Blog • L’ethnicité aroumaine est-elle soluble dans la nationalité roumaine ?

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La réponse de Vladimir Creţulescu à cette question dans sa thèse de doctorat en science politique soutenue à Bordeaux et à Bucarest qui vient de paraître sous le titre Ethnicité aroumaine, nationalité roumaine [1] est résolument affirmative. Confrontée aux faits historiques, sa démonstration n’est guère convaincante.

Moscopole, gravure de Khristofor Zhefarovich, 1743
DR.

« Qui sont les Aroumains ? Vers la moitié du XIXe siècle ( …) une population de bergers, marchands et dirigeants de caravanes éparpillés dans toute la région des Balkans, dans la plupart des villes ainsi que dans des communautés montagnardes isolées. Ils parlent une langue romane (un dialecte de la langue proto-roumaine) et on suppose qu’ils seraient les descendants des légionnaires et des colons romains établis dans la région (ou, selon une théorie concurrente, ils seraient des Grecs romanisés) » (p. 17). Deux précisions attirent l’attention dans cette présentation qui figure au tout debout du livre. En règle générale on s’accorde aujourd’hui pour parler plutôt de population locale romanisée au temps de l’administration romaine alors que certains linguistes estiment, dans une perspective notamment sociolinguistique, que l’aroumain peut être considéré comme une langue à part [2]. En revanche, l’Académie roumaine soutient, aujourd’hui comme par le passé, que l’aroumain ne peut être qu’un dialecte [3]. C’est d’ailleurs sur ce point qu’est fondé depuis plus d’un siècle, et de nos jours avec une insistance particulière, le discours national roumain concernant les Aroumains. Or V. Creţulescu, qui se présente comme un adepte des « théories modernistes de la nation » (p. 222), prend ses distances avec la tradition roumaine et avec ceux qui, encore aujourd’hui, « visent à démontrer la roumanité essentielle de la culture et de la civilisation aroumaines » (p. 26) [4]. En effet, pour ce qui est de l’essentialisme il se distingue de ces derniers, mais, à l’arrivée, comme on le verra plus loin, la « construction discursive » qu’il met en récit apparaît plutôt comme un aggiornamento des thèmes chers à ladite tradition.

Du « groupement ethnique » à la « communauté ethnique » pour atteindre la « congruence multisymbolique »

Les pages les plus passionnantes du livre sont celles consacrées à l’établissement d’un cadre interprétatif du corpus documentaire qui fait l’objet des recherches de l’auteur (pp. 27-53). Celui-ci fait preuve d’une réelle maîtrise des nombreux travaux récents portant sur l’identité, l’ethnicité et le nationalisme ce qui lui permet de dégager un certain nombre de catégories qu’il estime en consonance avec le sujet traité, soit, dans l’ordre « groupement ethnique », « communauté ethnique » et « congruence multisymbolique ». Forgées à partir de travaux aussi divers que ceux des anthropologues Fredrik Barth et Benedict Anderson, des philosophes Ernest Laclau et Chantal Mouffe et du politiste Paul Brass, ces catégories ne nous apprennent cependant pas grand-chose une fois « appliquées » aux faits et récits rapportés. Elles ne font souvent que confirmer ou exprimer dans des termes plus savants des choses qui ressortent déjà du corpus présenté. Enfin, discourir sur l’ethnicité aroumaine dans la conception des élites aroumaines dans l’Empire ottoman au dernier quart du XVIIIe siècle, ou encore évoquer « l’existence d’une ethnicité aroumaine bien définie dès le Xe siècle, au plus tard » [5] (p. 51), n’est pas sans soulever quelques objections de fond.

Le discours identitaire aroumain-roumain

L’auteur s’est fixé comme but la reconstitution dans le temps (1770-1878) et dans l’espace (Moscopole, aujourd’hui Voskopojë, en Epire, puis Vienne, Pest ou Poznan, et, enfin, la Valachie et la Moldavie) du « discours identitaire aroumain-roumain » appelé à intégrer le « corps de la nation roumaine ». Sur le plan de la méthode, il distingue « le concept de ‘’texte’’ de celui de ‘’discours’’ ». Le second « peut vivre dans une multitude de textes, le texte individuel n’est qu’une mise en œuvre spécifique et singulière d’un certain discours » (p. 31). « Notre recherche est de nature historiographique, et non pas historique », écrit-il (p. 37) après avoir cité l’historien roumain Lucian Boia : « Ce que nous appelons d’habitude histoire n’est que notre discours sur l’histoire, c’est l’image du passé inévitablement incomplète, simplifiée et déformée que le présent recompose sans cesse » (35).

Le discours identitaire est qualifié d’aroumain-roumain par V. Creţulescu parce qu’il repose dans un premier temps sur des textes écrits entre 1770 et 1830 par des « Aroumains balkaniques » qui, pour certains, vont évoluer en Europe centrale, et, dans un deuxième temps, par les « membres de l’élite intellectuelle roumaine », les jeunes Moldaves et Valaques de la génération des révolutionnaires de 1848. Avec ces derniers, les choses sont relativement simples, leurs écrits étant explicites. C’est d’ailleurs avec l’entrée en scène de ces quarante-huitards que s’achève selon V. Creţulescu la transformation finale de l’ethnicité aroumaine en nationalité roumaine, transformation initiée par la diaspora aroumaine en Europe centrale.

Il n’en va pas de même pour la période précédente. Les informations livrées par les rares textes et documents disponibles sont minces et les renseignements d’ordre biographique sur leurs auteurs incertains. Les données établies par l’historien Max Demeter Peyfuss [6] sur l’académie et l’imprimerie de Moscopole, le bourg devenu métropole au XVIIIe siècle bâti par des Aroumains, ses professeurs et leurs élèves et disciples qui allaient voyager en Europe centrale où d’autres Aroumains allaient s’établir et parfois faire fortune sont précieuses dans ce sens qu’elles permettent de réaliser l’importance de cette métropole des Aroumains tout en indiquant les limites des connaissances dont nous disposons. Autant dire que, pour articuler dans un récit plus étoffé ces informations éparpillées, parfois peu fiables et même contradictoires, la tentation d’interpréter et de puiser au registre spéculatif est grande. Les auteurs roumains d’origine aroumaine furent ceux qui ont investi le plus ce terrain avec des résultats brillants quoique hypothétiques chez un auteur comme Victor Papacostea, mais inégaux et moyennant nombre de conjectures et d’exagérations. Ils l’ont fait pendant une période allant de 1909 à la fin des année 1970 [7]. La plupart des titres sont parus après la paix de Bucarest (août 1913), dont les Aroumains de l’ancienne Turquie d’Europe furent les grands perdants. La principale préoccupation de leurs auteurs, dont l’attachement à l’Etat roumain ne va jamais se démentir, semblait être de laisser une trace, de constituer un patrimoine, de sauver un passé estimé glorieux à défaut d’entrevoir une issue favorable à la condition peu enviable dans laquelle se retrouvaient les autres Aroumains dans les Balkans, dépourvus désormais de tout statut particulier sur le plan national leur permettant d’échapper à l’assimilation dans des conditions dégradantes.

« A mon avis, ils //les Aroumains// finiront par nous être utiles
là où ils se trouvent » (N. Bălcescu)

Dans sa reconstitution, V. Creţulescu ne se contente pas des données historiques attestées concernant les Aroumains dans l’Empire ottoman finissant et en Europe centrale. Il reprend telles quelles, parfois en forçant même le trait, les interprétations des auteurs roumains d’origine aroumaine qui avaient travaillé sur cette période auxquelles il ajoute ses propres interprétations chaque fois que l’occasion se présente pour mettre en avant les aspects relevant de près ou de loin des catégories d’ethnicité et de nationalité proposées au départ. Au centre de sa démonstration se trouve la découverte par les Aroumains originaires des Balkans et par les Roumains de Transylvanie des opportunités politiques offertes par leur origine commune « romaine » signifiée par le fait de parler des langues issues du latin. A force de présuppositions et d’extrapolations portant sur des différends au sein par exemple de l’église grecque et valaque de Pest au tout début du XIXe siècle, il finit mutatis mutandi (s) par s’éloigner non seulement des faits historiques mais aussi des interprétations suggérées par les auteurs d’origine aroumaine citées, pour mettre en avant l’« idée de l’unité linguistique et ethno-nationale des Aroumains et de Roumains » (p. 110) [8]. Or, le moins que l’on puisse dire est que V. Creţulescu ne tient pas compte de la complexité de la position des auteurs roumains d’origine aroumaine qui se sont penchés sur les écrits des Aroumains originaires des Balkans au contact de l’Europe centrale au cours des dernières décennies du XVIIIe siècle et des premières du XIX siècle.
L’absence de toute tentative de contextualisation des sources utilisées par V. Creţulescu pour mettre en récit le « discours identitaire aroumain-roumain » et la propension de cet auteur à « surinterpréter » font que ce discours se recoupe en fin de compte avec le discours roumain tout court, celui des essentialistes. De ce point de vue, l’étape suivante, consacrée aux contributions des jeunes Valaques et Moldaves de la génération de 1848, ne peut être qu’édifiante puisque ce sont ces artisans de la construction de l’Etat moderne roumain à venir qui, selon V. Creţulescu, « mettent au point le discours identitaire aroumain-roumain » (p. 52), c’est-à-dire le discours national roumain d’inclusion des Aroumains dans la nation roumaine, un discours généreux mais non dépourvu d’arrière-pensées. Max-Demeter Peyfuss le suggère en citant les propos tenus par le quarante-huitard Nicolae Bălcescu dans une lettre adressée au prince Ion Ghica :
« J’avais pris la décision, en me rendant à Constantinople, de m’installer parmi les Valaques des Balkans, parce que j’estime qu’il est indispensable de développer la nationalité dans cet avant-poste du roumanisme. A mon avis ils finiront par nous être utiles là où ils se trouvent. Si tu peux, envoie quelqu’un de capable là-bas pour faire un rapport sur leur état moral et politique, puis chercher une école et donner ainsi du travail à tous ces jeunes qui meurent de faim » [9].

Conclusion

« Notons que dans un contexte de recherche dominé par les approches essentialistes et objectivistes notre question de recherche appréhende les identités collectives non pas comme des objets fixes à décrire mais plutôt comme des processus discursifs à expliquer », écrit V. Creţulescu (p. 37). Le problème est que chez cet auteur le processus discursif est faussé pour ce qui est de la période 1770-1830. Les explications qu’il fournit sont par conséquent fausses puisque fondées essentiellement sur les "éléments de langage" esquissés par les quarante-huitards valaques et moldaves, des "éléments de langage" qui seront repris en Roumanie par ceux qui se présentent jusqu’à nos jours comme les gardiens de la « tradition ». C’est la principale objection que l’on peut soulever.

Sur un point, et non des moindres, V. Creţulescu a cependant raison : « Mais, sans la reprise du discours latiniste aroumain par l’élite roumaine du nord du Danube, ce discours n’aurait - en toute probabilité - mené à l’essor d’un mouvement politique concret » (p. 143).
Il oublie, en revanche, de rappeler une chose. Plébiscité jusqu’à nos jours en Roumanie, le « discours identitaire aroumain-roumain » n’a « pris » que chez une petite partie des Aroumains, ceux qui se sont installés au fur et à mesure en Roumanie, et encore, puisque certains d’entre eux demandent depuis quelque temps le statut de minorité nationale tandis que les Aroumains de Macédoine du Nord et d’Albanie bénéficient déjà d’un tel statut. Autrement dit, la tentative d’inscrire l’ethnicité aroumaine dans la nationalité roumaine s’est soldée par des résultats assez dérisoires. Autant conclure que la première n’est pas vraiment soluble dans la seconde…

Post scriptum

J’ignore si la thèse V. Creţulescu a été rédigée en français ou en roumain puis traduite, toujours est-il que le livre comporte, les nombreuses coquilles mises à part, des formulations confuses et des erreurs qui perturbent la lecture sans pour autant rendre illisible le texte. Quelques exemples : « inclus » (au lieu d’inclut) p. 29, « diaspore » (pour diaspora) p. 52 et passim, « concernant » (pour concentrant) p. 52, « roumainisant » (pour roumanisant) 85, « roumaino-aroumaine » p. 86, 115, conception latiniste « tout courte » p. 86, « son impacte » (pour impact), « pourcent » p. 125, « Roja commence par donnant » p. 128, « pierres miliaires », p. 133, décisivement, p. 130, « En ce qui suit nous ne pancherons » p. 143, « quatre-huitarisme » p. 145, princes « terriens » (pour autochtones) p. 146, « aux celles » p. 164, « en roumain en originel » 169, « si je pourrais » 179, « catholicization » 197, « l’emprise accumulatrice du Patriarcat », p. 197 « un people qui » p. 17 et 247. Le livre étant conçu dans un remarquable souci de clarté, il serait bon que l’éditeur fasse les corrections nécessaires, au moins pour la version numérique.


Droit de réponse

M. Vladimir Crețulescu a demandé un droit de réponse au blog de Nicolas Trifon. Nous le publions ici.

Lorsque j’ai lu la recension faite par Nicolas Trifon à propos de mon ouvrage paru en décembre dernier chez L’Harmattan, et intitulé Ethnicité aroumaine, nationalité roumaine : La construction discursive d’une identité nationale (1770-1878) [1], dans un premier abord, j’ai été enchanté par l’intérêt que M. Trifon prête à mon travail. Mais, en lisant attentivement son texte, paru le 6 janvier dans Le Courrier des Balkans no 1783 [2], j’ai constaté qu’il n’a pas compris l’essentiel de ma démarche théorique. De plus, même sur le plan empirique, ses critiques sont ou superficielles, ou mal fondées.

M. Trifon m’accuse de surenchère ou mésinterprétation des sources ; je vais confronter, donc, ces reproches (assez vagues, d’ailleurs), au témoignage concret et direct des sources mêmes. M. Trifon m’accuse d’avoir complètement négligé de contextualiser lesdites sources. Pourtant j’ai dédié deux sous-chapitres entiers à la seule contextualisation des sources étudiées pour la période 1770-1830 [3]. Enfin, M. Trifon m’accuse de m’être égaré par rapport aux « faits historiques ». Mais il ne développe point ce sujet, ni de près ni de loin : de quels faits historiques s’agirait-il ? Bien que je sois historien, je ne suis pas en mesure d’élucider ce mystère – mes capacités divinatoires sont limitées.

Quant à l’identité aroumaine-roumaine, je vais montrer qu’il ne s’agit pas d’un discours inventé de toutes pièces après 1830, à partir d’ « "éléments de langage" esquissés par les quarante-huitards valaques et moldaves », comme le pense M. Trifon. En ce qui suit, je vais démontrer que l’identité nationale roumaine des Aroumains est une construction discursive dont témoignent, et à laquelle participent, plusieurs intellectuels aroumains, comme par exemple C.H. Gehani (1773), G.C. Roja (1808, 1809) et M. Boiagi (1813). En fait, il s’agit d’un discours identitaire d’origine aroumaine. L’élite intellectuelle moldo-valaque des « quarante-huitards » [4] ne s’y rattache qu’après 1830, en prêtant sa contribution idéologique, et ensuite son appui politique, à un discours déjà constitué (voir pp. 145-209 de mon livre). D’ailleurs, c’est pour mettre en exergue ce développement collaboratif – œuvré avec la contribution successive d’élites aroumaines, puis roumaines –, que j’ai choisi de nommer mon objet d’étude « le discours aroumain-roumain », en développant un concept lancé par Thede Kahl (voir p. 31-32 de mon livre).

Parler d’identité, c’est créer l’identité : les « éléments de langage », comme objet de recherche

Puisque ce n’est pas la place ici de déferler un débat en détail sur les diverses problématiques de la « question Aroumaine » (la controverse sur les origines des Aroumains, le débat ‘langue vs. dialecte’ concernant leur idiome, etc. – des questions qui ne font, d’ailleurs, pas l’objet de mon livre), je vais me résumer à répondre seulement aux critiques centrales soulevées par M. Trifon. Je vais commencer avec la fin, pour ainsi dire, en m’attaquant à ses conclusions :

« Le problème est que chez cet auteur – dit-il à mon propos – le processus discursif est faussé pour ce qui est de la période 1770-1830. Les explications qu’il fournit sont par conséquent fausses puisque fondées essentiellement sur les "éléments de langage" esquissés par les quarante-huitards valaques et moldaves, des "éléments de langage" qui seront repris en Roumanie par ceux qui se présentent jusqu’à nos jours comme les gardiens de la « tradition ». C’est la principale objection que l’on peut soulever. »

Donc selon M. Trifon, ma description du processus discursif (en occurrence, aroumain-roumain) serait faussée, puisque mes explications sont fondées sur des "éléments de langage". Cette critique, caractérisée par M. Trifon lui-même comme « la principale objection que l’on peut soulever », demontre que le recenseur a manqué de comprendre l’essentiel même de ma démarche. Car, en fait, la question de recherche que je me suis proposé d’éclaircir dans mon ouvrage fut :
« Comment s’est constitué et developpé le discours identitaire aroumain-roumain, jusqu’à l’indépendance roumaine ? » (p. 32 de mon ouvrage)

L’essentiel de ma démarche porte donc précisément sur l’évolution de ce que M. Trifon appelle, non sans une note malicieuse, des éléments de langage. En effet, j’ai étudié une manière de parler sur les Aroumains, promue par un certain discours identitaire. Ce faisant, je me suis situé dans la tradition académique du tournant linguistique (linguistic turn) [5] dans les sciences sociales, dont la perspective théorique « appréhende les identités collectives non pas comme des objets fixes à décrire, mais plutôt comme des processus discursifs à expliquer », et qui m’a inspiré à interroger l’identité aroumaine « comme étant non pas une réalité dure et inéluctable, mais un système de représentation, un assemblage d’articulations discursives. » (p. 37 de mon livre).

En fait, bien que M. Trifon apprécie mon cadre théorique comme constituant « la partie la plus passionnante du livre », il semble avoir manqué les implications de mes choix théoriques et méthodologiques ; et j’en suis navré, particulièrement étant donné l’effort que j’ai dépensé à expliquer et expliciter ces choix, et leur adéquation à mon objet de recherche (voir en particulier les pp. 27-32 et 35-39 de mon livre).

Aux sources de l’identité aroumaine-roumaine : laissons les Aroumains d’Europe centrale parler !

C’est intéressant d’observer que ce sont principalement les deux premières parties de ma recherche, traitant de la période 1770-1830 [6], qui attirent la plupart des critiques – « le processus discursif est faussé pour ce qui est de la période 1770-1830 », dit le recenseur. La troisième partie, recouvrant la période 1830-1878 [7], avec l’entrée en scène des « jeunes Moldaves et Valaques de la génération des révolutionnaires de 1848 », relève bien moins d’objections : « Avec ces derniers, les choses sont relativement simples, leurs écrits étant explicites », précise M. Trifon.

En fait, ce qui semble vexer le recenseur est ma démonstration de l’existence d’un filon identitaire roumain endogène, au sein de la communauté ethnique aroumaine, bien avant l’intervention exogène de la propagande nationale roumaine, après 1830 (ou pour être plus précis, après 1860).

De ce fait, pour ce qui est du discours identitaire aroumain-roumain entre 1770 et 1830, M. Trifon est impitoyable :
« A force de présuppositions et d’extrapolations portant sur des différends au sein par exemple de l’église grecque et valaque de Pest au tout début du XIXe siècle, il finit mutatis mutandi[s] par s’éloigner non seulement des faits historiques mais aussi des interprétations suggérées par les auteurs d’origine aroumaine citées, pour mettre en avant l’« idée de l’unité linguistique et ethno-nationale des Aroumains et de Roumains » (p. 110). »
Ou encore :

« L’absence de toute tentative de contextualisation des sources utilisées par V. Creţulescu pour mettre en récit le « discours identitaire aroumain-roumain » et la propension de cet auteur à « surinterpréter » font que ce discours se recoupe en fin de compte avec le discours roumain tout court, celui des essentialistes. »

En fait, je suis non seulement politologue, mais aussi (même principalement !) historien, et ma thèse de doctorat – dont mon livre est la forme publiée – est, en fait, une thèse en histoire et science politique (c’est quelque chose que M. Trifon a mystérieusement omis de préciser dans sa recension). Dans ce contexte, les charges d’éloignement par rapport aux faits historiques, d’interprétation abusive, surinterprétation ou manque de contextualisation des sources historiques sont, vraiment, très graves. Je vais leur répondre à la manière d’un historien : à savoir, en confrontant ces accusations aux sources historiques mêmes qui sous-tendent et soutiennent mon argumentation, et que j’ai supposément mésinterprétées, « surinterpretées », etc.

Je précise que tous les extraits des sources à suivre se trouvent cités explicitement dans mon livre, et que j’ai mobilisé ces citations afin de démontrer la présence d’un discours identitaire roumain parmi les Aroumains, avant 1860 ; en fait, c’est précisément la partie de ma thèse dont la « démonstration n’est guère convaincante », selon l’avis de M. Trifon.

Commençons avec le cas de l’église grecque et valaque de Pest, évoqué par M. Trifon. Voici un extrait de la pétition adressée aux autorités autrichiennes, le 27 août 1807, par les Aroumians (Valaques) qui faisaient partie de la paroisse en question :

« En effet il est incontestable que notre langue maternelle valachique dans laquelle on officie partout la Liturgie et les Services sacrées, nous l’avons en commun avec les autres sujets de cette nation du Royaume césarique. » [8] (p. 109 de mon ouvrage).

Dans le contexte historique de l’Empire des Habsbourg à l’époque, il est assez clair que la référence aux « autres sujets de cette nation » (valaque, implicitement) qui officiaient « partout la Liturgie et les Sevices sacrées » dans leur langue valaque, visait les Roumains de Transylvanie. Ceux-ci avaient leur propre association culturelle nationale depuis 1795, et employaient le roumain dans le service religieux. Les Aroumains de Pest réclament le même privilège pour leur idiome aroumain, en assimilant – au moins discursivement – cet idiome à la langue roumaine parlée en Transylvanie (voir pp. 104-111 de mon livre, pour l’explicitation détaillée du contexte historique et discursif en question).

Ceci dit, on pourrait, pour l’instant, soupçonner qu’il s’agissait là d’une manœuvre ponctuelle, opérée par des Aroumains pestois utilisant l’association discursive aux Roumains transylvains afin de donner un plus de légitimité à leurs propres demandes ethno-nationales, dans un contexte précis et strictement local. Pourtant, d’autres sources aroumaines de la même époque et du même espace sociopolitique (l’Empire des Habsbourg) construisent l’association discursive aroumaino-roumaine d’une manière bien plus explicite, prononcée et développée. Cela situe la pétition pestoise de 1807 dans un réseau intertextuel bien plus ample, qui donne à voir la stratégie discursive déployée par une partie de la diaspore aroumaine d’Europe centrale, visant une mise en convergence du discours identitaire aroumain avec l’identité roumaine.

Voici, par exemple, ce qu’ écrit en 1808 l’aroumain pestois G. C. Roja, dans son premier livre, publié à Pest, et intitulé « Recherches sur les Roumains ou soi-disant Vlaques, qui habitent de l’auter côté du Danube » :

« Le peuple, dans sa langue maternelle, emploie comme nom pour soi-même le mot ‘Romani’, ‘Ramani’, qui diffère seulement en prononciation, et qu’il garde jusqu’à nos jours. […] Le nom de ‘Romains’ est aujourd’hui propre à ma nation aussi bien qu’à nos frères qui se trouvent en Transylvanie, Valachie et Banat […] cela explique notre descendance des Romains et les sonorités similaires avec la langue latine. » [9] (p. 123 de mon livre).

Et encore le même auteur, dans les pages du même livre :

« Ce n’est pas mon but de parler des Roumains qui habitent en Transylvanie et en Valachie, mais je veux montrer en bref que ceux-ci sont nos frères, chose qui se voit premièrement de leur nom, car ils s’appellent, eux aussi, Romains ; deuxièmement, [ça se voit] de leur langue qui est une et la même avec notre langue, bien que mélangée avec des mots slaves ; néanmoins, les deux branches s’entendent réciproquement assez bien. » [10] (p. 126 de mon livre).

Qui plus est, l’idée des rapports de parenté et d’unité linguistique supposés à relier les Aroumains et les Roumains n’est guère une nouveauté apparue dans la diaspore aroumaine ex nihilo, en 1808. En 1773, le savant errant Constantin Hagi Gehani, aroumain de Moscopolis, visite le professeur allemand Johann Thunmann, à Halle. A cette occasion, Gehani informe Thunmann sur les Aroumains, lui disant, entre autres, que ceux-ci « parlent la même langue que leurs frères de l’autre côté du Danube, mais très mélangée avec des mots grecs. » [11] (p. 81-82 de mon livre).

En fait, M. Trifon m’accuse d’avoir « surinterpreté » de tels passages, notamment en m’éloignant « des interprétations suggérées par les auteurs d’origine aroumaine citées ». Pour ma part, je dirai que les propos exprimés dans les fragments cités sont plutôt clairs et explicites, ne nécessitant point de grands efforts herméneutiques pour mettre à jour les interprétations qu’elles « suggèrent ».

De plus, Roja n’est pas isolé dans sa plaidoirie pour la fraternité ethnoculturelle aroumaino-roumaine : les noms des 200 parrains Aroumains listés à la fin de son premier livre – ceux ayant financé la publication du tome (voir p. 127-128 de mon ouvrage) – démontrent que les propos de cet auteur expriment les avis et aspirations d’une partie consistante de la diaspora Aroumaine central-Européenne.

Si les options identitaires de Roja ne sont pas encore assez claires, notons que le titre de son second livre, publié à Buda en 1809, exprime tout un programme culturel : « La maîtrise de la lecture roumaine avec des lettres latines, qui sont les lettres anciennes des Roumains, pour le polissage de tout le peuple Roumain de ce côté et de l’autre du Danube » [12]. En fait il s’agit d’un traité de grammaire, dont le but, déclaré dans son titre même, est de parachever une langue littéraire unique, vouée à l’usage de « tout le peuple roumain », à savoir des Aroumains (dont le foyer ancestral se trouve au Sud du Danube), comme des Roumains (qui habitent au Nord du grand fleuve). A cette fin, l’auteur estime nécessaire de « bannir de notre langue tous les mots étrangers et mettre à leur place d’autres [mots] roumains inaltérés, qui sont parsemés dans les dialectes désunis du même peuple roumain » [13] (voir pp. 128-133 de mon livre).

Les efforts grammairiennes de Roja sont miroités par un autre Aroumain, Mihail Boiagi, qui publie en 1813, à Vienne, sa « Grammaire Roumaine ou Macédonovlaque » [14]. L’adhésion de cet auteur au discours identitaire aroumain-roumain est considérablement moins explicite que dans le cas de Roja : ici il est vraiment question de suivre une ligne d’interprétation suggérée (plutôt qu’affirmée) par l’auteur en question. Voici donc un passage suggestif :

« Notre langue valaque, qui est parlée par quatre millions d’âmes, mais [trop] politiquement parsemés pour pouvoir s’unir dans un tout important (par comparaison, comme les Hongrois sont unis dans leurs deux ou trois millions !) et qui même dans le pays, tellement heureux par nature, appelé par ses habitants Valachie, [comme en Moldavie [15] […], a ses garanties les plus sûres dans ses sœurs, les langues italienne, française, espagnole, pour voir ce qu’elle-même pourrait devenir lorsque le souci pour sa culture saisirait le peuple entier, de la couche la plus haute jusqu’à la plus basse ! » [16] (p. 137 de mon ouvrage)

Il n’est pas excessif, ni abusif d’inférer de ce passage que, selon Boiagi, « notre langue valaque » (la référence est à l’idiome des Aroumains, dans ce contexte) était parlée aussi en Valachie, « comme en Moldavie », donc dans les Principautés roumaines du Nord du Danube ; et que par conséquent, les « quatre millions d’âmes » évoqués par Boiagi réunissaient la totalité des Roumains Nord-danubiens et Aroumains balkaniques, parleurs, à son avis, de la même langue maternelle valaque (littéralement, dans les mots de Boiagi : walachische Muttersprache).

Conclusion

Je crois avoir démontré que le discours identitaire aroumain-roumain n’est pas une invention des révolutionnaires roumains de 1848, comme le pense M. Trifon, mais une création aroumaine. Cette conclusion est soutenue, clairement et souvent explicitement, par des sources historiques peu nombreuses – c’est vrai –, mais très éloquentes. En fait les élites roumaines « quarante-huitardes » ne font que reprendre ce discours identitaire, qui constitue l’une des manières conçues par les Aroumains eux-mêmes, pour penser et parler de leur propre identité ethnique [17].

En outre, M. Trifon m’impute que, dans mon analyse, le discours aroumain-roumain « se recoupe en fin de compte avec le discours roumain tout court, celui des essentialistes. » ; et ce reproche démontre, à lui seul, que le recenseur n’a vraiment pas compris l’essence de ma démarche. Car en fait oui, c’est exact : ce que M. Trifon appelle « discours roumain tout court », et ce que j’appelle « discours aroumain-roumain »… ce sont, en effet, exactement la même chose – il s’agit bien du seul objet de recherche de mon ouvrage. J’en préfère la désignation de « discours aroumain-roumain », en raison du fait que ce discours fut conçu par des Aroumains (bien que le recenseur refuse d’accepter ses évidentes origines aroumaines), et ensuite repris et développé par les Roumains.
Quant à l’essentialisme évident de ce discours identitaire (qui, dans sa forme parachevée, postule que les Aroumains ont toujours été et seront toujours, fondamentalement, des Roumains), j’en ai bien pris mes distances, notamment en traitant mon objet de recherche en tant que discours, à savoir « comme étant non pas une réalité dure et inéluctable, mais un système de représentation, un assemblage d’articulations discursives. » (p. 37 de mon livre). M. Trifon semble, pourtant, avoir manqué d’observer le non-essentialisme de ma démarche. A-t-il, peut-être, lu mon livre à la lumière de ses propres partis pris essentialistes concernant l’identité des Aroumains ?...

Post scriptum 

Parmi les critiques secondaires de M. Trifon, il y en a une qui m’a vraiment étonné : « évoquer « l’existence d’une ethnicité aroumaine bien définie dès le Xe siècle, au plus tard » (p. 51), n’est pas sans soulever quelques objections de fond », écrit le recenseur. Il développe ses objections sur ce point dans sa note no. 5, lorsqu’il ‘déplace’ le point d’origine de l’ethnicité aroumaine au XXe siècle.

M. Trifon rejette donc mon assertion de l’existence d’une ethnicité aroumaine au Xe siècle. Voilà, pourtant, ce qu’il nous dit sur ce même sujet, dans les pages de son magnum opus, intitulé Les aroumains, un peuple qui s’en va :
« Les Aroumains sont attestés pour la première fois dans les Balkans, sous le nom de Valaques, aux alentours de l’an mille. […] La mention d’un ethnonyme jusqu’alors inconnu, celui de Valaque, apparaît dans la charte signée en 980 par l’empereur byzantin Basile II […] La charte de 980 confère le commandement des Valaques d’Hellade à Nikulitsas l’Ancien, dont le petit-fils, le stratège (gouverneur) Kékavménos, se fera le chroniqueur – et pourfendeur – de la révolte des Valaques contre Byzance de 1066, dans ses Conseils et récits. » [18]

Il va sans dire que l’année 980 appartient au Xe siècle. Qui plus est, si les Valaques sont assez solidaires en 1066 pour pouvoir organiser une révolte, alors ils constituent, en toute probabilité, une communauté ethnique dont la cohésion interne est instituée et maintenue par sa propre ethnicité, et non seulement une simple catégorie ethnique, conçue et perçue uniquement de l’extérieur, par les Byzantins [19].

Peut-être s’agit-il d’un simple malentendu engendré par mon emploi maladroit du syntagme « au plus tard », que je regrette, et que le recenseur a tenté de corriger. L’autre possibilité est moins innocente : du zèle polémique à la malhonnêteté intellectuelle, il n’y a parfois qu’un pas. Je suis sûr, pourtant, que ce n’est pas le cas : Nicolas Trifon est un auteur sérieux, dont je respecte l’oeuvre, bien qu’il ne soit pas historien de formation, et même si nos interprétations des « faits historiques » s’avèrent parfois divergentes.

Par ailleurs, je remercie M. Trifon de m’avoir signalé les quelques fautes de frappe et formulations étranges ayant échappées aux multiples relectures de mon texte, précédant sa publication.

Notes

[1] Vladimir Crețulescu, Ethnicité aroumaine, nationalité roumaine : la construction discursive d’une identité nationale (1770-1878), préf. Florin Turcanu, L’Harmattan (Questions contemporaines), 2021, 249 p.

[2] Pour la version en ligne de la recension en question, accéder au lien : https://www.courrierdesbalkans.fr/L-ethnicite-aroumaine-est-elle-soluble-dans-la-nationalite-roumaine.

[3] Voire les chapitres I.2 (intitulé « Moscopolis : prospérité économique et fleurissement culturel », pp.60-67) et II.1 (intitulé « Les Aroumains de l’Europe centrale et l’essor d’une bourgeoisie aroumaine : économie, culture et identité », pp. 95-111).

[4] Le syntagme « quarante-huitards » est utilisé dans l’historiographie roumaine pour désigner les révolutionnaires roumains de 1848.

[5] Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Editions Gallimard, 1969 ; Norman Fairclough, Language and Power, Second Edition, London, New York, Longman, 2001 [1989] ; Ernesto Laclau and Chantal Mouffe, Hegemony and Socialist Strategy : Towards a Radical Democratic Politics, London, Verso, 1985 ; Jacob Torfing, New Theories of Discourse : Laclau, Mouffe and Žižek, Oxford – UK, Malden – Massachusetts, Blackwell Publishers, 1999 ; Henry G. Widdowson, Discourse Analysis, Oxford, Oxford University Press, 2007 ; Ruth Wodak, The Discourse of Politics in Action : Politics as Usual, Palgrave Macmillan, 2011. Et je cite ici seulement les auteurs que j’ai mobilisés dans mon ouvrage. La tradition théorique du tournant linguistique est bien plus riche et diverse que ces quelques citations le suggèrent, car elle trace ses racines, via Foucault et Derrida, jusqu’aux philosophes du langage (William James, Ludwig Wittgenstein, David Kaplan, John L. Austin, John R. Searle, entre autres).

[6] Il s’agit des chapitres I et II, recouvrant la période 1770-1830, ou pp. 55-143 du livre.

[7] Il s’agit du chapitre III, recouvrant la période 1830-1878, ou pp. 145-209 du livre.

[8] « Indubitatum etenim est, primitivam nostram linguam Valachicam in qua Lyturgiae et Sacrae functiones ubique celebrantur, communem nobis esse cum ceteris nationis hujus caesaree Regiis subditis » (nos italiques) ; Pericle Papahagi, Scriitori aromâni în secolul XVIII (Cavalioti, Ucuta, Daniil), Institutul de Arte Grafice „Carol Göbl”, Bucarest, 1909, p. 22, note en bas de page 3 ; voir aussi Valeriu Papahagi, Viaţa culturală a aromânilor în secolul al XVIII-lea şi în prima jumătate a celui de-al XIX-lea, Viorel Stănilă (ed.), Institutul Cultural Român, Institutul de Ştiinţe Politice şi Relaţii Internaţionale, București, 2015, p. 207 ; le syntagme « caesaree Regiis » (« Royaume césarique ») signifie l’Empire des Habsbourg.

[9] « Die Nation fuhr immer fort, sich in der Muttersprache Romani, Ramani zu nennen, welche nur in den Buchstaben etwas veränderte Benennung sie auch heut zu Tage behaltet. […] Der Name Romanier ist heute meiner nation und unseren in Siebenbürgen, in der Wallachen und im Banat sich befindenden Brüdern eigen, […] weil er durch unsere unten zu bezeugende Herstammung auch von den Römern, und durch die sehr lateinisch klingende Sprache befestiger wird. » ; Georg Constantin Roja, Untersuchungen über die Romanier oder sogennanten Wlachen / ΕΞΕΤΑΣΕΙΣ περίτων ΡΩΜΑΙΩΝ η των ονομαζομένων Βλάχων, Mathias Trattner, Pesth, 1808, pp. 42, 44.

[10] « Von den in Seibenbürgen und in der Walachen wohnenden Romaniern zu reden, gehört zwar zu meinem Zwecke nicht, doch will ich nur kurz erwähnen, dass sie unsere Brüder sind, welches erstens aus ihrer Benennung erhellet, indem sie sich auch Romani nennen ; zweitens aus ihrer Sprache welche eine und dieselbe mit unserer ist, nur mit slavischen Wörtern erwas vermischt ; doch beide Nationen verstehen sich im Sprechen ziemlich. » ; Roja, Untersuchungen / ΕΞΕΤΑΣΕΙΣ, p. 98.

[11] « sie reden ebendieselbe Sprache als ihre Brüder diesseits der Donau : nur ist sie mit griechischen Wörtern stärker vermischt » ; Johann Thunmann, Untersuchungen über die Geschichte der östlichen europäischen Völker, Leipzig, 1774, p. 174.

[12] La référence complète de cet ouvrage, y compris son titre originaire bilingue, en aroumain à caractères cyrilliques et en grec, est la suivante : Gheorghe Constantin Roja, МАЕСТРЇА ГЇѠВАСИРЇЙ РѠМѪНЕЩЙ ку литєрє латинєщй, карє сѫнт литєрєлє Рѡмѫнилѡр чялє вєкй / ΤΕΧΝΗ ΤΗΣ ΡΩΜΑΝΙΚΗΣ ΑΝΑΓΝΩΣΕΩΣ με Λατινικά γράμματα, τα οποία είναι τα παλαιά γράμματα των Ρωμάνων, Crăiasca Tipografie a Universităţii Ungureşti, Buda, 1809.

[13] « Ѫнаинте де тоате дар липсѣще съ лъпъдъм дин лимба ноастръ тоате кувинтеле чѣле стреине, ши съ пунем ѫн локул лωр алтеле невътъмате Рωмѫнещи, каре сѫнт прин дезбинателе ачеїѧш Гинтъ Рωмѫнѣскъ дїалекте съмънате » ; dans la version grecque, ce passage est plus lapidaire : ‘Εν πρώτοις λοιπόν πρέπει να αποϐάλλωνται όλαι αι ξέναι λέξεις απο την γλώσσαν μας, και να τιϑώνται γνήσιαι, αι οποίαι ευρίσκονται διασκορπισμέναι εις τας διαφορούς διαλεκτούς της Ρωμανικής γλώσσης » ; Roja, МАЕСТРЇА / ΤΕΧΝΗ, p. 10,11 ; voir aussi V. Papahagi, Viaţa culturală, p. 233-234.

[14] BOIAGI, Mihail G. Boiagi, ΓΡΑΜΜΑΤΙΚΗ ΡΩΜΑΝΙΚΗ ΗΤΟΙ ΜΑΚΕΔΟΝΟΒΛΑΧΙΚΗ / Romanische oder Macedonowlachische Sprachlehre, Vienne, dans la typographie de Johann Snyrer, 1813 ; Ma traduction du titre de l’ouvrage sous la forme « Grammaire Aroumaine ou Macédonovlaque », au lieu de « Macédonovalaque » n’est pas une erreur de ma part, comme le suggère M. Trifon dans sa note no. 8, mais un choix manifeste que j’ai fait : j’ai bien argumenté mon choix de légèrement modifier la traduction préférée par Matilda Caragiu-Marioțeanu, dans la note en bas de page no. 136, p. 133-134 de mon ouvrage.

[15] Dans la version Allemande du texte, l’auteur ajoute la précision « so wie in der Moldau » ; la précision en question est absente de la variante grecque.

[16] « Unsere walachische Muttersprache, die von etiva 4 Millionen Geelen geredet wird, die aber bisher politisch zu fehr zerstückelt sind, um eine bedeutende masse zu bilden, (wie bedeutend sind dagegen die vereinten 2 bis 3 Millionen Ungarn !) die selbst in dem von Natur so glücklichen Laude das nach seinen Bewohnern die Walachen gennant wird, so wie in der Moldau [...], hat an ihren Schwestern, der italiänischen, französischen und spanischen Sprache die sichersten Bürgen, was auch aus ihr werden könnte, wen sie sich einst der glücklichen Zilege der ganzen Nazion, Hoher und Niederer, erfreuen könnte ! » ; Mihail G. Boiagi, Gramatica română sau macedo-română reeditată cu o introducere şi un vocabular de Pericle Papahagi, Bucureşti, Tipografia Curţii Regale, F. Göbl Fii, 1915 [1813], p. ι (10).

[17] Le discours aroumain-roumain n’est pas la seule manière de concevoir l’ethnicité aroumaine. Dans l’introduction de mon livre (voir pp. 20-27), j’ai aussi recensé les auteurs ayant contribué aux deux autres discours sollicitant l’adhésion identitaire des Aroumains : en l’occurrence, il s’agit du discours qui construit les Aroumains en tant que des Grecs, voire du discours qui conçoit les Aroumains comme une minorité ethnoculturelle sui generis. M. Trifon est, de nos jours, le plus subtil et brillant défenseur de ce dernier discours identitaire. Pour un échantillon de son regard critique sur les conséquences du discours – et du mouvement – aroumain-roumain, voir Nicolas Trifon, « Les Aroumains en Roumanie depuis 1990 : comment se passer d’une (belle‑)mère patrie devenue encombrante », Revue d’études comparatives Est‑Ouest, Les politisations de l’identité dans les Balkans contemporains (numéro thématique), Nadège Ragaru (dir.), t. 38, no. 4 / 2007, pp. 173‑200.

[18] Nicolas Trifon, Les Aroumains, un peuple qui s’en va, Editions Acratie, La Bussière, 2005, p. 6 ; pour la nouvelle édition du même livre, consulter Idem, Les Aroumains, un peuple qui s’en va, Editions Non Lieu, 2013, 554 p.

[19] Pour mes définitions opérationnelles des concepts « catégorie ethnique », « communauté ethnique » et « ethnicité », voir p. 43 de mon ouvrage.

Notes

[1Ethnicité aroumaine, nationalité roumaine : la construction discursive d’une identité nationale (1770-1878), préf. Florian Turcanu, L’Harmattan, 2021, (Questions contemporaines), 249 p. Les origines du discours identitaire aroumain-roumain (1770-1878) : la construction d’une identité est le titre de la thèse de V. Creţulescu codirigée par Viorel Panaite et Philippe Claret.

[2Dans sa préface, Florin Turcanu se contente de parler de « reliquat sud-danubien de la romanité orientale » tout en ajoutant une précision plus inattendue : « la population aroumaine » serait aujourd’hui au seuil de « la fin d’une longue histoire » (p. 13).

[3Pour une « confrontation » entre la position des linguistes roumains et étrangers, notamment les romanistes de langue allemande cf. Wolfgang Dahmen et Johanes Kramer dans Klump Andre, Kramer Johannes, Willems Aline (ed.), Manuel des langues romanes, Berlin/Boston, 2014 (Manuals of Romance Linguistics ; 1).

[4A ce propos, plusieurs auteurs roumains sont cités, dont les linguistes qui, encore récemment, se sont prononcés sur le caractère dialectal de l’aroumain Matilda Caragiu Marioţeanu et Nicolae Saramandu. Les autres auteurs cités sont : Nicolae Serban Tanaşoca, Gherghe Zbuchea, Manuela Nevaci, Emil Tîrcomnicu, Iulia Wisoşenschi, Nistor Bardu, Stoica Lascu et Cătălin Alexa (p. 26).

[5La phrase exacte est : « l’existence d’une ethnicité aroumaine bien contourée encore dès le Xe siècle, au plus tard ». Nous nous sommes permis d’intervenir pour la rendre compréhensible.

[6Die aromunische Frage : ihre Entwicklung von den Ursprüngen bis zum Frieden von Bukarest (1913) und die Haltung Österreich-Ungarns, Vienne, 1974.

[7En 1909 paraît Scriitori aromâni în secolul XVIII : Cavalioti, Ucuta, Daniil de Pericle Papahagi tandis qu’à la fin des années 1970 quand l’historien Valentin Papahagi s’apprête à finir son livre sur les relations entre les Daco-Roumains et les Aroumains qui ne paraîtra que plus tard. Les autres auteurs sont Theodor Capidan, Anastase Hâciu et Victor Papacostea.

[8De l’interprétation abusive à l’erreur il n’y a parfois qu’un pas. La première grammaire de l’aroumain publiée par Boïagi à Vienne en 1813 est rebaptisée par V. Creţulescu Grammaire roumaine ou macedonvlaque (p. 133 et passim). Il dit suivre sur ce point la linguiste Matilda Caragiu Marioţeanu. Celle-ci était pourtant formelle : « Les faits semblent indubitables, les intentions de Boïagi très claires et très fondées : la grammaire de Boïagi devrait s’appeler dorénavant Grammaire aroumaine ou macédonovalaque », conclut-elle dans l’article cité par V. Creţulescu (repris dans Aromânii şi aromâna în conştiința contemporană, Bucarest, 2006, p. 302.

[9M.D. Peyfuss, Chestiunea aromânească : evoluţia ei de la origini până la pacea de la Bucureşti (1913) şi poziţia Austro-Ungariei, trad. N.-S. Tanaşoca, Bucarest, 1994, p. 33. La phrase soulignée par nous, en italique, ne figure pas chez V. Creţulescu lorsqu’il cite à son tour ce passage (p. 179). Le premier se réfère au 4e volume des Oeuvres de Bălcescu édité par C. Zane en 1940, p. 229, le second à l’édition de 1990, p. 174.