Blog • Le pavillon de l’Albanie à la Biennale de Venise sous le signe du cosmos

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L’artiste Driant Zeneli est passé par Paris pour présenter le projet du pavillon albanais à la 58e Exposition internationale d’Art de la Biennale de Venise. Une installation vidéo sculpturale intitulée « Maybe the cosmos is not so extraordinary »...

Plutôt serein, l’artiste attend le public qui, étonnement, arrive au tout dernier instant alors que la rencontre commence... Il s’exprime en anglais, accompagné d’Alicia Knock, conservatrice au Centre Pompidou qui suit son travail depuis plusieurs années. Au mur défilent ses réalisations, depuis le début de sa jeune carrière dans les années 90 et jusqu’à ce projet qui représente l’Albanie à la prestigieuse biennale de Venise.

L’occasion est belle de revoir cet artiste qui a déjà montré plusieurs de ses installations en France, notamment à Beaubourg à Paris et au MUCEM à Marseille. La rencontre, organisée à la Cité internationale des Arts (Paris 75004), ce 11 avril, est l’occasion de découvrir sa dernière vidéo « Maybe the cosmos is not so extraordinary » (2019), en avant-première de l’ouverture de la 58è biennale de Venise tout juste dans un mois.

S.O.S. super héros

Driant Zeneli présente une installation vidéo sculpturale qui se développe à partir d’un travail précédent multidisciplinaire « Beneath a surface there is just another surface » commencé en 2015 au Metallurgjik, un complexe industriel dystopique, dans la ville d’ Elbasan en Albanie. Metallurgjik est une usine désaffectée de 250 000 hectares située en Albanie centrale qui accueillait près de 12 000 personnes dans les années 70.

Tourné à à Bulqize, petite ville minière au nord-est de l’Albanie, le projet et son titre « Maybe the cosmos is not so extraordinary » dérivent du roman de science-fiction « On the way to Epsilon Eridani » (1983) de l’écrivain et physicien albanais Arion Hysenbegas. Driant Zeneli poursuit sa quête sur le thème du dépassement de soi, faisant coexister le possible et l’imaginaire, autour d’adolescents porteurs d’un rêve qui devient fardeau.

Comme les jeunes acteurs amateurs qui, dans le film, incarnent un besoin d’émancipation dans un pays à la recherche de son passé comme de son futur, l"artiste explore le champ des utopies. Il met en résonance un futur possible promis par les nouvelles technologies et la dure réalité du quotidien d’une ville prisonnière de son histoire et de sa mine de chrome.

À peu près la moitié du minerai de chromite est produit en Afrique du Sud. On ne le sait pas toujours mais l’Albanie est (a été) aussi un producteur important faisant la richesse de certains au détriment d’autres. De nos jours, ce minerai permet de fabriquer des composants majeurs. Au centre de forts enjeux commerciaux sur tous les continents, il est utilisé dans le développement des nouvelles technologies : nanoparticules présentant une variété de propriétés uniques, matériaux nouveaux permettant des utilisations plus poussées en terme de potentiel et de rentabilité.

Vers quel futur nous transportent les nouvelles technologies ?

Empruntant une démarche poétique, Driant nous guide de la terre à l’espace dans une chorégraphie mêlant le réel et l’imaginaire comme dans roman « De la terre à la lune » de Jules Verne ou encore l’ouvrage de ce pionnier de la science fiction en Albanie, le physicien et écrivain Arion Hysenbegas, resté inconnu du grand public.

« Grâce à une narration binaire, à une chorégraphie précise de l’image et du son, cette usine de transformation du chrome fonctionne non seulement comme un espace industriel ou un centre géopolitique, mais également comme une force visuellement performante », déclare l’artiste. « L’extraction du chrome est transformée en une image sculpturale hypnotique. »

Le chrome en Albanie est à la fois une source de richesse et de développement pour l’industrie mais il n’est pas pour autant source de bienfaits et de bien-être pour le destin des habitants de Bulqize. A travers ce constat, l’artiste tente de créer une tension entre une réalité sous-jacente oppressante et un espace libéré, symbolisé par le cosmos, ouvert à tous les possibles.

Le projet du pavillon albanais à Venise se veut un lieu d’expérimentation et de création. La production d’une œuvre d’art est un chemin semé d’embûches mais l’aventure de la Biennale en vaut bien son pesant...d’or.

Comment transformer le chaos de l’univers en un espace infini ?

En 2016, dans le cadre du Cycle « Prospectif cinéma », Alicia Knock avait accueilli au Centre Pompidou une dizaine d’artistes issus des Balkans pour tenter de déconstruire les traumatismes passés et de réinventer le futur dans un horizon partagé. Parmi eux, Driant Zeneli présentait un travail qui faisait déjà place aux utopies performatives par-delà les réécritures possibles autour de la ville de demain.

La même année, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) ouvrait ses portes à des artistes albanais contemporains, tous engagés d’une manière ou d’une autre dans l’identité de leur pays. L’ambition de l’exposition « Albanie, 1207 km Est » était d’attirer l’attention sur un pays des Balkans géographiquement et culturellement proche, et dont l’histoire et l’identité appartiennent pleinement à la culture méditerranéenne, mais qui demeure pourtant assez méconnu des Français. Tout comme le pavillon à Venise en 2019, l’exposition était le fruit d’une coopération avec le ministère de la culture de l’Albanie.

Avec l’aimable courtoisie de Driant Zeneli pour les illustrations disponibles sur le website de l’artiste et de Prometeo Gallery d’Ida Pisani, Milan/Lucca.