Par Lorela Prifti
Cet article est publié avec le soutien de la fondation Heinrich Böll Paris.
Leurs histoires se ressemblent. Ils ont tous les trois une vingtaine d’années, sont nés en France de parents albanais et kosovars qui ont quitté leur pays à la recherche d’une vie meilleure, rêvant de la « terre promise » occidentale, là où tout se passe bien, où il y a de l’argent, où l’État se soucie de ses citoyens et met en place des politiques sociales.
« Ma mère travaillait au ministère de l’Économie et mon père dans la diplomatie », raconte Enes, 19 ans. « Je ne connais pas tous les détails de l’histoire, mais je sais qu’il y avait un danger potentiel en Albanie, qu’ils avaient peur. En plus, à cause la corruption, mes parents ont préféré partir. » En 2008, Enes et ses parents ont obtenu leur naturalisation. Malgré tout, la famille n’oublie pas ses racines : tous les étés, elle prend la route de l’Albanie pour retrouver les proches restés au pays, entre Tirana, Durrës, et Gramsh.
Quand mon père dit quelque chose, tous les enfants doivent obéir.
La décoration de leur appartement du XIVe arrondissement de Paris témoigne de cette double culture franco-albanaise. D’abord, on remarque le drapeau rouge frappé de l’aigle bicéphale noir accroché au mur, puis on repère des livres en albanais dans la bibliothèque. Et quand on passe un peu plus de temps avec la famille, on constate que certaines habitudes balkaniques ont persisté chez les parents. « Quand mon père dit quelque chose, tous les enfants doivent obéir », remarque Enes. « On peut ne pas être d’accord, mais on est obligé de s’exécuter. »
Une éducation à la dure, patriarcale. Dans ce modèle, celles qui sont le plus privées de libertés, ce sont les filles. « Je peux sortir le soir et rentrer tard, mais pas ma sœur », poursuit le jeune homme, grand, le regard bienveillant. « Je ne sais pas si je suis le frère typique albanais, je dois avoir un peu de ça dans moi aussi, mais ça dépend des moments. Je sens que je pourrais aussi lui dire de ne pas sortir, je ne sais pas trop pourquoi », avoue-t-il, un peu gêné.
Je vois dans plein de choses que l’éducation entre une fille et un garçon, ce n’est pas pareil.
À une trentaine de minutes en métro, dans le IIe arrondissement, Merigona, 21 ans, mène à peu près la même vie qu’Enes. Chaque été, la jeune étudiante au look très branché part en vacances avec ses parents, mais cette fois au Kosovo. Là-bas, la famille possède une maison à Skënderaj. Chez elle, on mélange dans la même phrase le français et l’albanais. L’aigle bicéphale est dessiné sur le mur et, comme dans la plupart des familles albanaises, les garçons sont plus libres que les filles. « Je vois dans plein de choses que l’éducation entre une fille et un garçon, ce n’est pas pareil. Moi, si je veux aller dormir chez une copine, ça va être non, alors que mon frère, ça va être oui », déplore-t-elle. « Une fois, ma mère a demandé à mon frère de ramener sa copine à la maison pour nous la présenter. Je ne crois pas que ce serait possible que je fasse pareil. »

Même si elle a vécu toute sa vie à Paris, Merigona constate des différences culturelles avec ses amis. « Ils sortent sans demander, ils rentrent un peu quand ils veulent... Moi, à 21 ans, je dois encore demander à mes parents si je peux sortir et j’ai des horaires pour rentrer. À minuit, je dois être à la maison », confie-t-elle. « Vu que je ne sors pas souvent, ça ne me dérange pas. Et puis, même si je dois demander la permission, on ne m’a jamais interdit de sortir. »
Les anniversaires de la famille ou des amis de la famille, on y va toujours.
Besa [1] habite en banlieue parisienne, dans un HLM. Elle née en France de parents kosovars. Elle non plus ne sort pas beaucoup, ce qui rassure ses parents. « Tant qu’ils savent où je suis, ça ne leur pose pas de problème. Par exemple, les anniversaire de la famille ou des amis de la famille, on y va toujours », dit-elle en servant le thé, comme dans toute bonne maison albanaise. « Chaque fois que j’ai envie de sortir, Je dois leur demander la permission. Mais si je ne vais pas trop loin, ça ne pose pas de problème. »
Le week-end, Besa travaille dans un fast-food pour financer ses études. « Il m’arrive de finir à 2h du matin. Du coup, j’appelle mon père pour qu’il vienne me chercher... Mes parents ne sont pas en inquiétude (sic), pourvu qu’ils sachent où je suis. Ce n’est pas une protection toxique, mais plutôt quelque chose du genre : fais attention à toi, sois prudente », nuance-t-elle. Besa reste très attachée à ses racines albanaises du Kosovo et ses traditions. Cela s’entend dans son accent et dans le choix de ses mots.
Vivre dans deux univers, mélanger les cultures de leur pays d’origine et de leur pays d’accueil pour en garder le meilleur, voilà le quotidien de ces jeunes immigrés albanais de la deuxième génération. Comme leurs parents, eux aussi assurent qu’ils essaieront de transmettre leur part d’identité albanaise à leurs enfants. Même s’ils n’excluent pas de se marier avec un(e) conjoint(e) hors de la communauté.