Salut Valmir, où est-ce que tu vas avec ces valises ?
Salut Josip ! Je retourne au pays sur mes terres ancestrales, comme chaque été, au Kosovo, un pays riche en histoire avec un passé chargé et douloureux, mais qui aujourd’hui se tourne vers l’avenir pour devenir le plus grand des petits pays du monde ! Un petit pays d’environ 11 000km2 (soit la taille deux départements français) situé dans les Balkans occidentaux, en Europe de l’Est. J’y suis né et j’y ai une grande partie de ma famille, dans la commune Junik, dans la plaine du Dukagjin, à l’ouest du pays. Pour moi, c’est important de retourner là-bas pour revoir mes proches restés au pays, ma grand-mère que j’adore et mes oncles paternels qui incarnent les Balkans mieux que personne. Et évidemment, j’aime revenir sur la terre de mes ancêtres, quand j’ai besoin de faire le vide, je vais au Kosovo pour faire le plein. Le plein de culture, le plein de nourriture, le plein d’histoire, le plein de traditions.
Je n’avais jamais entendu parler de la culture kosovare...
Ce n’est pas très surprenant, le Kosovo est une terre de culture albanaise.
Albanaise ?
Oui, albanaise. Des plats tellement délicieux, avec d’abord la flia, composée de crêpes couvertes avec de la crème et servie avec de la crème acidulée, mais aussi la pita qui y ressemble, sans oublier bien sûr les byreks, les qofte et les qebapa que tu retrouves d’ailleurs un peu partout dans les Balkans ! Et pour accompagner ces plats, quoi de mieux qu’une canette de Golden Eagle, la boisson énergisante local, ou la rakije aussi très populaire, et un gros bol de Tambëloriz, un dessert albanais qui est une variante du riz au lait, rehaussé avec de la cannelle et des noix. La musique prend également une place très importante dans cette culture. Un de mes passe-temps préférés est d’ écouter l’incroyable Shkurte Fejza, le légendaire Halit Gashi ou le très populaire Gold AG. Mais aussi des sons comme Mora Fjalë, Valle Kosovare et le mythique Thrret Prizreni Mori Shkoder. Je pense même m’acheter une qifteli, un instrument traditionnel, pour apprendre à jouer ces chansons moi-même.
Si le Kosovo est une terre de culture albanaise, pourquoi ne fait-il tout simplement pas partie de l’Albanie ?
C’est la question qui revient le plus souvent. C’est principalement dû à l’histoire très riche et surtout, tragique du Kosovo. Historiquement habitée par les Illyriens et les Dardaniens, des peuples anciens qui sont les ancêtres directs des Albanais, au 7e siècle, la région a connu de nombreuses invasions de barbares slaves qui s’y sont établis et ont ensuite construit plusieurs édifices religieux au Kosovo. En 1389, après la bataille du champ des Merles (ou Kosovo Polje), l’Empire ottoman prend le contrôle de la province, et les Serbes se retirent du Kosovo, car ils ne souhaitent pas se convertir à l’Islam. Les Albanais, à l’opposé, acceptent de se convertir et ils restent au Kosovo.
En 1912, après les guerres balkaniques et le retrait de l’Empire ottoman, le Kosovo est rattaché à la Serbie et non à l’Albanie qui devient indépendante à l’époque. Le problème, dans toute cette histoire, c’est que le Kosovo au moment de son annexion par la Serbie, était très majoritairement peuplé d’Albanais et que malgré les plans de colonisations yougoslaves dont il a fait l’objet, la situation n’a pas évolué et les Albanais sont restés majoritaires.
Je me rappelle que mon père a été déployé au Kosovo il y a une vingtaine d’années, qu’est qu’il s’est passé récemment ?
Le Kosovo a connu une guerre d’indépendance entre 1998 et 1999. Cette guerre d’indépendance a eu lieu car la population albanaise du Kosovo en avait marre de voir ses droits bafoués. Par exemple, les Albanais ne pouvaient plus travailler dans l’administration, ni dans la police, ni brandir leur drapeau ou parler albanais à l’école.
La faute à qui ?
Selon moi, la faute au nationalisme. Le nationalisme serbe qui, avec l’arrivée de Slobodan Milosevic au pouvoir en 1989, a mis fin au statut de province autonome du Kosovo (statut obtenu en 1974 sous Tito) et a choisi de mettre le feu aux poudres dans les Balkans, si tu vois ce que je veux dire...
Ok, je fais désormais le lien avec les autres guerres yougoslaves. Cependant, tu ne m’as toujours pas expliqué pourquoi mon père a été déployé là-bas ?
Le 24 mars 1999, à la suite du massacre de 45 civils albanais par les forces serbes dans la ville de Raçak et à la suite de l’échec de la conférence de paix organisée à Rambouillet entre les forces yougoslaves et l’armée de libération du Kosovo, l’UÇK (Ushtria Çlirimtare e Kosovës), l’OTAN décide d’intervenir dans le conflit en bombardant la Yougoslavie pendant 78 jours, ce qui a fait plier le régime de Milosevic. Ton père était donc sûrement impliqué dans une mission de maintien de la paix au Kosovo.
J’en déduis que le Kosovo est donc devenu indépendant. Et concernant la religion majoritaire au Kosovo, c’est l’Islam ?
C’est assez compliqué. Si tu en crois les recensements, oui la très grande majorité des habitants se dit « musulmane ». Cependant, de ce que je vois au Kosovo depuis que j’y suis né, ce n’est pas vraiment le cas. Si tu veux mon avis, les Albanais ne sont pas vraiment religieux. Ils sont déistes pour la plupart, mais ne vouent presque aucune importance à quelconque culte. La seule chose qui laisse penser que l’Islam est la religion dominante est la présence de beaucoup de mosquées à travers le pays. En revanche, de ce que j’ai entendu et vu, elles restent vides pour la plupart.
Au final, tu te sens kosovar ou albanais ?
Les deux ! Pour ceux qui en connaissent peu sur le sujet, je leur dis que je suis albanais. Pour les plus renseignés, je leur dis que je suis albanais du Kosovo, car elle est là, la vérité. Dire que je suis seulement kosovar serait une insulte envers mon peuple qui a versé tellement de sang pour être rattaché à la mère patrie albanaise. Aussi, dire que je suis seulement albanais serait une insulte à ma conscience kosovare, cette particularité historique que je considère comme étant un véritable bijou. Ethniquement, je suis albanais. Le Kosovo, c’est mon origine et l’une de mes deux nationalités. Et comme on dit chez nous, shqiperin e dua se jam shqipetare, kosoven e dua se jam kosovar « l’Albanie, je l’aime parce que je suis albanais, le Kosovo, je l’aime parce que je suis kosovar ».