Blog • Regards d’écrivaines roumaines

|

Elles étaient ce soir-là cinq femmes à l’Institut culturel roumain de Paris à échanger sur leur métier d’écrivaines, partagées entre la Roumanie et la France, mais aussi, pour l’une, le Canada. Cinq femmes d’aujourd’hui, rompues à la dimension cosmopolite du monde, conscientes de leur rôle de passeuses de cultures, tout en proclamant leur attachement sans complexe à celle de leur pays d’origine.

© Institut roumain Paris

Organisée par les éditions l’Harmattan, où elles ont toutes été publiées, la réunion avait pour thème « Les femmes roumaines, nouvelle vague dans la littérature européenne ».

« Une identité stable est un paradis perdu », résume d’emblée Laura Ilea (Les femmes occidentales n’ont pas d’honneur, Est), en évoquant la vie moderne de beaucoup partagée désormais entre plusieurs langues, et certains peuvent avoir tendance à devenir « schizophrènes entre deux cultures » avec ces « allers-retours fous » entre différents pays. Les Roumains peuvent témoigner à cet égard de « la porosité des frontières ». Elle-même a vécu dix ans au Canada dont elle vante « l’esprit de liberté » vis-à-vis de la langue française et dont elle apprécie ce refus de juger les autres mondes, à la différence, pense-t-elle, de l’Europe occidentale, très encline à comparer. Elle explique cette attitude par l’importance des vagues migratoires au Canada.

Marina Anca (Le safari du papillon au Nigeria : Périples entre indigence et abondance) mesure le chemin parcouru depuis la Roumanie de ses premières années, sous la dictature de Ceaușescu, une expérience de vie sous le signe de la communauté qui l’a beaucoup marquée. « On ne se comparaissait pas. On était tous pareils » mais le paraître était très important, car on se savait écoutés et observés. En France, par contre, selon elle, « le sentiment de comparaison » avec l’autre est beaucoup plus répandu.

Mariana Cojan-Negulesco vit depuis de nombreux années en France. Ancienne professeur de langue et de littérature françaises en Roumanie, traductrice, elle a écrit notamment des Contes des Carpates sur la culture populaire roumaine et veut continuer de promouvoir la culture de son pays d’origine. « On n’habite pas un pays, on habite une langue. Je voulais montrer que la Roumanie ne se réduisait pas à trois ou quatre noms », comme ceux de Ionesco, Mircea Eliade ou Cioran. « C’est une richesse d’être bi-culturelle » et elle qui a traduit le grand poète national roumain Eminescu considère que la perception de la Roumanie en France s’est améliorée. Elle pense y avoir contribué avec ses collègues. Elle se souvient avec effarement de la méconnaissance totale que beaucoup de Français avaient de la Roumanie il y a encore quelques années.

Marie-Hélène Fabra-Bratianu (La mémoire des feuilles mortes) a un regard davantage distancié sur la réalité roumaine, car elle n’a jamais vécu en Roumanie de façon prolongée. Mais sa mère disparue il y a quelques années lui en parlait souvent. Elle a retrouvé aussi le journal de sa grand-mère rédigé en français « entre sa sortie des camps et son arrivée en France » et dont elle s’est inspirée pour écrire son livre sur le passé familial. Elle trouve aux Roumains un goût prononcé pour le récit. « Ma mère me racontait son passé avec toujours un côté extraordinaire, marqué par le goût du conte ».

Il en était de même avec sa grand-mère qui relatait dans son journal, que sa petite-fille a exploité pour son livre, la vie terrible dans les camps de Ceaușescu. Marie-Hélène, qui est également cinéaste et peintre, ne résiste pas à l’envie de raconter une anecdote authentique qui lui a été rapportée par une connaissance roumaine, tellement révélatrice de l’humour dans les pays de l’ancien camp socialiste. Un officiel roumain s’efforce en vain dans une soirée diplomatique de capter l’attention des personnes présentes qui se pressent joyeusement autour du buffet. Rien n’y fait. Car, comme le résume drôlement l’un des convives, « on nous a fait des discours pendant 70 ans, maintenant on mange ! »

Elles plaident toutes pour la beauté de la langue roumaine. « En roumain, on peut commencer la phrase comme on veut, faire des parenthèses, des digressions... Comme Proust, il était peut-être un peu roumain ! », lance Mariana Cojan-Neguslesco en riant. Le roumain fournit « une autre poésie à la phrase », constate Marina Anca qui assure ne pas écrire de façon identique lorsqu’elle rédige un texte, en français puis en roumain.

Et les cinq, avec Irina Adomnicai, abordent sans complexe le monde d’aujourd’hui, fières de leur identité. « Je n’ai pas de sentiment d’infériorité », souligne Marina Anca. Mariana Cojan-Negulesco renchérit, avant de souligner : « Nous avons une richesse culturelle, nous nous caractérisons par cette soif d’apprendre et je voudrais que cette richesse perdure ». Elle-même est bien déterminée à s’atteler à d’autres projets, pour continuer de faire connaître le patrimoine littéraire roumain au monde.