Féminicides en Bosnie-Herzégovine : « Pas une de plus ! »

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Trois jours après le meurtre d’une femme étranglée par son mari à Bihać, des rassemblements ont eu lieu dans une vingtaine de villes de Bosnie-Herzégovine. Les manifestant.e.s demandent la reconnaissance du féminicide – ce crime de propriété – dans le code pénal et des mesures concrètes contre les violences conjugales.

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Par Marion Roussey

Rassemblement à Mostar : « Notre douleur est votre honte ».
Geoffrey Brossard | Hans Lucas

« Nous sommes ici pour toutes les femmes qui ont été assassinées, battues ou menacées, celles qui ont souffert, qui ont peur et ne sont pas écoutées ! » C’est une première en Bosnie-Herzégovine : sous les platanes de l’allée dallée qui borde la Španski trg de Mostar, une centaine de personnes se sont rassemblées ce vendredi 14 octobre à 15h. Beaucoup de femmes et quelques hommes, muni.e.s de pancartes : « Notre douleur est votre honte ! », « La vie d’une femme compte », « Pas une de plus ». Ivana est venue avec sa grand-mère et salue sa patronne, elle-même accompagnée de sa sœur. Il y a quelques heures, la jeune militante a pris la parole et lu devant le groupe la définition du féminicide. « Le féminicide est un crime de haine contre les femmes, motivé par le sexe de la victime et un sentiment de supériorité. Il n’existe pas de définition juridique et nous voulons que cela change ! », a-t-elle déclaré, la voix chargée d’émotions.

Au total, au moins 19 rassemblements ont été organisés le même jour à la même heure dans toute la Bosnie-Herzégovine. À Sarajevo, des centaines de personnes ont même marché jusqu’à la flamme éternelle. L’appel a été lancé la veille via les réseaux sociaux par plusieurs collectifs et associations de défense des droits des femmes. Il fait suite au meurtre d’Edina Odobašić, étranglée par son mari trois jours plus tôt à Bihać, dans le nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine. Recherché par la police, l’homme s’est pendu près d’une rivière après deux jours de cavale.

« Ce n’est pas une tragédie familiale, c’est un meurtre. Ce n’est pas un accident, c’est un meurtre. Pas un crime passionnel, mais un féminicide. Une femme tuée parce qu’elle est femme. Parce que nous sommes vues comme des êtres sacrifiables », dénoncent les membres du groupe Nisam tražila, co-initiatrices du mouvement #MeToo qui avait déferlé en Bosnie-Herzégovine et dans les Balkans en 2021. « Il est de notre obligation civique et morale de protester et d’exiger que le système change et réagisse rapidement en cas de violence, car le féminicide n’arrive jamais soudainement ou par accident, il est toujours précédé de violences », souligne Azra Berbić, militante et membre du Centre de jeunesse Kvart à Prijedor.

Inclure le féminicide dans la législation

L’analyse du mécanisme menant aux féminicides nous a appris que que ce qui a été jusqu’à maintenant présenté comme un « crime passionnel » est en réalité un crime de propriété. Selon les données de l’Agence pour l’égalité des sexes de Bosnie-Herzégovine, collectées auprès d’institutions judiciaires et d’organisations non gouvernementales, plus de 60 femmes ont été tuées depuis 2015. Une femme sur trois serait victime de violence et une femme sur deux de plus de 15 ans aurait subi une forme de violence psychologique, économique ou physique. Mais il n’existe pas de statistiques officielles et pour les manifestant.e.s, les chiffres sont bien plus élevés. « Nous, les femmes de Bosnie-Herzégovine, sommes unies pour faire entendre notre voix et demander aux décideurs de changer la législation, d’inclure le féminicide dans la loi et d’appliquer la Convention d’Istanbul, qui a été signée en 2013 mais n’est pas appliquée », indique Selma Hadžihalilović, membre de la Fondation Cure à Sarajevo et coordinatrice du Réseau des femmes de Bosnie-Herzégovine.

Car malgré les multiples vagues de dénonciations qui ont déferlé sur les réseaux sociaux dans les Balkans occidentaux ces derniers mois, la situation n’évolue pas. « Trop souvent, la parole des femmes n’est pas écoutée. Des lois existent mais elles ne sont pas appliquées », déplore Lana Jajčević, avocate de la fondation Udružene žene de Banja Luka. « Les policiers les dissuadent de porter plainte et les tribunaux jugent les féminicides comme des violences domestiques, avec des peines bien inférieures à ce que les coupables devraient avoir en cas de meurtres », explique-t-elle à Radio Slobodna Evropa.

Un problème déjà maintes fois dénoncé par les organisations de défense des droits des femmes. Sur la Španski trg de Mostar, les participant.e.s parlent des manifestations similaires qui ont récemment eu lieu en Croatie et en Serbie. « Là-bas aussi, les femmes se mobilisent. C’est un ras-le-bol général et on n’a plus envie de se taire. »


Cet article est publié avec le soutien de la fondation Heinrich Böll Paris.