En Bulgarie, la « lune de miel » avec les réfugiés ukrainiens est terminée

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Accueillis à bras ouverts au début de la guerre, plus de 100 000 réfugiés ukrainiens résident en Bulgarie. Mais l’empathie et la solidarité commencent à se fissurer et certains accusent les Ukrainiens de passer « des vacances de luxe sur le dos du contribuable bulgare ».

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Par Alexandre Lévy

© infotourism.net

« Je tiens à m’excuser auprès des citoyens bulgares et ukrainiens qui se sont sentis blessés par mes propos. Ce n’était pas mon intention » : deux phrases d’excuses suivies d’une longue justification devant une salle chauffée à blanc. Auditionnée par le Parlement le 2 juin, la vice-Premier ministre Kalina Konstantinova, chargée des questions sociales, a tenté de calmer les esprits après son intervention assez désastreuse trois jours plutôt, quand elle a décidé de s’adresser directement aux réfugiés ukrainiens pour annoncer que l’État renonçait désormais à les reloger. « La protection est un droit, pas une obligation », avait-t-elle lancé, visiblement très remontée, dans un message vidéo leur reprochant de ne pas avoir joué le jeu et même de faire des « caprices ».

Selon les chiffres officiels, quelque 300 000 Ukrainiens sont arrivés en Bulgarie depuis le début de la guerre et un peu plus de 100 000 ont déjà reçu un statut de protection temporaire, équivalent à celui de réfugié politique. Leur arrivée avait soulevé une immense vague de solidarité au sein de la population bulgare, d’habitude plutôt hostile aux réfugiés et aux migrants. Le gouvernement du très pro-occidental nouveau Premier ministre Kiril Petkov avait décidé de verser 40 leva (20 euros) par personne et par nuitée aux propriétaires des hôtels qui ont proposé de les héberger. Cette aide a permis à de nombreuses familles de trouver refuge dans les établissements de la côte de la mer Noire.

Seuls ceux qui ne savent pas où aller seront hébergés, mais dans des centres d’accueil pour immigrés clandestins et demandeurs d’asile.

Mais « cela ne va pas durer éternellement », avait mis en garde dès le mois d’avril le ministre du Tourisme, Christo Prodanov, soucieux de libérer ces hôtels à l’approche d’une saison estivale qui s’annonce déjà fortement compromise. « Nous avons fait preuve d’humanité envers ces personnes fuyant la guerre, nous les avons aidées, nous les avons logées, nous nous sommes occupés d’elles pendant trois mois. Maintenant, il faut que ces personnes entrent sur le marché du travail, trouvent un logement, paient un loyer, vivent comme tout le monde », a-t-il expliqué. Le ministre avait même fixé une date butoir au 31 mai.

Après de nombreuses polémiques, le gouvernement s’est engagé à reloger les Ukrainiens à l’intérieur du pays, chez l’habitant ou dans d’anciennes résidences de vacances appartenant à l’État. Or, ce programme de relogement a visiblement failli et les cars et trains mis à disposition des réfugiés sont repartis à vide, comme l’a déploré la vice-Première ministre Kalina Konstantinova dans son message. « Seuls ceux qui ne savent pas où aller seront hébergés, mais dans des centres d’accueil pour immigrés clandestins et demandeurs d’asile », a-t-elle précisé en ajoutant que les autres devraient désormais se débrouiller seuls.

On ne fait pas la leçon à ceux qui fuient la guerre

Ces propos lui ont attiré de vives critiques. Le politologue libéral et professeur d’université Evguéni Daïnov a immédiatement réagi : « Pour qui se prend la ministre ? Elle fait la leçon à des femmes et des enfants fuyant la guerre en insinuant qu’ils feraient des caprices ? C’est une honte pour ce gouvernement. » Plusieurs autres personnalités de la société civile se sont également indignées sur les réseaux sociaux, alors que les responsables de deux influentes ONG, l’Institut pour une société ouverte et la Fondation pour l’initiative civique, ont publiquement appelé les représentants du gouvernement bulgare et des autres institutions officielles du pays à « s’abstenir de toute déclaration qui pourrait contribuer à l’émergence d’un climat de méfiance et de confrontation entre les citoyens bulgares et les réfugiés ukrainiens ». L’opposition conservatrice, conduite par le Gerb, le parti de l’ancien Premier ministre Boïko Borissov, réclame la démission de la vice-Première ministre.

Il est pourtant difficile d’accuser le nouveau gouvernement de Kiril Petkov et, plus généralement les Bulgares, d’être restés insensibles au sort des Ukrainiens fuyant leur pays. Bon nombre d’entre eux ont accueilli et accueillent toujours des réfugiés chez eux ou dans leur maison de vacances. Et, de manière paradoxale, grâce aux aides gouvernementales, la grande majorité des Ukrainiens ont été logés dans des hôtels de bord de mer, encore déserts à cette époque de l’année, et ce dans le pays réputé être le plus pauvre de l’Union européenne. Pour Neviana Fileva, une bénévole de la Croix rouge, cela fait presque partie du problème. « Lorsqu’on leur a dit qu’ils devaient quitter leur chambre cinq étoiles pour aller vivre dans un camp de scouts datant du siècle dernier, ils n’étaient pas très heureux », témoigne-t-elle. Autre problème, l’intégration : beaucoup ont effectivement trouvé du travail dans les secteurs des nouvelles technologies, du nucléaire, des BTP… « Mais ceux qui vivent dans les hôtels de la mer Noire finissent par se convaincre qu’ils sont en vacances et ne font pas grand-chose pour s’intégrer », reconnaît-elle.

Nationalistes et autres partis xénophobes – le plus souvent pro-russes - n’ont pas manqué de s’engouffrer dans cette brèche, dénonçant « des vacances de luxe pour ces pseudo-réfugiés sur le dos du contribuable bulgare ». Et c’est ainsi qu’à la « magie des débuts », selon les paroles de Neviana Fileva, s’est substituée parfois une hostilité sourde à l’égard des Ukrainiens, qui s’est concrétisée par plusieurs cas de vandalisme sur des véhicules immatriculés en Ukraine. Tout comme les propos de Kalina Konstantinova, ces actes ont néanmoins provoqué une forte indignation dans la société civile.