Guerre en Ukraine (3/5) | les adieux à Marioupol la Grecque

| |

Réduite en ruines par l’agression russe, la ville de Marioupol a été durant des siècles le centre de la communauté grecque d’Ukraine. Son avenir est plus incertain que jamais.

Cet article est accessible gratuitement pour une durée limitée. Pour accéder aux autres articles du Courrier des Balkans, abonnez-vous !

S'abonner

Traduit et adapté par Jad (Article original)

En septembre 2021, se tenait à Marioupol le 18ème festival pan-ukrainien de la culture grecque
© Facebook / Bella Terzi

« Ce que j’ai vu, j’espère que personne ne le verra jamais plus. Marioupol, c’est Guernica, Grozny, Alep. Marioupol n’est plus », lançait le consul général grec à Marioupol, Manolis Androulakis, au lendemain de son rapatriement. Accueilli en héros à Athènes le 20 mars, il a été le dernier diplomate européen à fuir la zone, essayant jusqu’au bout d’aider la communauté grecque de la ville martyre.

Dans les derniers jours de février, alors que les troupes russes avaient déjà avancé vers Marioupol depuis les territoires contrôlés par les sécessionnistes de Donetsk et de Lougansk, les autorités diplomatiques grecques ont préparé un plan d’évacuation pour les diplomates, journalistes et citoyens grecs. Jusqu’au bout, les diplomates espéraient que les Grecs de Marioupol seraient d’une certaine manière épargnés. Cette espérance se fondait non seulement sur la longue tradition d’amitié et de bonnes relations entre la Grèce et la Russie, mais aussi sur les prétendues assurances que le ministre des Affaires étrangères grec Nikos Dendias avait reçues de son homologue Sergueï Lavrov lors de leur rencontre du 18 février à Moscou.

Le 2 mars, un convoi d’évacuation, dirigé par l’ambassadeur Fragkiskos Kostellenos, est parti de la ville de Zaporijia, à quelque 300 km au nord-ouest de Marioupol. Il comptait initialement 82 passagers et 21 véhicules, mais d’autres se sont ajoutés en cours de route. La sortie de la ville martyre était une opération risquée, le convoi a dû s’arrêter et changer de cap à plusieurs reprises sous la menace des chars russes, des routes détruites et des ponts bombardés. Traversant des villages en ruine et des villes fantômes, la caravane grecque a finalement atteint la Moldavie, laissant derrière elle plusieurs Grecs qui voulaient encore tenter de survivre dans leur ville.

Une histoire pluri-millénaire

« Au début, l’Ukraine était en contact étroit avec les colonies grecques des rives de la mer Noire. Un peu de sang grec coule dans les veines des Ukrainiens, se manifestant par leurs charmants visages bronzés et leurs mouvements gracieux » : ce texte est un extrait de la biographie du grand romancier russe Fedor Dostoïevski, écrite par sa fille Aimée. Ces phrases illustrent de la manière la plus poétique comment l’histoire et la nature de la nation ukrainienne se mêlent à l’esprit hellénique.

Contrairement aux autres communautés grecques de la diaspora, qui sont le produit d’une migration économique qui s’est développée principalement au XIXe et au début du XXe siècles, la présence hellénique en Ukraine et en particulier dans la région de la mer d’Azov et de la mer Noire, où la plupart des Grecs vivaient jusqu’à une époque récente, remonte à l’Antiquité. Selon des sources historiques, des colonies grecques se sont établies dans l’ancienne Tauride, la région de l’actuelle Crimée, dès le VIIe ou le VIe siècle avant J.-C.

La présence hellénique a survécu jusqu’à l’époque moderne. Sous l’Empire byzantin, des Grecs des îles de la mer Égée et des côtes turques de la mer Noire se sont installés en Crimée. Après la chute de Constantinople, la région est restée sous le contrôle des Ottomans pendant 300 ans mais, profitant du déclin de l’Empire, la Russie a annexé la région de Crimée par le traité de Küçük Kaynarca, en 1774. C’est alors que sur ordre de la tsarine Catherine II, beaucoup de chrétiens orthodoxes grecs de Crimée ont été transférés dans la région de la mer d’Azov, où ils ont fondé la ville de Marioupol en l’honneur de la Vierge Marie.

« Roumeika » et « urum »

Au fil des ans, Marioupol est devenue un centre dynamique de l’hellénisme. Avant la guerre, la langue grecque était enseignée dans les écoles primaires et secondaires, mais aussi à l’Université de Marioupol. On comptait 29 villages grecs et près de 150 000 habitants d’origine grecque, ainsi que de nombreux mariages mixtes. Contrairement à d’autres communautés de la diaspora, soucieuses de préserver la « pureté du sang » par des mariages intra-ethniques, les mariages mixtes ont été une tendance bien enracinée et un choix conscient chez les Grecs de la région d’Azov, comme l’a montré la chercheuse Kira Kaurinkoski : épouser une personne d’une autre communauté est un moyen de se sentir « accepté » socialement et de donner de meilleures chances à ses enfants, car ils appartiennent ainsi « à un peuple avec un territoire reconnu ».

Un autre aspect qui différencie la diaspora grecque de Marioupol des autres communautés grecques dans le monde est associé à la langue. En plus du grec standard, il existe également un dialecte grec de Marioupol, appelé « roumeika ». Certains Grecs de l’Azov parlent aussi un dialecte turc, appelé « urum ». La mosaïque linguistique des Grecs du sud de l’Ukraine, révèle aussi la survie d’autres dialectes, comme le grec pontique, qui n’est plus guère parlé aujourd’hui que par des personnes âgées.

La survie et l’avenir de l’hellénisme à Marioupol sont aujourd’hui plus qu’incertains. Marioupol n’est plus qu’un fantôme de son glorieux passé. Dans une lettre d’appel émouvante adressée à la communauté internationale et aux Grecs du monde entier, publiée mi-mars dans les médias internationaux, Alexandra Protsenko-Pihadzhi, présidente de la Fédération des communautés grecques d’Ukraine, décrivait la catastrophe humanitaire que vivait Marioupol, parlant de « génocide » et demandant de l’aide pour organiser un « couloir pour l’évacuation des Grecs des communautés encerclées par l’ennemi ».