Par Marina Rafenberg
Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, les réfugiés ukrainiens sont les bienvenus en Grèce comme dans de nombreux pays européens. Le 1er mars, lors d’un débat au Parlement, le ministre des Migrations Nótis Mitarákis avait qualifié les Ukrainiens de « vrais réfugiés », jugeant qu’ils fuient une guerre à proximité de l’Europe. Les Ukrainiens bénéficient d’un an de protection temporaire avec le droit d’accéder au marché du travail et aux soins médicaux. Un site avec des offres d’emplois a même été mis à leur disposition et l’accès à l’école est facilité pour les enfants. Près de 18 000 Ukrainiens sont arrivés en Grèce depuis fin février.
947 personnes, dont des femmes et des enfants, ont été remises dans des canots de sauvetage sans moteur à la dérive en pleine mer.
Ce traitement contraste avec le sort réservé aux Afghans, aux Syriens et aux demandeurs d’asile en provenance du Moyen-Orient, d’Asie du Sud-Est ou d’Afrique. « Alors que les pays européens ouvrent leurs portes à des millions de réfugiés fuyant la guerre et la terreur en Ukraine, le gouvernement grec enfreint systématiquement les lois internationales et les droits humains en battant, volant et mettant en danger la vie d’hommes, de femmes et d’enfants d’autres parties du monde, qui recherchent la sécurité », estime l’ONG Aegean Boat Report. Rien qu’au mois de mars, l’organisation a enregistré 45 refoulements illégaux en mer Égée effectués par les garde-côtes grecs ainsi que 947 personnes, dont des femmes et des enfants, qui ont été remises dans des canots de sauvetage sans moteur à la dérive en pleine mer.
« Les droits humains existent pour nous protéger tous de la même manière, peu importe notre origine », a rappelé la semaine dernière la commissaire du Conseil de l’Europe pour les droits de l’Homme, Dunja Mijatović, en dénonçant ces refoulements. La commissaire a demandé aux États membres de « respecter leurs obligations légales » vis-à-vis des réfugiés en ne les renvoyant pas de l’autre côté de la frontière « sans une procédure individualisée » ni sans « droit à un recours effectif ».
Les mauvais traitements ne sont pas le seul problème. Dans un rapport publié le 7 avril, Human Rights Watch (HRW) affirme que les autorités grecques utilisent des réfugiés installés en Grèce pour les aider à renvoyer les nouveaux arrivants en provenance de Turquie, notamment dans l’Evros, à la frontière terrestre gréco-turque. L’ONG s’est entretenue avec 23 demandeurs d’asile afghans : ils affirment avoir été refoulés hors du territoire grec après avoir été délestés de leurs biens, téléphones et argent, entre septembre 2021 et février 2022. Seize d’entre eux ont rapporté que les pilotes des barques les ramenant vers la rive turque du fleuve Evros parlaient arabe ou des langues du sud de l’Asie, précise HRW. La police aurait promis des passeports aux migrants qui acceptent de travailler avec eux aux frontières, selon les témoignages recueillis. « Il est indéniable que le gouvernement grec est responsable de refoulements illégaux à la frontière et l’utilisation d’intermédiaires pour accomplir ces actes illégaux ne lui enlève aucune responsabilité », estime Bill Frelick, directeur du programme sur le droit des réfugiés à HRW. Le gouvernement conservateur a contesté ce rapport.
Criminalisation des réfugiés
La situation empire aussi pour les demandeurs d’asile déjà en Grèce, sur les îles ou sur le continent. Enfermés dans des camps pendant plusieurs mois voire plusieurs années, ils ont peu accès à l’éducation et aux services sociaux. Plusieurs organisations de défense des droits humains s’inquiètent notamment de la fermeture du camp d’Eleonas, dans la banlieue proche d’Athènes. 263 enfants réfugiés scolarisés vont être renvoyés du camp sans aucune solution de logement prévue, et avec peu de possibilités d’être scolarisés.
Ces dernières semaines, la police grecque a également procédé à des contrôles musclés dans le centre d’Athènes. L’opération visant théoriquement à cibler la petite délinquance et les trafiquants de drogue s’est traduite par l’arrestation de 125 personnes sans papiers qui ont été emmenées au centre de détention d’Amygdaleza, en banlieue d’Athènes.
Les procès criminalisant les réfugiés se multiplient aussi. À Lesbos, Amir Zahiri et Akif Rasuli, deux jeunes Afghans, sont accusés d’avoir « facilité l’entrée illégale » de migrants sans papiers en Grèce et risquent jusqu’à 50 ans de prison parce qu’ils ont été aperçus en train de conduire une barque transportant des réfugiés en septembre 2020. Ayant déjà passé deux ans en prison dans l’attente de leur procès, ils devront encore patienter derrière les barreaux jusqu’au mois de décembre, après un nouvel ajournement de leur jugement la semaine dernière.