codex pourprés montre les péripéties de ces codex pendant la Deuxième Guerre Mondiale et après lorsqu’ils ont failli être perdus pour toujours. Mais les habitants, les fidèles de l’église, ont pu les protéger dans des années difficiles quand l’Albanie a été déclarée « pays athée » par Enver Hoxha et la religion est devenue hors la loi. Dans un article, le spécialiste des manuscrits en Méditerrané, Didier Lafleur, s’étonnait comment, dans les années 1970, les codex ont pu être restaurés en Chine pays totalitaire, et non religieux comme l’Albanie.

En parlant des manuscrits anciens de l’humanité il faut savoir que depuis des siècles se trouvait à la bibliothèque du Vatican le plus vieux manuscrit du monde, le codex Vaticanus Genesis du IVe siècle, que le monde scientifique ignorait. A partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, différents spécialistes se sont mis à la recherche de vieux manuscrits. Ils savaient qu’après le concile de Nicée en 325 l’empereur Constantin Ier avait commandé l’écriture de 50 bibles dans la version Septante (en grec byzantin, traduit à Alexandrie de l’ancien hébreu) pour le besoin de l’Église byzantine qui devenait depuis Église d’État.
Un de ces chercheurs a été Constantin von Tischendorf, un riche Allemand qui en 1844, pendant une visite au mont Sinaï, a trouvé au monastère de Sainte-Catherine beaucoup de manuscrits. Pour commencer, il a acheté une partie du codex Sinaiticus écrit par trois scribes, manuscrit qu’il a fait cadeau au roi de Saxe. Il est retourné en 1859 et a acheté l’autre partie du manuscrit, qu’il a fait cadeau au tsar de la Russie Alexandre II. Ces deux codex sur vélin, en écriture grecque onciale, sont les plus anciens du monde du IVe siècle et contiennent des évangiles qui ont cependant beaucoup de lacunes.

Après Pouqueville, Boué, Claubry, Heuzey, Lejean…

Il est peut-être intéressant de mettre la découverte des codex albanais de Berat dans le contexte historique de l’Albanie à cette époque. Juste après la révolution grecque de 1823-1830, les Français qui avaient soutenu vivement cette révolution ont envoyé leurs historiens, archéologues, scientifiques, géologues, cartographes, botanistes, etc., pour faire connaître la nouvelle Grèce. C’était la campagne française à laquelle ont participé beaucoup de personnalités éminentes. Mais à cette occasion le regard des Français est dirigé aussi vers l’Albanie, peu connue en ce temps. C’est à cette époque, au lendemain du voyage de François Pouqueville, que nous avons vu arriver en Albanie des géographes, des historiens, archéologues, cartographes, géologues, etc. L’académicien Ami Boué a parcouru l’Albanie en décrivant les Albanais et leur histoire dans son œuvre « La Turquie d’Europe ». Xavier Gaultier de Claubry, l’auteur d’un mémoire d’Épire, est le premier qui a fait connaître les inscriptions romaines sur les murailles cyclopéennes de Bylis dans le sud d’Albanie. L’archéologue Léon Heuzey s’est arrêté à Apollonia et Durrachium, et au retour en France a écrit sur les vestiges archéologique ainsi que sur les inscriptions de Gramata sur la Côte ionienne. Le cartographe Guillaume Lejean rapporte dans ses publications beaucoup d’informations sur des régions méconnues de l’Albanie du Nord jusqu’alors. Auguste Dozon à publié les Contes albanais et un Manuel de la langue chype. Plus tard, le consul Alexandre Degrand découvre les tombes anciennes de Koman, dans le nord d’Albanie du VI siècle, qui témoignent de la continuité de la culture illyrienne... Dans ce cadre s’inscrit aussi le voyage de Pierre Batiffol qui a pu faire connaître en Occident les deux codex de Berat.

Quand Batiffol se préparait à venir à Berat, il était un jeune chercheur de 24 ans sans beaucoup d’expérience. Il était d’origine de Toulouse et avait suivi les études au séminaire de la Compagnie de Saint Sulpice à Paris. Après, il a suivi les études à l’Institut des Hautes Études de Paris, dirigé par un éminent philologue et épigraphe, Louis Duchesne. Pour Batiffol c’était une chance d’être remarqué par Duchesne, pour son érudition et la connaissance des langues anciennes, grecque et latine. En effet, en 1875, Duchesne entreprend une mission au mont Athos en Grèce où il visite beaucoup d’églises pour connaître les trésors épigraphiques. Il va aussi au Sinaï et au retour il s’arrête à l’île de Patmos. Mais comme le dit Batiffol aussi, « Duchesne s’était détourné de sa route jusqu’à Patmos pour y copier les fragments N du Nouveau Testament grec. Le conservateur de la bibliothèque du couvent « Le Théologue », M. Sakkelion, lui signale d’après une brochure grecque un manuscrit proche parent des fragments N sur pourpre à encre d’argent. Duchesne n’y fait allusion qu’une fois dans un article critique publié en 1881. En 1884 Duchesne était dans le monde savant le seul à connaître l’existence de ce manuscrit pourpré. Le codex de Patmos était en effet un manuscrit sur vélin en écriture grecque onciale du VIe siècle avec beaucoup de lacunes, apparemment démembré par les croisés au XIIe siècle lors de leur passage par la Grèce. L’historienne Brigitte Waché, dans son étude sur Monsignor Louis Duschene, note à propos de sa mission à Patmos :

« M. Duchesne a pu prendre en fac-similé un évangile du VIe siècle sur parchemin pourpré à lettres d’argent, manuscrit que Tischendorf connaît mais qu’il n’a pas encore publié. Il a de plus découvert où se trouve la seconde moitié de cet ouvrage, moitié qu’on croyait perdue. Mais la perle de Patmos ce sont les scolies de Démosthène et de Thucydide. »

On peut se demander s’il s’agit du même manuscrit sacré des quatre évangiles dont la moitié, dans des circonstances inconnues, est partie a Berat ou de deux exemplaires particuliers ? Apparemment non, c’état simplement des livres différents. Est-ce l’œuvre des mêmes scribes ? On ne sait pas.

Duchesne voulait lui-même découvrir ce codex semblable à celui de Patmos. Mais étant directeur de l’École Française de Rome, un poste très important, et malade en ce moment, par peur que Tischendorf découvre le premier ces codex, il demande à son élève préféré d’aller le chercher en Albanie. Pour cela, il demanda une bourse pour la mission au ministère de l’Instruction Public. Entre-temps, Batiffol commence à se préparer pour cette mission, apprend par les textes l’Albanie et l’histoire de l’Eglise orthodoxe dans ce pays, occupé depuis presque quatre siècles par les Ottomans. Il écrit aussi au consul français à Jannina, Monsieur Sauvaire, pour s’informer sur les codex de Berat, en lui demandant de l’aider dans sa mission. Le 27 novembre 1884, le consul lui répond : « L’archevêque métropolitain, Anthime Alexioudis, a publié, il y a quelques années en langue grecque une Description abrégée et historique de la Sainte Métropole de Belgarad, aujourd’hui Berat. Cet ouvrage, qui n’a eu qu’une publicité modérée et aucune traduction ma connaissance, contient les pages suivantes, sous le titre « Vieux livres manuscrits » :

« Un saint évangile se trouvant dans l’église paroissiale de l’Annonciation du Castro, à Berat, honoré par tous les habitants chrétiens, d’après une tradition ancienne, comme manuscrit de notre père Saint Jean Chrysostome, l’archevêque de Constantinople, à la fête duquel une messe pontificale est chantée chaque année, messe pendant laquelle ce manuscrit est exposé dans l’église, où tous les chrétiens accoururent en foule le baiser avec dévotion, honneur et respect. Les lettres des mots de ce saint évangile sont tracées en or ainsi que les lettres initiales de chaque paragraphe, qui sont majuscules. Au commencement de chacun des quatre évangiles il y a l’image de chacun des quatre évangélistes peinte en or. 2. – Un autre évangile très ancien, renfermant le texte des évangélistes Mathieu et Mars seulement, se trouve dans l’église de Saint Georges de la même paroisse : les caractères en sont tracés avec de l’argent sur parchemin, couleur cerise foncée, et les majuscules sont écrites de l’or et de l’argent en forme ronde. Sur un des côtés de la couverture est écrit avec des lettres d’une époque ancienne, l’avis suivant : Voyez les lettres de cet évangile écrites par les propres mains de Saint Jean Chrysostome lorsqu’il était dans sa patrie, à Antioche. 3. Un autre évangile manuscrit grand et volumineux, relié en argent comme les deux précédents, est la propriété de notre église cathédrale. Dans la même église, il y a encore un autre évangile écrit sur parchemin et dans petit format. 4. Enfin il y a encore deux évangiles manuscrits sur parchemin blanc dans l’église de la paroisse Mangalemi. »

Ainsi, le jeune chercheur est parti vers l’Albanie. Bien sûr qu’il a vu le consul à Jannina. Entre autres, il devait visiter l’Épire et écrire sur la situation dans cette partie de l’Albanie pour le Guide Isambard, avec lequel il avait aussi signé un contrat. « Berat, - écrit-il dans son article sur les manuscrits grecs en Albanie - est une petite ville située à l’entrée des gorges de l’Apsus (Osum). Il faut une quinzaine d’heures, à cheval, pour aller au port le plus voisin, Avlona, à Berat. Il n’y a pas de route. La ville est musulmane : ses minarets s’aperçoivent de loin, dominant ses maisons blanches et ses jardins, et aux portes on rencontre les inévitables tombeaux de babas. Le bazar est le centre de la ville : on y rencontre l’hadji vert et l’hodja en turban, des militaires ou des fonctionnaires turcs ; ça et là des Ghegas (guegues) et des Vlakis (valaques), ou des marchands du côté d’Elbassan ; enfin des juifs reconnaissables à leurs fez noirs ; mais la foule, comme la langue, est albanaise. La ville haute est entourée de vieilles murailles byzantines demi-ruinées : c’est le Castro, terre grecque et chrétienne, où, l’on ne rencontre pas une boutique, pas une mosquée. La population en est exclusivement hellénique (orthodoxe). La se trouve ma maison épiscopale, la « sainte métropole ». J’étais descendu dans le Castro et j’y avais loué une maison dont les fenêtres s’ouvraient sur les remparts : on y avait comme une vision de la vie byzantine… J’ai été reçu dans la métropole par l’archevêque orthodoxe Antime Alexioudis, un prélat excellent et d’une grande érudition, métropolitain d’un vaste diocèse qu’on appelle « Grand ami des Arts ». Il est membre du Syllogue de Constantinople. Il a relevé des inscriptions, publié des médailles, réuni dans sa maison une collection modeste mais précieuse d’objets antiques.

A la cathédrale, Batiffol a trouvé d’abord le manuscrit du IX siècle qu’il a appelé codex Aureus Anthimi par gratitude pour les services rendus par l’archevêque. Il était relié dans une reliure d’argent repoussé avec 413 feuillets où chaque feuillet mesurait 24 cm de haut et 19 de large avec un parchemin très ferme, teint en pourpre et d’un ton bleuissant. L’ancre était d’or. Chaque page était dans une colonne et la colonne avait 17 lignes comme dans le codex de Théodore de Saint-Pétersbourg. Dans le texte il n’y avait que le point et nul autre signe de ponctuation. En tête de chacun des quatre évangiles se trouvait une miniature au trait à l’encre d’or.

A la maison épiscopale, Batiffol a pu consulter beaucoup de codex anciens, des psautiers et autres textes de l’église, mais plus tardivement. Il cherchait toujours le codex demandé aussi par son professeur, Louis Duchesne, comme celui de Patmos. Mais après beaucoup de recherches le métropolite lui a mis entre les mains le codec qu’il cherchait. Quelle joie pour Batiffol ! Il avait perdu pas mal de jours en cherchant le codex. Il a visité aussi l’église de l’Annonciation au bord de la rivière, aujourd’hui détruite. On lui avait dit qu’il s’y trouvé un manuscrit du IVe siècle. En réalité, il a été réalisé huit siècles plus tard. Comme il ne lui restait que peu de temps, Batiffol a commencé à copier et étudier en même temps les feuillets du codex. Chaque lettre avait son importance, le style, les lettres avec des accents, etc.

Le codex Beratinus était dans une reliure qui datait du commencement du XIXe siècle, avec deux plats en bois résineux et la couverture d’argent repoussé, ayant pour date 1805. Le manuscrit comptait 190 feuillets non paginés, solidement cousus. Les six premiers feuillets avaient beaucoup souffert, les lettres étaient oxydées, les piqûres des vers étaient nombreuses, le pourpre fort éteinte, mais à partir du huitième feuillet le manuscrit se présentait dans un excellent état. Bien sûr qu’il y avait d’autres feuilles en mauvais état sur évangile de St Marc et de St Mathieu. Apparemment le codex avait été restauré en 1805 mais avec une quarantaine feuillets manquants. Le codex Beratinus avait été composé de quatre évangiles, mais l’Evangile de Luc et de Jean avaient disparu depuis longtemps. Entre-temps Batiffol avait remarqué un diptyque de l’église de Saint George qu’il avait visité aussi. Mais dans un texte à part de ce diptyque, intitulé « Memento », il a trouvé quelque chose liée à l’histoire de codex Beratinus. Il s’agissait d’un certain Skouripekis, un « laïque » de Berat qui avait eu l’honneur d’avoir son nom dans ce diptyque grâce à ses services rendus à la ville en 1356. Cette-année là, est-il écrit, les Serbes marchèrent sur Beligrad (Berat). La ville était incapable de leur résister : à tout prix il fallait sauver les trésors de l’église et à la prière du moine Théodoulos, Skuripekis s’y dévoua. Le moine et lui chargèrent sur leur épaules 27 manuscrits précieux que possédaient le Théologue et Saint Georges, et ils les mirent en lieu sûr. » Là, Batiffol, s’est trouvé devant un dilemme sur le mot "Théologue" : c’était celui d’un monastère qui n’existait plus à Berat où il s’agissait de celui de Patmos avec le même nom ? De toute façon, il conclut que ce codex existait déjà à Berat au XIVe siècle. Devant le manuscrit, Batiffol remarque que le manuscrit était de vieille onciale. Les lettres O, C, etc., ne s’allongent jamais. Les lettres carrés H, M, N, en aucun endroit ne se penche. En définitive, nous dit Batiffol, l’écriture du codex de Berat peut être rapprochée des meilleurs types de la vieille onciale, comme le Dioscorides de Vienne. L’important, souligne Batiffol, est que nous rencontrons ici le scripto continua absolu, les mots sont collés. Il fait des comparaisons avec le codex de Zakintos du VIe siècle et surtout celui de Rossanno du VIe aussi. Il trouve des éléments très proches dans l’écriture dans l’écriture et arrive à la conclusion : « Étant donné que le manuscrit de Rossanno est considéré comme de la fin du VIe siècle, le manuscrit de Berat peut être considéré comme étant de la même époque.

On ne sait pas combien de jours il est resté en Albanie. Ses informations sur le voyage sont infimes. Je pense qu’il est resté une semaine ou dix jours, le temps de copier les textes des deux codex et aussi du diptyque qu’il va publier comme annexe de son étude. Pour son voyage en Albanie on trouve une petite information qui dit : « Il profite de ce périple, entre navigation hasardeuse sur l’Adriatique et brigands des montagnes d’Épire pour contribuer à la refonte du Guide de la Grèce qui sera publié par Émile Isambert en 1891. Il suffit en effet de regarder les notices dans son texte sur les codex pourprés de l’Albanie pour comprendre ce travail assez approfondi comparé avec les manuscrits les plus anciens comme Sinaiticus, Alexandrinus, Petropolitanus et d’autres textes sacrés. Ses références sur les auteurs qui ont écrit sur l’Albanie et les manuscrits pourprés trouvés dans le monde sont extraordinaires. C’est pour cela que rien n’a pas bougé de ses conclusions faite en novembre 1885.
Après l’édition de son étude sur les manuscrits pourprés de l’Albanie, Batiffol est parti à Rome suivre des études sur l’archéologie, la liturgie et la vieille littérature chrétienne à l’Institut catholique de Rome. Il commence à publier plusieurs livres sur l’Histoire du christianisme, il soutient sa thèse sur l’abbaye de Rossanno. A cette époque il étudie d’autres textes sacrés à la bibliothèque apostolique de Vatican. En 1898 il devient directeur de l’Institut catholique de Toulouse et plus tard docteur honoris causa des Universités de Louvain et d’Oxford. Il publie des livres sur l’histoire du Vatican, un livre sur Saint Grégoire, redécouvre et examine le manuscrit Vaticanus Latinus 2061, et en 1916 il a eu un prix de l’Académie Française. Mais son publication « L’Eucharistie » a été suspectée de « modernisme » par le Pape Pie X et son œuvre a été mise en l’Index par le Vatican. Il meurt à Paris en 1929.
L’inscription des codex de Berat au programme de la « Mémoire du Monde » de l’Unesco était aussi une date historique pour un travail approfondi des chercheurs albanais sur d’autres textes sacrés, comme on le voit avec beaucoup de publications du Centre des études orthodoxes en Albanie. L’inscription a inspiré aussi l’organisation de beaucoup d’événements autour de ce patrimoine mondial. En même temps, il reste à travailler sur l’histoire de la provenance des autres manuscrits, surtout du Xe au XVe siècle, qui se trouvent dans le fond 488 des archives nationales en Albanie.

Quand je me suis penché sur la personnalité de Pierre Batiffol et sa contribution à la mise en lumière les valeurs des codex albanais, j’ai été étonné qu’aucun des intellectuels albanais de la fin du XIXe siècle et même du XXe siècle jusqu’au les années ’80 n’ait écrit rien sur lui. Qui était cet historien et épigraphiste celui qui a fait connaître en Europe les codex albanais ? Aujourd’hui, c’est chose faite. Nous lui rendons hommage.