Europeans making a difference : les jeunes des Balkans sont aussi des Européens

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Le Sommet européen des 23 et 24 juin a jeté un froid sur les Balkans occidentaux, renvoyant aux calendes grecques les perspectives d’intégration. Pourtant, les jeunes de la région se sentent européens depuis bien longtemps, partageant les mêmes valeurs et les mêmes intérêts qu’ailleurs sur le continent.

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Par Marion Roussey

© Facebook / Manifesto

Peu avant 20h, le 17 juin, dans un Sarajevo animé, une quarantaine de personnes se pressent au numéro 3 de la petite rue Despićeva, à quelques encablures du quartier Baščaršija. À l’intérieur d’une salle fraîchement repeinte, Ajla Salkić, Adna Muslija et Benjamin Čengić présentent Manifesto, la nouvelle galerie d’art qu’ils ont fondée.

Après avoir récupéré les clés du local en février, les trois artistes de la capitale bosnienne n’ont pas chômé. « Qui de nous trois aurait pu imaginer au départ que ce rêve puisse devenir réalité ? », plaisante Benjamin. Pour financer le design et les travaux de rénovation, le trio a levé plus de 30 000 euros grâce à une campagne de crowdfunding.

L’objectif est ambitieux : lancer une nouvelle révolution culturelle en Bosnie-Herzégovine. « Avec Manifesto, on veut rendre les artistes à nouveau visibles, audibles », explique Benjamin, qui voit l’art comme un langage universel, « vecteur d’échanges et de rapprochement entre les artistes de Bosnie-Herzégovine et ceux de la région, d’Europe et du monde ».

Ils ont une conscience très forte d’appartenance à un continent, une histoire commune et un système de valeurs commun.

Car ici comme dans les pays voisins, le secteur va mal. Et la pandémie de Covid-19 a encore enfoncé le clou pour de nombreux professionnels des arts et de la culture, comme l’a récemment confirmé une vaste étude menée sur sept pays de la région.

En agissant ainsi, Benjamin, Ajla et Adna sont loin d’être les seuls dans les Balkans. « Il y a une multitude de gens formidables qui aspirent à créer, inventer et faire des choses », note Benjamin qui gère en parallèle le Festival de street-art Fasada auquel une vingtaine de jeunes artistes participent chaque été.

Le 10 juin, il était à Paris pour une rencontre organisée par le service européen pour l’action extérieure (SEAE) en présence de six jeunes personnalités des Balkans occidentaux qui, « par leurs talents, leur engagement et leur détermination, font la différence au sein de leurs communautés et en Europe ».

Pour les organisateurs de la rencontre, ces jeunes ressemblent à ceux des États membres. Ils partagent les mêmes défis et portent les mêmes espoirs et aspirations. « Ils ont une conscience très forte d’appartenance à un continent, une histoire commune et un système de valeurs commun », analyse Sanja Marinković, en charge de la campagne « Europeans making a difference » du SEAE.

Des valeurs particulièrement ancrées au sein de la jeune génération, de plus en plus engagée dans la protection de l’environnement, l’égalité hommes-femmes ou les droits de la communauté LGBTQI. « Tous ces combats sont à notre échelle mais avec une dimension mondiale », note Artes Ferruni, réalisatrice albanaise également invitée à la rencontre.

Cela fait longtemps que l’Union européenne est à côté de nous et que la situation n’évolue pas. Il y a une lassitude croissante chez de nombreux jeunes Albanais...

Alors quand les dirigeants européens réunis à Bruxelles le 23 juin ont octroyé le statut de candidats à l’Ukraine et à la Moldavie en claquant la porte au nez des pays des Balkans occidentaux, la décision a jeté un froid. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer l’abandon de l’UE malgré des promesses maintes fois répétées. Pour Bruxelles, la Bosnie-Herzégovine ne remplit pas les conditions. Les autres États gardent le statu quo : la Macédoine du Nord est candidate depuis 2005, le Monténégro depuis 2010, la Serbie depuis 2012 et l’Albanie depuis 2014.

« Cela fait longtemps que l’Union européenne est à côté de nous et que la situation n’évolue pas », déplorait Artes, interrogée à Paris par l’un des participants de la rencontre. « Il y a une lassitude croissante chez de nombreux jeunes Albanais qui aimeraient célébrer ce sentiment européen qu’ils ressentent au-delà des frontières. »

Ce manque de perspectives pousse chaque année des milliers de jeunes à quitter leur pays. Et l’exode empire chaque année. Selon un rapport publié en avril, 4,6 millions de personnes originaires des Balkans occidentaux vivaient à l’étranger en 2020, soit un quart de la population totale de la région.

« Autour de moi, beaucoup de jeunes partent travailler en Allemagne, en France ou en Suède », remarque Benjamin. « Mais certains choisissent aussi de rester ou même de revenir », ajoute-t-il. À l’inauguration de Manifesto, des dizaines de ces jeunes Sarajeviens qui se battent comme lui étaient présents.