Bosnie-Herzégovine : sortir du charbon, les villes minières s’y préparent à reculons

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La Bosnie-Herzégovine s’est engagée à décarboner son industrie d’ici 2050, mais l’inquiétude grandit dans les régions qui vivent du charbon. Certaines communes cherchent des expériences et des solidarités européennes. Des grèves ont aussi éclaté parmi les mineurs de la région de Zenica, qui demandent de meilleures conditions de travail.

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Par Marion Roussey

La centrale thermique de Tuzla est la plus grande centrale électrique au charbon de Bosnie-Herzégovine
Geoffrey Brossard | Hans Lucas

« En tant que pays candidat à l’adhésion européenne, la Bosnie-Herzégovine doit accélérer son processus de transition énergétique », a rappelé Johann Sattler le 16 mars, à Mostar. Le chef de la délégation européenne en Bosnie-Herzégovine a détaillé un plan d’action de 70 millions d’euros pour encourager l’utilisation d’énergies renouvelables. Les fonds devront être attribués aux entreprises et aux particuliers, afin de contrebalancer l’augmentation des prix du chauffage et d’améliorer l’efficacité énergétique.

Mostar, le troisième ville de Bosnie-Herzégovine, fait d’ailleurs figure de modèle en matière de transition verte. Ici, plus de 80% de l’électricité provient des centrales hydroélectriques qui jalonnent la Neretva, et du parc éolien construit sur les hauteurs de la ville. D’ici 2050, l’ensemble du territoire bosnien devrait s’inspirer de Mostar. La Bosnie-Herzégovine s’est en effet engagée à décarboner son industrie, c’est-à-dire à fermer ses mines et ses centrales à charbon, et à se tourner vers des énergies renouvelables. Rien qu’en Fédération, plus de 10 000 personnes sont employées dans des mines.

Ces dernières années, le gouvernement central n’a pourtant entrepris aucune mesure pour amorcer cette transition. Plus de 60% de l’électricité produite dans le pays provient du charbon et malgré des études alarmantes sur ses dramatiques impacts sanitaire et environnemental, six nouveaux projets ont été annoncés, dont le bloc 7 de la centrale de Tuzla, dont la réalisation est confiée à la Chine. « La décarbonation annoncée par le gouvernement doit être initiée par le ministère de l’Énergie, le principal propriétaire des mines », estime Bego Gutić, le maire de Banovići. Dans cette commune de 20 000 habitants située à 30 km au sud de Tuzla, la moitié de la population travaille à la mine de charbon voisine et un autre quart dépend indirectement de l’exploitation minière.

Il faut beaucoup dialoguer, communiquer pour faire prendre conscience à chacun de la nécessité de sortir progressivement du charbon.

Inquiètes des conséquences de la transition énergétique sur la vie locale, les autorités de Banovići cherchent des solutions auprès d’anciennes régions charbonnières. En 2021, la municipalité a postulé, avec les deux autres communes voisines de Živinice et Lukavac, à un vaste programme d’échange transnational. L’initiative a été lancée en décembre 2020 par la Commission européenne. Objectif : aider 17 régions minières ou dépendantes du charbon situées dans l’UE, les Balkans occidentaux et en Ukraine, à se diriger vers une économie neutre en carbone, tout en assurant une transition juste.

« C’est un processus complexe qui doit impliquer tous les acteurs : les ONG, les différents échelons de l’État, le syndicat et la direction des mines, les mineurs, leurs familles, les habitants », explique Élodie Salle, consultante chez Ecorys, la compagnie bruxelloise co-chargée du projet. « Il faut donc beaucoup dialoguer, communiquer pour faire prendre conscience à chacun de la nécessité de sortir progressivement du charbon et de le remplacer par autre chose permettant de maintenir le même niveau de vie. »

En novembre dernier, les trois communes près de Tuzla ont reçu lors d’un événement organisé la visite d’une délégation de la région d’Ústí, en République Tchèque. Ce pays a amorcé sa transition énergétique il y a déjà une dizaine d’années. Si aujourd’hui 40% de son électricité provient toujours du charbon et de ses sept mines encore actives, il prévoit d’en sortir en 2033, misant notamment sur l’énergie géothermique et la production et le stockage de l’hydrogène.

Transition et décarbonation

« La décarbonation est loin d’être gagnée », estime Karel Tichý, chef de projet au Conseil économique et social de la région d’Ústí. À la mairie de Živinice, il explique comment le financement du Cadre stratégique Re:start, lancé en 2017, pourrait ne pas être reconduit par le gouvernement tchèque, qui estime avoir déjà suffisamment investi dans la décarbonation. « Le seul vrai avantage de toute cette opération est que les trois régions minières d’Ústí, de Karlovy Vary et de Moravia-Silesia sont désormais soudées, capables de se présenter comme une entité autonome auprès de Bruxelles », souligne Karel Tichý qui encourage les trois communes bosniennes à « s’unir et impulser la transition à partir du niveau local ».

Comme la région tchèque d’Ústí, le canton de Tuzla est aussi confronté à un fort taux de chômage et à l’exode massif de sa population, notamment des jeunes, qui manquent de perspectives, alors que les mines et les industries lourdes sont en déclin. « Il y a quelques années déjà, on s’est rendu à l’évidence : nous avons un besoin urgent de développer des projets, d’attirer des investisseurs et des entreprises », expliquait alors le maire de Živinice, Samir Kamenjaković, décédé le mois dernier, devant les membres des délégations tchèque et européenne.

Depuis sa prise de fonction à la mairie en 2016, cet ancien membre du Parti social-démocrate avait lancé une série de projets pour accélérer « la transition économique de la région ». Au dernier étage de la mairie, un incubateur flambant neuf, héberge six entreprises locales créées par des jeunes. « Le secteur des technologies de l’information a le potentiel de leur permettre de rester, et d’empêcher l’exode », veut croire Admir Aljić, le conseiller de la mairie chargé du projet.

La ville a aussi ouvert un bureau de la diaspora et des zones d’activités réservées aux investisseurs. Pas moins de 1200 hectares d’anciens terrains utilisés pour l’exploitation du charbon sont proposés à la location. « Ces terrains conviennent à l’agriculture et à la plantation de vergers, mais aussi à l’installation de panneaux solaires et de centrales énergétiques », vante une brochure en anglais.

Si l’on continue, on pourrait réussir notre transition énergétique plus rapidement que d’autres pays pionniers comme l’Allemagne, qui ne sont pas encore sortis du charbon.

« Si l’on continue, on pourrait réussir notre transition énergétique plus rapidement que d’autres pays pionniers comme l’Allemagne, qui ne sont pas encore sortis du charbon », espèrent les trois municipalités qui affirment travailler avec les mineurs, les agriculteurs et les investisseurs pour mettre au point des mesures concrètes pour rendre la ville plus verte. Mais sans le soutien des politiques au niveau national, difficile d’avancer.

Or depuis plus de quinze ans, le lobby du charbon bloque les projets de développement des énergies renouvelables, qu’il considère peu rentables et difficiles à contrôler politiquement, financièrement et techniquement. « Le vrai enjeu est l’acceptation des citoyens et le soutien des politiques au niveau national », explique Edin Delić, le maire de la commune voisine Lukavac. Ce fils de mineur, membre du parti social-démocrate et professeur de génie géo-environnemental à l’Université de Tuzla, répète la nécessité de sortir du débat « pour ou contre » le charbon. « On sait que l’on doit changer notre modèle et on est prêt à l’accepter mais il nous faut un cadre, et le soutien de l’État pour y parvenir. »