Blog • Y a-t-il une extrême droite en Moldavie ?

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Lors de ma visite au Parlement de Moldavie, une question m’a interpellé : où est l’extrême droite dans ce pays candidat à l’UE ? Alors que l’extrême droite est bien implantée en Europe, la Moldavie semble polarisée entre pro-européens et pro-russes, laissant une place intrigante à cette idéologie.

Le Parlement moldave.
CC Pudelek / Wikimedia commons

Pendant un voyage, j’ai eu l’occasion de visiter le Parlement de Moldavie. Entré dans l’hémicycle, ma guide me montre où siègent les groupes politiques de gauche à droite avec tout d’abord le Bloc électoral des communistes et des socialistes, une coalition née en 2021 (à l’occasion des élections parlementaires) entre les socialistes et les communistes pour freiner leur perte d’influence dans la vie politique moldave. Puis viennent ensuite les non-inscrits qui siègent au milieu donc du Bloc électoral des communistes et des socialistes et du parti au gouvernement Parti action et solidarité (PAS). Ce dernier possède la majorité absolue, il peut d’ailleurs être classé sur l’échiquier politique au centre-droit par ses positions économiques, et est incarné par la présidente de la Moldavie Maia Sandu qui fait de l’intégration européenne un axe prioritaire.

Une interrogation apparaît en voyant cet hémicycle composé seulement de deux groupes, ne manque-t-il pas des partis politiques représentés ? Du côté de l’UE, l’extrême droite institutionnalisée avec partis politique est presque entièrement implantée alors qu’en Moldavie elle semble à première vue absente ; alors qu’en est-il pour ce pays candidat à l’UE et qui à terme pourrait rejoindre les différentes institutions de l’UE ? S’il y en a une, quelle est sa position face au référendum à venir sur l’intégration européenne ? Dans le cas contraire, assiste-t-on à une polarisation du champ politique en deux camps, pro-européen versus pro-russe ?

Dans cet article, l’objectif est d’identifier s’il y a une extrême droite en Moldavie à travers des partis politiques et non pas par des groupuscules politiques. La méthode empruntée pose de nombreuses limites, notamment sur la non maîtrise du moldave ou du russe pour étayer mes sources, par conséquent l’article se veut plus ouvert à la réflexion et au débat qu’à la didactique. Pour définir l’extrême droite, je m’appuie sur la définition donnée par le politologue Benjamin Biard [1]. Pour la résumer ainsi, on peut trouver dans l’extrême droite une ou plusieurs composantes allant de la néonazie, nationale-populiste, de nature eurosceptique, le traditionalisme ou dans l’intégrisme religieux, un projet relevant du « gramscisme de droite », l’extrême droite peut être irrédentiste, c’est-à-dire réclamer le rattachement à l’État de territoires où vivent des nationaux.

L’hypothèse de l’extrême droite pro-roumaine sera interrogée, suivie de celle de l’extrême droite pro-russe. Ces deux courants ne répondent pas directement aux critères de la classification politique de l’extrême droite, en raison de la situation politique particulière en Moldavie.

A priori, l’extrême droite moldave pourrait avoir des similitudes avec l’extrême droite roumaine qui a le vent en poupe depuis les élections de 2020. En effet, cette dernière, représentée au Parlement de Roumanie à travers le parti Alliance pour l’Unité des Roumains [2], revendique comme projet la Grande Roumanie, c’est-à-dire l’unification de la Roumanie et de la Moldavie – et parfois certains territoires de l’Ukraine où se trouvent des communautés roumaines. On retrouve donc la caractéristique irrédentiste si commune dans les Balkans. Questionner l’importance idéologique de ce projet politique du côté moldave pour essayer de déceler une extrême droite semble donc être une bonne première approche.

La Moldavie et la Roumanie partagent une histoire commune avec notamment l’union de la Moldavie et de la Valachie en 1859 devenue ensuite le Royaume de Roumanie, mais l’annexion par de l’URSS de la Moldavie (Bessarabie et de la Bucovine du Nord) la sépare du reste de la Roumanie en 1947. Ce n’est qu’à partir de la chute de l’URSS que des courants des deux côtés du Prut vont apparaître pour l’unification de la Moldavie et de la Roumanie. On peut dès lors essayer d’analyser l’offre politique moldave dans les années 1990 pour déceler des composantes de l’extrême droite dans cette idéologie politique. Cependant, cela s’avère très difficile de dénoter des partis politiques ayant des caractéristiques d’extrême droite. Mais la tentative d’imposer une identité moldave a amené à des propos relevant parfois de ce bord politique comme Mihai Ghimpu alors président du Parti Libéral qui déclarait que les Gagaouzes (peuple de langue turque et orthodoxe ayant leur propre région autonome) étaient « un ulcère sur le corps du peuple moldave » [3]. La proposition du rattachement de la Moldavie à la Roumanie ne suffit pas comme critère d’appartenance à l’extrême droite. Néanmoins, certaines personnalités ont basculé dans l’extrême droite mais avec une trajectoire commune, c’est-à dire en s’engageant politiquement en Roumanie après un engagement en Moldavie, comme le montre le cas de l’ancien Premier ministre Mircea Druc (1990-1991), issu du Front Populaire de Moldavie (coalition électorale qui a porté, au début, la transition démocratique du pays à la chute du communisme), et connu pour avoir retiré de nombreux symboles non-moldaves comme par exemple le nom des rues. Ce dernier s’est ensuite (donc après sa fonction de Premier ministre) engagé dans plusieurs partis politiques voulant la Grande Roumanie (avec pour caractéristiques principales : nationale-populiste, eurosceptique, traditionaliste et intégriste au niveau religieux), il rejoint ainsi le Parti de la Grande Roumanie en 2004 pour se présenter aux élections parlementaires. Ce parti d’extrême droite, réputé tout d’abord comme antisémite, a siégé au Parlement européen dans le groupe éphémère « Identité, tradition, souveraineté » dont faisait par exemple partie le Front National (FN).

Ces éléments, qui ont finalement lieu du côté politique roumain, ne doivent pas laisser croire à la présence institutionnalisée et historique d’une extrême droite pro-roumaine en Moldavie à travers des partis. Un contre argument à cela pourrait être exposé avec un parti pro-unification clairement d’extrême : l’ Alliance pour l’Unité des Roumains. Ce parti politique roumain présenté plus haut a en effet crée une branche de son parti en Moldavie, faisant de lui un parti transnational, mais sa portée reste complètement absente puisqu’il n’a participé qu’à une élection, celle des législatives de 2021 où il a obtenu à peine 0.49 % des votes, et ne propose pas de candidat à la présidentielle lui donnant le statut de parti fantôme en Moldavie.

Ainsi, faire une politique comparée de la Roumanie et de la Moldavie ne fonctionne pas pour déceler une extrême droite. Il convient de se pencher en profondeur sur l’hémicycle moldave pour nourrir ce débat sur une supposée extrême droite. En effet, au milieu du Bloc électoral des communistes et des socialistes et du Parti action et solidarité au sein du Parlement Moldave se trouvent des non-inscrits comme j’ai pu le mentionner plus haut. En réalité, ces non-inscrits possèdent ce statut suite au bannissement en 2023 [4] par la Cour constitutionnelle de leur parti nommé ȘOR, de l’oligarque exilé en Israël Ilan Șor qui en est aussi la figure dominante. Ce dernier condamné, lui aussi pour plusieurs affaires de corruption [5], bénéficie du soutien de Moscou depuis les échecs des socialistes et des communistes. Anciennement maire de Orhei, il tient un discours très populiste grâce à ses propres fonds de provenance douteuse où il finance des projets ayant un certain coût. Lorsqu’il était maire de la ville de Orhei il a donc financé de nombreux projets comme le parc d’attraction Orheiland (sorte de mini Disneyland dans la ville de Orhei) ce qu’il a continué de faire après son mandat et sa condamnation à 15 ans de prison avec par exemple GagauziyaLand (cette fois-ci à Congaz en Gagaouzie). S’il investit dans les infrastructures, il le fait aussi en politique en finançant des élections [6] et en recrutant du personnel politique (pour la plupart des élus locaux) pour sa nouvelle coalition appelée Victoria qui regroupe une galaxie de partis pro-russes. S’il est en faveur d’un maintien et d’un approfondissement des liens avec la Russie et non pas avec l’Union européenne, il est très difficile de le placer politiquement avec son style autoritaire et sa politique économique et sociale conservatrice.

Il faut se rendre à l’évidence que trouver un parti politique d’extrême droite en Moldavie ne peut se faire, et ce, pour plusieurs raisons. Effectivement, il n’est possible de trouver un clivage politique gauche-droite étant donné le clivage « géopolitique » présent en Moldavie. Dans les années 2000 et 2010, il était possible d’évoquer un clivage politique droite-gauche avec des doctrines dites classiques (socialiste, libérale ou chrétienne) [7] mais cela est dépassé par la question de l’attachement extérieur, en Russie et UE. Il faut souligner l’importance du débat géopolitique qui domine les confrontations politiques. En outre, la tendance pro-européenne a réussi à marginaliser les unionistes. Enfin, la polarisation actuelle peut être expliquée par l’ancienne polarisation issue de 2009 entre communistes et l’opposition (désignée sous une meilleure façon comme pro-européenne) [8] suite à une modification du seuil électoral fixé à 5 % limitant ainsi les petits partis politiques. Ces trois éléments retiennent ainsi mon intention pour expliquer le clivage politique actuel, mais ce point de vue peut être questionné avec d’abord la méthode empruntée [9]. On pourrait ajouter la courte durée de vie des partis politiques ou encore l’important clivage social comme facteur d’explication.

Si le clivage politique actuel entre pro-européen et pro-russe domine, il n’est en revanche que transitoire. Le gouvernement de Maia Sandu dirige le pays vers l’intégration européenne, avec l’obtention du statut de candidat en 2022, mais rien n’est joué encore. La prochaine échéance est celle du 20 octobre où se joue le même jour un référendum sur l’adhésion à l’UE et le premier tour des élections présidentielles. Cette échéance est à double tranchant pour la populaire Maia Sandu, mais lui permet de s’imposer comme l’unique candidate capable d’obtenir l’adhésion de la Moldavie au sein de l’UE. Ainsi, ces élections viennent confirmer l’actuelle division politique du pays, mais il faudra porter une attention particulière aux élections législatives de 2025 avec la présence de divers partis politiques pro-européens qui pourrait diviser l’électorat pro-européen. Un autre point à surveiller, est la possible coalition des partis à tendance pro-russe actuellement divisés comme on peut le voir avec la diversité des candidats aux élections présidentielles à venir. Pour revenir à la question de l’extrême droite, elle pourrait naître dans une nouvelle confrontation politique en Moldavie, comme par exemple sous une Moldavie pleinement intégrée au sein de l’UE mais cette échéance est très peu probable à court terme.