Par Matveev | Traduit du russe par Alena Dubrovina
Ce texte est aussi disponible en russe, serbe et allemand.
La guerre en Ukraine a poussé des millions de personnes à l’exil. Des Ukrainiens, mais aussi des Russes et des Biélorusses qui fuient le régime de Moscou et qui ont trouvé refuge en Serbie où une communauté s’organise. Que pensent-ils de la situation ? Comment vivent-ils l’exil et leur départ parfois sans retour ? Regards croisés.
Le nom et l’âge de l’auteur ont été modifiés
Matveev Georgy, 37 ans, designer 3D, militant politique depuis décembre 2011 (présent dès les premiers rassemblements sur la place Bolotnaïa à Moscou). Je vis en Serbie. Je suis engagé dans les mouvements anti-guerre, je participe à des rassemblements, j’aide les réfugiés d’Ukraine.
Je me suis préparé à partir dès 2017, quand je me suis rendu compte qu’un génocide était en train de se produire, que le régime détruisait méthodiquement tout ce qui avait été beau dans les années 90, après la fin du régime fasciste-soviétique. La liberté, des institutions politiques démocratiques libérales fondées sur le droit international et le respect des droits humains. Il est impossible de mesurer l’ampleur du carnage : politiciens, journalistes, opposants, médias indépendants sont supprimés, remplacés par la haine, la jalousie stupide, l’agressivité, la colère sans fondements envers les États-Unis et l’Europe.
Il faut voir comment le régime a détruit l’éducation, la médecine. Comment il déshumanise les Ukrainiens et d’autres pays libres. Comment la violence et la poigne de fer sont exaltées. Comment un meurtrier et un terroriste et sa clique d’abrutis a pu accéder aux énormes ressources. C’est difficile à supporter. Comment les Russes, infantiles, ont gobé les récits revanchards dont ils sont abreuvés et comment les jeunes ont lamentablement ignoré ce cauchemar en se répétant : « La politique est une sale affaire et il y a des problèmes partout. »
Départ début mars. Arrivé en Serbie. Voyage préparé à l’avance. J’avais revendu tout ce que je possédais en Russie en 2021. Je travaille à distance. Ma famille soutient la guerre. Le 24 février, j’ai arrêté toute communication avec eux. Déçu de la plupart de mes amis. J’ai rencontré de nouvelles personnes, des exilés comme moi. Beaucoup de gens merveilleux qui apprécient les valeurs du monde libre.
Je me sens beaucoup mieux ici qu’en Russie. Nous sommes engagés dans des actions politiques en Serbie. Pour combattre le fascisme russe. La Serbie est proche en termes de propagande et d’influence russes. Nous nous efforçons d’expliquer aux gens que la Russie est vaste et que le président n’est pas le pays.
Comme tous les dictateurs, Vladimir Poutine a commis une erreur fatale. Il ne lui reste que deux ans tout au plus selon moi avant que tout s’effondre.
Depuis 2011, je vais à des rassemblements, depuis ceux sur la Place Bolotnaïa à Moscou. J’étais conscient que le pays sombrait dans une dictature. À partir de 2017, j’ai commencé à élaborer un plan pour partir. En 2016, j’avais déjà rendu visite à des amis à Novi Sad et j’étais tombé amoureux de la ville. En 2020, j’ai pu trouver de l’argent et acheter un appartement à bon prix. La Serbie s’est avérée être l’une des meilleures options pour vivre les moyens que j’ai. L’Amérique du Sud est loin, la Géorgie et d’autres pays sont trop proches de la Russie, trop influencés par son régime et ses soutiens. La Serbie est un pays russophile au centre de l’Europe avec une nature magnifique, des gens et une culture européenne. Le choix s’est avéré, dans la situation actuelle, proche de l’idéal.
L’effondrement du fascisme russe est inévitable. Comme tous les dictateurs (trop aveuglés par leur propre bêtise), Vladimir Poutine a commis une erreur fatale. Il ne lui reste que deux ans tout au plus selon moi avant que tout s’effondre. S’en suivront peut-être des décennies de turbulences. Les Russes ont obtenu la liberté trop facilement, la culture des Slaves du Nord est trop jeune pour apprécier cette opportunité inestimable. Il faut traverser la douleur, des milliers de morts, la guerre civile et ainsi de suite ... afin de se souvenir des leçons simples de l’histoire et du développement de la société civile.
Soixante-treize ans de génocide du peuple russe, le gouvernement soviétique, des dizaines de millions de personnes réprimées ont changé la culture de cette région. La violence et la terreur sont devenues la norme.
Il y a de l’espoir malgré tout ! Certes, Poutine empoisonne le monde entier avec sa cruauté stupide proche de celle d’un psychopathe, l’argent tâché de sang, une cruauté qui sape tout ce à quoi, avec tant de difficultés, le monde civilisé était parvenu. Mais sa disparition pourrait entraîner des changements rapides et un avenir meilleur partout dans le monde. De la Serbie aux États-Unis.
J’ai été déçu par les Russes, par mon pays. Pour obtenir un avenir meilleur, nous devons choisir le meilleur. Heureusement nous restons vivre dans une des démocraties occidentales et nous pourrons aider les communautés progressistes à vaincre tous les dictateurs de la planète grâce à nos ressources humaines et financières.
Cet article est publié avec le soutien de l’ambassade de Suisse à Belgrade et de la Fondation Heinrich Böll en Serbie.