Bulgarie-Macédoine du Nord : les intellectuels s’engagent pour le dialogue

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Alors que les disputes historiques entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord menacent de bloquer l’ouverture des négociations d’adhésion de Skopje à l’Union européenne (UE), des chercheurs en sciences humaines et sociales des deux pays ont envoyé une lettre ouverte à leurs dirigeants respectifs. En leur demandant de ne pas prendre l’histoire en otage des négociations politiques contemporaines.

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Poste frontière entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord
D.R.

Les représentants des gouvernements de Bulgarie et de Macédoine du Nord sont à Berlin depuis le 3 novembre pour une réunion de travail arbitrée par l’Allemagne en vue de l’ouverture des négociations pour l’intégration à l’Union européenne (UE) de Skopje, qui sera soumise au vote des ministres des Affaires étrangères des États membres le 10 novembre prochain.

Alors que Sofia menace de bloquer Skopje en raison de la querelle historique qui oppose les deux pays, des scientifiques de Bulgarie et de Macédoine du Nord ont écrit une lettre ouverte aux premiers ministres et aux ministres des Affaires étrangères de leurs pays respectifs, ainsi qu’au ministre bulgare des Affaires européennes. Ils rappellent que ces disputes sont à rebours de l’avancée des sciences humaines et sociales, dont l’histoire fait partie, et que le Comité historique bilatéral établi pour régler la question relève lui aussi d’un « modèle du passé ». Nous reproduisons ici leur lettre :

Nous, chercheurs en sciences humaines et sociales de Bulgarie et de Macédoine du Nord, nous nous adressons à vous en ce moment crucial où l’amitié et le bon voisinage entre nos deux pays et leurs peuples sont en jeu. Nous craignons que le processus de négociations, en se focalisant sur des problèmes du passé, ne crée des attentes irréalistes et engendre d’énormes risques.

Le problème est que la controverse actuelle autour des problèmes historiques provient d’une conception obsolète et très restrictive de l’identité nationale comme étant éternelle et immuable, et de l’histoire nationale comme quelque chose de sacré. De cette façon, le Comité historique bilatéral relève lui aussi d’un modèle du passé : les représentants des deux hagiographies nationales défendent et tentent d’imposer les interprétations dominant dans leur pays respectifs.

Cependant, aujourd’hui, les approches modernes en sciences humaines et sociales considèrent toute nation comme construite – et même littéralement « artificielle » – et les histoires nationales comme des constructions spirituelles et comme une façon parmi d’autres de comprendre le passé.

Il est également inquiétant que, par les négociations, les deux pays cherchent à trouver un consensus sur une seule et unique vérité historique. L’historiographie moderne a depuis longtemps accepté l’existence de différentes interprétations, résultant de différentes perspectives. Nous vivons dans des sociétés plurielles et travaillons dans un environnement académique qui accepte le pluralisme des interprétations – y compris les interprétations du passé – comme quelque chose de normal.

Pour toutes ces raisons, nous vous invitons à travailler ensemble sur les problèmes du présent et, pour ce qui concerne les problèmes historique, à vous contenter de créer une atmosphère plus ouverte au dialogue. Jusqu’à maintenant, le travail du Comité historique bilatéral montre qu’il est possible d’arriver à un accord même sur les plus épineux problèmes du passé entre nos deux pays, mais ce processus est long et aucune date butoir ne devrait être fixée. Ce processus devrait se dérouler hors de toute pression qui viendrait discréditer les compromis et les accords trouvés. Toute lecture de l’histoire nationale est sujette à ré-examen et ré-évaluation, mais doit être faite de façon académiquement et socialement libre.

Signataires :
Katerina Kolozova (Skopje)
Alexander Vezenkov (Sofia)
Ljupco Petkovski (Skopje)
Stefan Dechev (Sofia)
Zdravko Saveski (Skopje)
Chavdar Marinov (Sofia)
Dimitar Bechev (Oxford)