Blog • Quand les Arnaoutes de Tunisie ont croisé la route de Napoléon Bonaparte

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L’histoire des Arnaoutes en Tunisie recèle plein d’épisodes passionnants depuis les temps où l’Empire ottoman s’étendait sur les rives du sud de la Méditerranée. Des mamelouks, membres de milices formées d’esclaves, affranchis et recevant une solde à l’issue de leur formation, se retrouvaient au service de souverains musulmans, notamment des Beys de Tunis. Riche d’un passé prestigieux, la branche tunisienne des Arnaoutes permet, grâce aux archives tunisiennes et françaises, de retrouver et de faire revivre des tranches de vie de ces illustres ancêtres.

Gravure de la baie de Tunis à la fin du XVIIème siècle
DR.

Il n’est pas sans intérêt de savoir que les premiers Arnaoutes originaires d’Albanie sont arrivés à Tunis probablement au cours du XVIIIe siècle. On ne sait pas à ce jour s’ils parlaient l’albanais ou le turc mais leur origine est certaine, inclue dans le nom « Arnaout ». C’est celui par lequel les Turcs identifiaient les ressortissants de ces contrées des Balkans d’où ils étaient « embarqués » par les Ottomans, peut être via le devchirmé, ou enlevés au cours de razzia afin de servir dans l’armée.

À Tunis, ils furent proches des cercles beylicaux où ils servaient probablement dans un premier temps comme gardes du corps. Pour cela, ils résidaient à proximité des palais de la Médina - en arabe, centre d’une ville traditionnelle - et une rue porte encore leur nom à ce jour : impasse El Arnaout. Des « Larnaout » auraient également vécu dans une grande maison située alors à Bab e l Khadra, l’une des portes de l’entrée de la médina de Tunis, qui a malheureusement été détruite dans les grands travaux entrepris dans la capitale, autour des années 1980-90. Enfin, un carré spécifique au cimetière du Djellaz - à l’entrée de Tunis - témoigne que des Larnaout tunisois y ont bien été enterrés.

En dehors de ces quelques témoignages et traces encore visibles, la plus grande difficulté pour des généalogistes passionnés réside dans l’inaccessibilité en ligne des archives numérisées de l’état civil tunisien ainsi que des archives nationales. Sans acte permettant de l’attester, il est donc laborieux de remonter au-delà de la cinquième génération, comme en témoignent les recherches de Karim Larnaout dans les archives tunisiennes et françaises.

D’autres Arnaoutes apparaissent dans les corps militaires, notamment l’un des premiers élèves sortis de l’école militaire du Bardo à Tunis. Des fiches sur les premiers entraînements à l’usage de l’infanterie, pour les formations de combats, de marche, de garde,sont conservées à la Bibliothèque nationale de Tunisie.

Les archives livrent de riches informations sur un Arnaout en particulier : Sidi Moustapha Arnaout qui s’est distingué dans le proche entourage de Hammouda Bey (1759-1814), Bey de Tunis de la dynastie des Husseinites de 1782 à sa mort.

Un Arnaoute avec deux chiens (1867), tableau de Jean-Léon Gérôme
DR.

Un Arnaout Ambassadeur du Bey en France

Sidi Moustapha Arnaout (1750 (?) - 1813 (?)) fut tour à tour responsable des greniers alimentaires et receveur principal (?). Il participa à faire progresser et maintenir le pouvoir ottoman en place. Ayant vu en lui des qualités d’homme éduqué, intelligent, humain et généreux, le Bey l’envoya comme Ambassadeur auprès de Napoléon Bonaparte. Une des hypothèses est que Moustapha avait également été à bonne école (il serait probablement un descendant direct de Ramdan Arnaout, émissaire parti 25 ans plus tôt à la cour du roi Louis XVI).

« En ce qui concerne la Régence de Tunis, nous voyons que le titre de Sî fut l’apanage des hauts dignitaires politico-militaires, ainsi que celui d’un certain nombre de mamelouks vivant dans le pays depuis plusieurs décennies. Parmi ces mamelouks ’tunisifiés’, on trouve Sî Mustapha Arnaout, Sî Ahmed Djeziri Agha, Sî Mustapha Ben Hamza, Sî Ali Spagnoul, etc. »

Une note découverte aux archives des affaires étrangères françaises, sur les Envoyés des Régences Barbaresques et particulièrement sur la mission de Sidi Moustapha Arnaout relate le voyage que celui-ci fit en France où il fut reçu deux fois par Napoléon Bonaparte : la première lors d’un entretien officiel au Château de Saint-Cloud.

« Frimaire en II–novembre et décembre 1802 7. Sedi–Mustapha–Arnout, Envoyé du Bey de Tunis, est admis à l’audience du Premier Consul. Il le félicite sur son élection à vie. »

La seconde, Moustapha Arnaout délivra un présent du Bey, constitué de 10 chevaux pur sang arabe et différents autres cadeaux.

« Paris, le 10 frimaire Sidi Mustapha Arnout, envoyé du Bey de Tunis, a été admis dimanche dernier, à l’audience du premier consul, au château de Saint-Cloud. Il a exprimé, au moyen de son interprète, l’objet de sa mission, dans les termes suivants : “Citoyen premier consul, le bey de Tunis m’a chargé de vous féliciter sur votre élection à vie. La nouvelle dans l’événement, qui assure toute à la fois le bonheur de la France, et le repos de l’Europe, ne pouvait être reçue avec indifférence par le bey et la régence de Tunis, que des relations, presque exclusives, de commerces et de bonne amitié, lient plus intimement que les autres régences, au gouvernement et au peuple français. Sincèrement dévoués à votre personne, le Bey a saisi avec empressement cette occasion de vous offrir, le premier, le tribut solennel d’hommage et d’admiration que tous les peuples doivent à vos éminentes qualités. Si la mission, que j’ai l’honneur de remplir auprès de vous, peut contribuer à resserrer l’union et la bonne harmonie existantes entre la république française et la régence de Tunis, l’ambition la plus chère du Bey, mon maître, sera pleinement satisfaite et ses vœux seront comblés lorsque vous aurais bien voulu m’autoriser à l’assurer, que vous lui accordez personnellement, votre amitié et votre puissante protection. »

On retrouve également dans une correspondance de Napoléon 1er avec le Pape sur les tractations diplomatiques avec l’émissaire du Bey de Tunis, autour des esclaves capturés au cours des courses de pirates :

« Le bey de Tunis m’ayant envoyé un ambassadeur, j’ai fait conclure avec lui une convention pour que, désormais, tous chrétiens qui tomberaient entre ses mains n’éprouvent aucun mauvais traitement et aient des rations de vivres. Si Votre Sainteté a quelques-uns de ses sujets esclaves, je la prie de m’en envoyer la note, et sur-le-champ je les ferai élargir. »

Au cour de son séjour de près de 5 mois et demi sur le territoire Français, Sidi Moustapha Arnaout rencontra également deux autres consuls, le frère du Général Bonaparte, les ministres, et les grand dignitaires et autorités constituées de la ville de Paris. La visite de cet émissaire en France en 1803 permis au Bey d’acquérir auprès de l’empire français des canons qui furent utilisés pour défendre l’entrée de Tunis.

Reconnaissant, Hamouda Bey remercia Sidi Mustapha Arnaout en lui confiant, à son retour à Tunis, d’autres responsabilités militaires au service du pays. Il s’éteignit en août 1813.