Blog • Un récit albanais de mort, de vengeance et de solitude

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Le Petit Bala, la Légende de la solitude, de Ridvan Dibra, traduit par Evelyne Noygues, ed. Le Ver à Soie, 2018.

Ridvan Bala et sa traductrice Evelyne Noigues
© Insajderi

Inspiré d’une vieille chanson populaire, le livre de l’écrivain albanais Ridvan Dibra est une plongée dans les abîmes de la solitude et de l’incommunicabilité entre les êtres, leur cruauté, sur fond de mort et de vengeance. Seule une faible lueur, et encore est-elle désespérée, éclaire la fin de ce récit très sombre.

Bala est un petit garçon. Son père, adulé, est un homme discret et attentif, qui lui apprend les secrets de la Forêt des Alpages proche où ils aiment s’égarer tous les deux. Il meurt dans des circonstances suspectes. On parle d’un accident avec un fusil de chasse, mais les soupçons de l’enfant se tournent très vite vers le voisin, ce voisin si présent et si assidu auprès de sa mère. Tellement sûr de lui. Les rumeurs s’en mêlent. Le désir de vengeance va grandir chez l’enfant.

Une histoire toute simple donc, dans la lignée des récits populaires d’autrefois faits de meurtres et de vengeances. On pense aux règlements de compte régis par le Kanun, le code fameux coutumier médiéval albanais auquel se réfèreraient encore certains dans les lieux les plus reculés d’Albanie, du Kosovo ou du Monténégro. Chaque chapitre du livre, dense et bref, s’ouvre par une ou deux courtes phrases, lançant pour ainsi dire le récit, et s’achève de même par un résumé lapidaire de l’intrigue, comme pour mieux scander le texte, "lui donner un rythme, un souffle", analyse la traductrice, Evelyne Noygues. Un procédé rappelant les légendes ou les mythes que l’on se racontait jadis au coin du feu dans les villages. Ridvan Dibra interpelle souvent le lecteur, renforçant ce sentiment d’avoir affaire à un conte traditionnel. "Je pense qu’il faut modifier un peu la légende. Même si je ne sais pas s’il est permis d’amender une légende", confie l’écrivain à ses lecteurs.

Ridvan Dibra, Le Petit Bala La légende de la solitude, traduit de l’albanais par Evelyne Noygues, Paris, éditions Le Ver à Soie, 2018, 127 pages

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Ridvan Dibra n’en fait pas moins du "Petit Bala" un texte profondément personnel. Après la mort de son père, l’enfant sombre peu à peu dans l’enfermement et la douleur, indifférent aux autres et à sa mère dont il semble ne jamais avoir été proche. Il devient même étranger à lui-même. "Bala était seul contre tous. S-E-U-L. Comme jamais auparavant dans toute son enfance". L’auteur, enseignant tout comme sa femme, ne semble éprouver aucune illusion sur la cruauté des enfants qui rossent le malheureux garçon. "La méchanceté, écrit-il désabusé, est un poison qui se répand bien plus vite que la gentillesse".

La dérive du jeune garçon ne va que s’amplifier. Il abandonne l’école, ne trouve qu’un fragile apaisement dans la Forêt des Alpages où il mûrit des années durant sa vengeance. "Bala plonge dans son for intérieur. Comme s’il n’était pas là. En fait, il n’y est pas. Son corps seul est présent. Son esprit est parti rejoindre l’âge d’or de son père".

Dans son esprit fiévreux, de plus en plus détaché du réel, Bala ressasse ses plans. Il se souvient des conseils de son père, comme celui-ci, si judicieux d’ailleurs : "tu ne sais pas, mon fils, combien il est important de se concentrer. Concentre-toi entièrement sur ce que tu fais (…) Ca peut te sembler simple mais il n’y a rien de plus difficile. Etre à cent pour cent dans ce qu’on est en train de faire. Peu de personnes y arrivent".

On ne dévoile pas tout. La fin est cruelle. Bala est devenu aveugle. "Mais peu importe : ses camarades l’acceptent aveugle. Et lui ne se sent plus si seul comme avant" sont les derniers mots du livre . Une métaphore atroce sur l’impossible communication entre les êtres.

Ridvan Dibra est né à Shkodra en 1959. Il enseigne la littérature à l’université de cette ville du nord de l’Albanie et plusieurs de ses livres ont déjà été traduits en français par Evelyne Noygues. Pour la traductrice, le thème de l’incommunicabilité entre les êtres est sans conteste le "fil directeur" de plusieurs de ses œuvres. Le Petit Bala a rencontré un réel succès en Albanie et a été édité également au Kosovo.