Homophobie d’État : la Roumanie sur la voie de la Hongrie et de la Pologne

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Le Sénat roumain a adopté un projet de loi contre la prétendue « propagande LGBT », conçu sur le modèle de législation hongroise, elle même inspirée par la Russie. Sous couvert de « protéger les enfants », ce texte prévoit surtout d’institutionnaliser l’homophobie et la transphobie. La société civile se mobilise.

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Par Florentin Cassonnet

La marche des Fiertés à Bucarest en 2018.
© ACCEPT

Malgré les avis négatifs du Conseil économique et social, l’organe consultatif du gouvernement et représentatif de la société civile roumaine, le Sénat a tacitement adopté le 27 avril les amendements copiant la législation homophobe et transphobe de Hongrie. Une initiative de sept sénateurs de l’Union démocrates des Magyars de Roumanie (UDMR), le parti de la minorité hongroise de Roumanie, très lié au Fidesz, la formation de Viktor Orbán.

L’adoption « tacite » du projet de loi signifie qu’il n’y a pas eu de vote. En effet, les deux grands partis de la coalition au pouvoir n’ont pas organisé de débat et de vote dans les délais impartis par la loi. Un moyen pour le Parti socialiste et le Parti National-Libéral de ne pas se mouiller politiquement sur ce sujet polémique... Tout en laissant passer une initiative qui correspond à leur conservatisme. En Roumanie, où il n’y a pas de séparation entre Église et l’État, le clergé orthodoxe conserve une forte influence sur le monde politique.

Le projet de loi prétend « protéger les enfants contre la diffusion par tous les moyens de contenus sur la déviation du sexe établi à la naissance ou la popularisation du changement de sexe ou de l’homosexualité ». Selon ses initiateurs, « dans les sociétés occidentales, nous assistons aujourd’hui à un assaut de nouvelles idéologies, comme la théorie du genre, qui mettent en danger les valeurs traditionnelles fondées sur le christianisme et le noyau même de la société, la famille chrétienne ». Selon eux, les mineurs constituent la catégorie la plus vulnérable, c’est pourquoi le projet de loi vise à modifier la loi de 2004 sur la protection et la promotion des droits de l’enfant.

Les initiateurs du projet proposent également que les parents puissent refuser la participation de leurs enfants aux cours d’éducation sexuelle. Or, aucun cours de telle sorte n’a jamais pu être organisé en Roumanie, ce qui pose d’ailleurs toute une série de problèmes. La Roumanie affiche par exemple le plus grand nombre de mères adolescentes d’Europe.

La Roumanie doit éviter la dérive illibérale promue par la Hongrie.

Dans la pratique, les programmes éducatifs ou les publicités se voulant solidaires avec les minorités sexuelles et de genre, comme la publicité Coca-Cola mettant en scène un couple d’hommes, seraient interdits si ce projet de loi est voté. Des séries comme Friends ou des films comme Bridget Jones, Harry Potter et Billy Eliot, qui évoquent l’homosexualité seraient réservés aux plus de 18 ans.

« L’activité des ONG qui soutiennent et promeuvent les droits des personnes LGBTIQ + pourrait être interdite, sous le faux prétexte de protection des mineurs », dénonce ACCEPT, la principale association roumaine de défense des droits des personnes LGBT+. Concrètement, « les ONG ne seront peut-être plus en mesure de parler des problèmes rencontrés par les personnes LGBTIQ+ dans l’espace public, de publier des informations, des livres spécialisés, des analyses juridiques. »

Des événements publics pourraient se voir également interdits, comme la marche de fiertés, car il pourrait y avoir des mineurs dans l’espace public à ce moment-là. « Adopter une législation explicitement homophobe et transphobe en censurant les informations sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre est une honte pour la Roumanie. La Roumanie doit éviter la dérive illibérale promue par la Hongrie », poursuit ACCEPT.

La Hongrie a adopté l’an dernier une telle loi interdisant la « promotion » de l’homosexualité chez les mineurs, accompagnant les restrictions croissantes imposées par le gouvernement Orbán aux personnes LGBT+. La Commission européenne a d’ailleurs lancé une procédure d’infraction contre la Hongrie concernant cette loi qualifiée de « honte » par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

« Restreindre l’accès des mineurs aux informations concernant leur orientation sexuelle et leur identité de genre n’est pas pour eux une forme de protection, mais une amplification de la discrimination, des préjugés et des stéréotypes », met en garde ACCEPT. Des discriminations qui mènent parfois au suicide des jeunes ciblés, comme cette adolescente en Moldavie qui s’est jetée du 22e étage de son immeuble après avoir été harcelée et violemment agressée par des camarades de classe. Le projet de loi attend désormais la validation de la Chambre des députés.