Procès Mladić : épilogue pour une cohorte de crimes, 16 ans de cavale et cinq ans de procès

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Comment le colonel Ratko Mladić est-il devenu le chef des forces armées serbes de Bosnie-Herzégovine ? Comment a-t-il pu défier si longtemps la justice internationale ? De quelles protections jouissait-il à Belgrade ? Comment a-t-il finalement été arrêté ?Pourquoi son procès a-t-il été si long ? Des réponses à travers les archives du Courrier des Balkans.

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Par la rédaction

Ratko Mladić
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Né dans une famille de partisans, Ratko Mladić « ne supportait pas » pas les tchetniks et le folklore nationaliste serbe. C’est du moins ce qu’affirment ses biographes. Le futur militaire a vu le jour le 12 mars 1942 dans un petit village de la commune de Kalinovik, près du Mont Treskavica, au sud-est de Sarajevo. Son père Neđo, combattant de la 49e Division d’Herzégovine des partisans, est tué par les oustachis en 1945, peu avant la fin de la guerre. Le jeune homme devient militaire et connaît une carrière sans éclat particulier jusqu’à ce qu’il soit nommé, en 1991, commandant du 9e Corps de l’Armée populaire yougoslave (JNA), basé à Knin, alors que les combats font rage dans toute la Krajina entre les forces croates et les sécessionnistes serbes. Le 4 octobre 1991, le colonel Mladić est promu général de brigade.

Six mois plus tard, le 24 avril 1992, il devient général de division, tout en étant muté à Sarajevo, où il est nommé chef d’état-major adjoint du deuxième district militaire de la JNA. La guerre a pourtant déjà commencé le 6 avril en Bosnie-Herzégovine. Le 12 mai, la Republika Srpska de Bosnie-Herzégovine crée sa propre armée, la VRS, dont Mladić prend le commandement, ce qui ne l’empêche pas d’être promu au rang de général de Corps d’armée de l’Armée de Yougoslavie (VJ) en 1994. Interlocuteur principal des Casques bleus de la FORPRONU, le général Mladić, rusé et autoritaire, s’impose comme le personnage central de la guerre de Bosnie-Herzégovine. Le 24 mars 1994, sa fille Ana, 23 ans, se suicide dans la maison familiale de Belgrade, en utilisant l’arme de service de son père.

Lors de la chute de l’enclave bosniaque de Srebrenica, en juillet 1995, les images du général Mladić procédant, à Potočari, au tri des futures victimes, ont fait le tour du monde. Il est inculpé quelques mois plus tard, par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) des crimes de « génocide, persécutions, complicité dans le génocide, extermination, meurtres, déportation, attaques contre des civils et prise d’otages ».

Une cavale sous très hautes protections

Malgré cela, Ratko Mladić va encore couler des jours paisibles durant quelques années en Republika Srpska, résidant, sans se cacher, dans une caserne de Han Pijesak, où il s’adonne aux plaisirs tranquilles de l’apiculture. Néanmoins, il doit bientôt passer de l’autre côté de la Drina et réside à Belgrade, dans le quartier de Banovo Brdo, toujours dans une très peu discrète semi-clandestinité. On le voit parfois se rendre au stade pour assister à un match de football. Sa situation se complique après la chute de Slobodan Milošević, en octobre 2000, et surtout après l’arrestation de celui-ci, en mars 2001. L’ancien général doit dès lors se cacher dans des casernes et des bâtiments militaires. En octobre 2004, deux appelés serbes trouvent la mort dans des circonstances toujours obscures dans la caserne de Topčider, à Belgrade : ils auraient probablement vu le fugitif.

Soumis à de fortes pressions internationales, les gouvernements serbes successifs lancent de régulières opérations visant, théoriquement, à arrêter Ratko Mladić. En réalité, les dépêches de Wikileaks ont révélé que les autorités étaient très précisément informées des déplacements du fugitif. En 2006, des assistants du général sont arrêtés sur la frontière entre la Serbie et la Bosnie-Herzégovine, et Mladić aurait lui-même échappé de peu à la capture.

En 2010, le gouvernement de Belgrade offre une prime de dix millions d’euros à qui donnera des informations permettant d’arrêter Ratko Mladić, mais celui-ci continue à jouir de protections très haut placées : en 2012, treize assistants du fugitif ont été traduits en justice en Serbie. En novembre 2017, des journalistes qui demandaient à consulter les documents se sont vu opposer une fin de non-recevoir, par le bureau du Procureur, le dossier étant toujours classé « secret d’État ».

Ratko Mladić a finalement été arrêté le 26 mai 2011, dans le village de Lazarevo, en Voïvodine, non loin de Belgrade : se faisant appeler Milorad Komadić, il se cachait chez des cousins, mais le scénario de son arrestation ressemble fort à une mise en scène, laissant supposer une reddition négociée. Aucun des parents de l’ancien général, notamment son cousin Branko chez qui il a été arrêté, n’a été inquiété par la police, alors que l’assistance aux fugitifs recherchés par le TPIY est un délit réprimé par la loi serbe. C’est en tout cas un homme affaibli qui apparaît alors sur les photos et les images de télévisions. Il aurait subi plusieurs accidents cérébraux.

Les rebondissements d’un interminable procès

Rapidement transféré devant le TPIY, Ratko Mladić refuse, lors de sa première comparution, le 4 juin 2011, de plaider coupable ou non coupable. En prison, son état de santé se dégrade encore : en août, il est hospitalisé pour être opéré d’une hernie.

Lors de ses premières comparutions, Ratko Mladić paraissait très faible, incapable de placer lui-même ses écouteurs ou de saisir un verre d’eau mais, lors de l’ouverture officielle de son procès, le 16 mai 2012, il multiplie les provocations, saluant le public et mimant un geste d’étranglement. Le procès va pourtant subir une série d’interruptions, tant en raison de l’état de santé de l’accusé que d’erreurs de procédure de l’accusation.

Fin 2013, le Tribunal fait obligation au prévenu de venir témoigner au procès de son ancien comparse Radovan Karadžić, lui-même arrêté à Belgrade en juillet 2008, et finalement condamné le 24 mars 2016 à 40 années de prison en première instance. L’audience a finalement lieu le 29 janvier 2014. Ratko Mladić refuse de répondre à toutes les questions, mais la confrontation entre les deux hommes se solde par un étonnant spectacle, Mladić lançant à Karadžić, « Izvini, Radovane ! » (« excuse-moi, Radovan ! »), et profitant de l’occasion pour qualifier le TPIY de « juridiction satanique ». En ouverture, son avocat, Me Branko Lukić, avait demandé au juge O-Gon Kwon de ne pas interpeller Mladić. « Mon client », avait justifié l’avocat, « souffre, selon les médecins, d’un problème de mémoire qui lui ne permet pas de distinguer les événements réels de ceux de son imagination ».

Le 7 décembre 2016, au terme de trois jours de réquisitoire, l’accusation requiert la prison à perpétuité contre l’ancien commandant des forces serbes de Bosnie-Herzégovine. Le 21 mars 2017, ses avocats déposent une demande de mise en liberté provisoire, afin que leur client puisse se rendre en Russie pour être soigné. Selon eux, il serait « en danger de mort ». L’état de santé de Ratko Mladić a encore été invoqué, toujours sans succès, pour que soit reporté l’énoncé du verdict, attendu ce mercredi.