Blog • Un portrait des hommes au vitriol

|

Mon cher mari, de Rumena Bužarovska, traduit du macédonien par Maria Béjanovska - Ed. Gallimard, 2022.

Onze nouvelles, onze femmes qui se confient sur leur époux, sans détour et parfois crûment, Rumena Bužarovska s’en donne à coeur joie dans Mon cher mari pour dénoncer les petitesses ou faux-semblants des hommes et c’est souvent drôle et cruel.

L’une des qualités du livre réside précisément dans le changement de registres d’une nouvelle à l’autre et le lecteur passe de l’ironie décapante à la farce rabelaisienne ou à des textes à la tonalité plus sombre, teintés de fantastique ou de réalisme social, une diversité qui donne à la lecture de Mon cher mari une grande légèreté. Le livre est très agréablement traduit par Maria Béjanovska.

Dans chaque nouvelle, une femme évoque à la première personne un compagnon qui a beaucoup compté pour elle, la plupart du temps son mari. Ce sont souvent des femmes d’un certain âge, pleines de désillusion sur ce que sont devenues les amours de leur jeunesse. Fats, grotesques, cachant maladroitement leurs infidélités, dissimulateurs, autoritaires, destructeurs, mais surtout imbus d’eux-mêmes, Mon cher mari donne lieu à toute une galerie de portraits incisifs et féroces.

Dans Mon mari, le poète, une femme avoue la « souffrance » qu’elle éprouve à écouter Goran, son époux qui se prend pour un grand artiste, déclamer lors de soirées mondaines des vers de mirliton. Le personnage est campé en quelques lignes. « J’ai rencontré Goran à un festival de poésie. Ses cheveux commençaient à grisonner - maintenant ils sont complètement gris, mais il pense que cela fait partie de son ’nouveau sex-appeal’, comme il m’a dit un jour. C’était soi-disant pour plaisanter, je crois qu’il le pense vraiment. »

La vanité masculine

Et vlan ! Pour Rumena Bužarovska, originaire de Skopje en Macédoine du Nord, la vanité de certains hommes est telle qu’ils sont incapables depuis longtemps d’avoir une perception lucide d’eux-mêmes. « Quand il s’est mis à la peinture, habituée à le féliciter, je lui disais que ses toiles étaient très belles et qu’il avait vraiment du talent. Il rougissait de bonheur et, déglutissant comme s’il allait fondre en larmes, regardait son tableau terminé, les yeux humides », raconte la narratrice dans Le Nectar, à propos de son mari gynécologue et misogyne.

On rit beaucoup moins dans Un nid vide où une femme tentée par la peinture explique avoir été broyée par son mari. « Je suis entrée dans l’atelier. Je me suis mise devant le nouveau chevalet. J’ai saisi un pinceau et j’ai voulu dessiner le noir à l’intérieur de moi, le plomb dans mes cuisses et mes genoux. Mais je suis restée là, devant la toile blanche, à ne pas savoir quoi faire. » Quelle belle phrase terrible !

Curieusement, la nouvelle la plus réussie de ce livre où l’on s’amuse souvent est la plus sombre : Les gènes. Genco, un abruti, ne jure que par l’héritage génétique, et menace son fils Neno de finir comme le grand-père de la narratrice qui a mal tourné. Le coeur se serre en lisant ce récit intense sur l’entreprise de destruction que peut avoir une famille dans l’éducation de ses enfants et qui conduit à la catastrophe. C’est poignant et même si la surprise que nous réserve Rumena Bužarovska à la fin de cette nouvelle nuance la vision que l’on a de Genko, on ne peut s’empêcher d’être bouleversé par le drame de la bêtise humaine.

Le livre s’achève dans la rigolade avec Le 8 mars où une femme, fortement poussée par une amie « conseillère », se résout à avoir un amant. Cela ne la tente guère, mais enfin, puisqu’il faut en passer par là, essayons... Le couple part en goguette et leur aventure d’un soir va s’avérer absolument navrante.

On pourrait penser que Rumena Bužarovska voulait régler ses comptes avec la gente masculine en écrivant ce livre mais on ne devine chez elle aucune amertume ou blessure personnelle apparente. Plutôt une envie de lancer des flèches en s’amusant sur certains travers des hommes qui ne sont certes pas l’apanage des hommes des Balkans.

Rumena Bužarovska, 41 ans, est auteure de fiction, traductrice littéraire et professeure de littérature américaine et de traduction à l’Université de Skopje. Mon cher mari a été traduit dans de nombreux pays et a fait l’objet d’adaptations théâtrales.