Blog • Prix de littérature de l’Union européenne, l’intergouvernementalisme appliqué aux cultures nationales

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Les lauréats du prix de littérature de l’Union européenne pour 2019 ont été annoncés le 28 mai 2019. Il s’agit de Laura Freudenthaler (Autriche), Piia Leino (Finlande), Sophie Daull (France), Réka Mán-Várhegyi (Hongrie), Beqa Adamashvili (Géorgie), Nikos Chryssos (Grèce), Jan Carson (Irlande), Giovanni Dozzini (Italie), Daina Opolskaitė (Lituanie), Marta Dzido (Pologne), Tatiana Țîbuleac (Romanie), Ivana Dobrakovová (Slovaquie), Haska Shyyan (Ukraine) et Melissa Harrison (Royaume-Uni).

Que peut-on penser du prix de littérature de l’UE ? C’est bien entendu une formidable initiative, dans un domaine où l’UE hésite à exercer les compétences dont elle dispose (la culture). On pourrait même souhaiter que le prix de littérature de l’UE devienne à terme plus prestigieux que le prix Nobel. Mais on en est encore très loin.

Lancé par la Commission européenne en 2009, le prix est ouvert aux 37 pays participant au programme « Europe créative » dans les secteurs de la culture et de la création, et n’est donc pas limité aux États membres de l’UE. Il n’y a pas de raison pour qu’il ne s’ouvre pas à terme au monde entier.

Le prix est organisé par un consortium composé de la Fédération des libraires européens (EBF), de la Fédération des associations européennes d’écrivains (FAEE) et de la Fédération des éditeurs européens (FEE). Chaque année, des jurys nationaux issus d’un tiers des pays participants sélectionnent leurs lauréats sous l’égide d’un consortium, ce qui permet à tous les pays et à tous les domaines linguistiques d’être représentés tous les trois ans. Le jury choisit ensuite un candidat dans chaque pays participant, en fonction des critères préétablis. Les candidats doivent notamment posséder la nationalité d’un des douze pays sélectionnés (ce qui est contestable : pourquoi ne pas privilégier la résidence ou la langue d’expression ?) ; avoir publié entre deux et quatre œuvres de fiction ; avoir publié une œuvre nominée au cours des cinq dernières années (pourquoi imposer de telles limitations plutôt que de privilégier la qualité des œuvres ?).

Autrement dit, le prix de littérature de l’UE est une sorte de plateforme de discussions et d’échanges entre les différents jurys nationaux. Plutôt que de mettre en place un jury unique, comme pour le Goncourt, le Büchner ou le Nobel, les différents jurys nationaux dialoguent au sujet de livres qu’ils n’ont généralement pas lus, car la plupart des livres n’ont même pas été traduits. Les jurys nationaux sont souverains : par exemple le Luxembourg ne propose que des auteurs qui publient en luxembourgeois, dans un paysage linguistique où les livres en allemand, en français et même parfois en anglais sont pour le moment plus nombreux que les livres en luxembourgeois.

Il va de soi qu’il fallait commencer quelque part, et qu’on n’en est plus à l’époque, pas si lointaine, où les « grandes cultures » européennes se permettaient de mépriser les « petites » sous prétexte que les écrivains de certains pays sont plus connus que ceux d’autres pays. Désormais, tout le monde est conscient qu’il y a de bons écrivains un peu partout, qui n’ont tout simplement pas été traduits, notamment faute de moyens. Ne pas avoir été traduit ne signifie pas, pour un écrivain, qu’il est moins intéressant que ceux qui l’ont été. Au contraire, un écrivain jamais traduit peut devenir lauréat du prix de littérature de l’UE, ce qui pourra faire qu’il soit traduit par la suite.

Mais on est encore loin de la mise en place d’un véritable prix Nobel de littérature de l’UE.