BLOG • L’arrivée de la famille royale albanaise à Versailles en août 1939. L’interview exclusive du Roi Zog.

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L’arrivée de la famille royale albanaise en France en provenance d’Anvers (Belgique), lors du mois d’août 1939, a été un événement plus qu’attendu. Une quarantaine de journalistes et de photographes ont été présents ce jour-là, au château de la Maye, à Versailles, pour obtenir les premiers mots des nouveaux hôtes. Le journaliste Auguste Dupau, parmi les présents sur les lieux, a rapporté les détails de cette journée dans le journal Le Petit Parisien, le mercredi 9 août 1939.

Voici, ci-dessous, le texte dans son intégralité :

Le roi Zog au château de la Maye à Versailles.

Depuis plus d’un mois, on attendait l’arrivée en France du roi Zog, qui, accompagné de la reine et du prince héritier Alexandre, avait décidé de venir effectuer un assez long séjour au château de la Maye, à Versailles, dans cette magnifique demeure qui abrita durant six mois, l’année dernière, le duc et la duchesse de Windsor ;

Mais les jours, puis les semaines passèrent sans que le couple royal et cet enfant qui vint au monde dans les circonstances les plus dramatiques rejoignissent celles qui les avaient précédés dans la cité des rois, la sœur du souverain, la princesse Hadil (Adile), et les filles de cette dernière, deux ravissantes adolescentes.

On savait que le roi Zog villégiaturait sous d’autres cieux. Tour à tour, divers pays accueillirent l’infortuné, exilé, chassé de son trône et de son pays natal par un envahisseur qui ne reculait même point devant l’état de santé de cette jeune de vingt-deux ans qui ne dut la vie qu’à un véritable miracle.

C’est ainsi qu’en dernier lieu la capitale de la Norvège tint à donner une généreuse hospitalité à ce couple pour lequel le mot « patrie » ne signifie plus qu’un espoir, celui de revenir un jour en ce château de Tirana, berceau d’une illustre famille.

Puis, soudain, lundi, une nouvelle parvint à Paris, très laconique. Elle mentionnait seulement que le roi Zog et sa suite avaient débarqué à Anvers du paquebot Brabant et que, faisant route sur Bruxelles, ils quitteraient cette ville dans l’après-midi même pour gagner la France.

Ce fut alors l’habituelle ruée des journalistes, photographes et cinéastes en direction de Versailles où lundi, dès 16 heures, l’attente commença sous la pluie battante.

Déjà, un service d’ordre avait été organisé autour de la Maye et une vingtaine d’agents et de nombreux inspecteurs surveillaient les alentours de la demeure.

Les heures passèrent, aussi lentes que mouillées, si bien que, peu après 23 heures, la princesse Hadil (Adile), touchée par la patience de ceux que leur devoir professionnel retenait en ces lieux, leur envoya un de ses secrétaires qui déclara : « Il est inutile que vous passiez, par ce temps épouvantable, la nuit ici. La sœur du roi vous prie de rentrer chez vous et de revenir, si vous le jugez utile, vers 5 heures du matin ; ce sera le moment où la famille royale arrivera ».

Aussitôt, on suspendit une partie du service d’ordre.

Peu à peu, les dernières lumières du château s’éteignirent une à une, et tandis que le ciel déversait sans interruption des torrents d’eau, le quartier aristocratique de Glatigny retomba dans son calme habituel et seul le vent soufflait parmi les hautes frondaisons.

Hier, à l’aube, tandis qu’une bise aigre forçait à courber l’échine et relever le col des pardessus, la faction commença à nouveau. Deux douzaines de gardiens de la paix se postèrent en une double haie auprès de la porte principale du château, et on attendit.

Plus heureux que la veille, la pause ne fut point très longue : alors que cinq heures venaient de sonner à une chapelle voisine, des estafettes motocyclistes de la police d’État passèrent à vive allure et, du bruit de leurs moteurs, réveillèrent les alentours.

Dans la demeure, on s’affairait ; des visages se montraient derrière les rideaux de tulle des fenêtres du premier étage ; des pas raisonnaient dans les allées sablées.

Enfin, au loin, dans l’avenue du parc de Glatigny, toute une caravane d’autos se montra. Fermant la marche un gros camion de couleur grise s’essoufflait à suivre les puissants véhicules qui le précédaient.

Quelques coups de klaxon et, toute grande la grille s’entrouvrit, laissant passage à l’auto royale. Cinq taxis qui, comme la voiture de transport qui fermait la marche, avaient été loués à Anvers, se rangèrent dans l’immense cour.

Agile et sanglé dans un veston beige et portant un pantalon blanc, le roi Zog venait de sortir de sa conduite intérieure et, souriant, s’avançait vers sa sœur et ses nièces qui, heureuses, manifestaient leur joie.

Déférent, le secrétaire particulier du souverain, M. Martini, qui avait accompagné son maître, s’empressait vers les princesses, les trois autres sœurs du roi, qu’il aidait à descendre de voiture. Mais la reine Géraldine, qu’on avait dit s’être rendue à Bourges, auprès de sa mère malade, était, elle aussi, à côté du roi ; et, toute vêtue de blanc, heureuse, jolie, rieuse, elle embrassa de belle façon sa grand-mère, venue au château depuis quelques jours afin de l’accueillir.

Le petit prince Alexandre, insouciant, dormait dans un panier d’osier que sa nurse avait tenu à garder, durant tout le voyage, sur ses genoux.

Les premières effusions familiales passées, on alla coucher dans la nursery, au deuxième étage de la demeure, toute tendue de bleu pastel, l’enfant royal et, loin de vouloir se reposer, le roi et la reine se rendirent dans un salon du rez-de-chaussée où ils prirent une collation et s’entretinrent fort longtemps avec leurs parents.

Pendant ce temps, la suite du roi prenait possession des communs et les innombrables colis, caisses et bagages contenus dans le camion furent déchargés.

Il était à peine sept heures lorsque les souverains témoignèrent le désir de se promener quelques instants dans le parc magnifique qui, comprenant un hectare et demi, s’étend derrière le château.

Le commissaire Guillaume, attaché à Sa Majesté, vint annoncer la bonne nouvelle, et c’est ainsi que, en bon ordre, une quarantaine de journalistes et de reporters photographes traversèrent les quelques mètres qui les séparaient du grand salon du rez-de-chaussée, où, très droit, vêtu d’un pantalon de flanelle blanche et d’un veston d’intérieur, le roi Zog les attendait.

Son neveu, le prince Sali, ancien élève de Saint-Cyr, fut chargé de traduire les paroles de l’ex-souverain. Le roi insista d’abord pour de cette longue attente de plusieurs heures.

« Nous étions tous très, très fatigués par un voyage bien long », dit-il.

Après avoir tenu à serrer la main de chacun de ses hôtes d’un moment, le roi Zog déclara :

« Je dois vous témoigner toute la considération que j’éprouve pour la presse française et c’est un devoir pour moi de vous dire cela. Il faut que l’on sache la vive admiration que mon peuple a pour votre pays et, malgré la pauvreté bien connue de ma nation, nous avons créé de toutes pièces, dans une de nos villes, un important lycée où la culture française est à l’honneur. Ceci démontre combien votre littérature est appréciée par nous tous ».

Et, après un instant de silence, souriant, le roi poursuivit :

« Ce n’est pas moi qui apprendrai aux journalistes français qui m’entourent au combien, dans le passé, comme à l’heure présente, leur pays s’est montré grand et généreux, mettant un point d’honneur à protéger les petits pays ».

Et il ajoute :

« Vous avez une patrie grande et forte. Son cœur et son abnégation sont sans limite et elle est respectée de tout le monde. Elle n’a qu’à continuer son admirable politique ».

Pour ce qui est de la durée de son séjour, l’ex-souverain a déclaré ne pouvoir répondre.

« Mais j’ai tenu à chercher asile dans ce pays, a-t-il dit, c’est-à-dire me mettre dans son ombre généreuse et forte ».

Une dernière question :

« Croyez-vous qu’il reste encore en Albanie des patriotes qui sacrifieraient leur vie pour le triomphe de leur idéal ? »

Ici le roi Zog prit un nouveau temps, puis, tourné vers le prince Sali, il scanda fortement :

« Il faut savoir qu’au XXe siècle, il ne peut y avoir de puissance capable de vivre sans liberté. L’Albanie est un nom formé du mot Illiria, qui, en notre langue, signifie liberté. La majorité de mon peuple a toujours au fond du cœur cet idéal et il saura faire son devoir. C’est d’ailleurs pourquoi mes sujets portent une telle affection à la France. Cela, il faut qu’on le sache ».

L’entretien se termina par quelques mots de gratitude de l’ancien monarque, qui se montra très touché qu’on s’informait de la reine et du prince héritier Alexandre. Et le visage illuminé d’un sourire :

« Ils vont aussi bien que possible, répondit-il. D’ailleurs, je puis vous donner l’assurance que, lorsque notre maison sera organisée, la reine tiendra à vous recevoir tous ».

Auguste DUPAU

Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Publié en version albanaise : https://www.darsiani.com/la-gazette/le-petit-parisien-1939-mbreti-zog-ne-versailles-perballe-dyzet-gazetareve-dhe-reportereve-fotografe-shqiperia-eshte-nje-emer-i-formuar-nga-fjala-iliria-e-cila-ne-gjuhen-tone-do-te-thote-liri/