Blog • Macédoine du Nord, l’exil, entre sourires et désillusions

|

Je ne bouge pas d’ici, de Rumena Bužarovska, nouvelles traduites du macédonien par Maria Bejanovska, édition Gallimard, 2025, 272 pages, 22,50 euros.

Rumena Bužarovska, qui nous avait déjà fait rire avec Mon cher mari (2022) sur les travers de l’homme balkanique et très certainement des hommes en général revient vers nous avec Je ne bouge pas d’ici, sept nouvelles toujours empreintes d’humour mais aussi de sensibilité et de tendresse sur le thème de l’exil, dont on connaît l’ampleur actuelle dans les Balkans.

Le titre du recueil reprend celui de l’une des nouvelles, « Je reste là, je ne bouge pas d’ici ». Et ce n’est pas un hasard, car il sonne comme un avertissement contre toutes les illusions et les dangers qui attendent les candidats à l’exil.

Il y a la difficulté de l’adaptation des personnages, souvent davantage culturelle qu’économique, aux Etats-Unis ou en Australie et l’impossible retour au pays d’origine, la Macédoine du Nord, ce pays « instable et sans perspective », comme le qualifie, désespérée, Vesna, nostalgique à vie d’un court séjour universitaire dans le Nevada.

Partir est un arrachement et le retour impossible car, le phénomène est bien connu, l’exilé change au contact de son nouveau pays. Et quand on retrouve avec effarement le cadre étriqué de ce que fut sa vie avant le grand départ, qui était tant espéré pourtant, - on cherchait à se « faire sortir » du pays natal -, on réalise que sa vie passée s’est éloignée irrémédiablement.

Le choc du retour au pays

Tout cela est admirablement raconté par Rumena Bužarovska, l’une des auteurs les plus remarqués des Balkans à l’heure actuelle et dont le Mon cher mari a été traduit en de nombreuses langues. Elle-même vit à Skopje, la capitale de la Macédoine du Nord, mais connaît bien les pays anglo-saxons, en particulier les Etats-Unis, tout comme la mentalité américaine. Cela saute aux yeux. Des descriptions légèrement ironiques d’une société très codée et aseptisée sont délicieuses. Rumena Bužarovska enseigne du reste la littérature américaine à la Faculté de philologie de Skopje.

Dans Les mûres, la narratrice, Ivana, retrouve par hasard dans un petit village perdu de son enfance une amie de ses jeunes années qui, elle, a fait le choix de l’exil pour devenir une écrivaine à succès et assumer librement son homosexualité. Ivana est envahie par la peine et le remords. Elle réalise qu’il est maintenant trop tard et que sa vie aurait pu être différente si elle était partie, pour « sans doute, être quelqu’un ».

Le choc du retour au pays natal avec les manières frustres, pour ne pas dire grossières, de l’homme balkanique, si différentes du monde policé américain, même s’il s’agit souvent d’apparence, sont bien vus. Elena est révulsée dans La gougoutte par le comportement de son frère, Dragan, une sombre brute alcoolisée, alors qu’elle est revenue d’urgence pour revoir son père qui agonise dans un véritable mouroir, un « dépotoir de la mort ».

Le manque de moyens et la dureté de la vie dans les Balkans contrastent cruellement avec la profusion des banlieues américaines mais où les rapports sociaux sont la plupart du temps hypocrites et froids.
« En Macédoine, les gens crachaient dans la rue, se bousculaient et avaient l’air renfrognés. Ici, les gens étaient toujours souriants et prêtaient attention à autrui. Mais on ne voyait presque personne dans la rue, il semblait qu’ils restaient tous enfermés dans leurs voitures et leurs maisons. Ÿ

Une société américaine codée et aseptisée

L’une des meilleures nouvelles est très certainement Rouge Cherokee, où il ne se passe pourtant presque rien. Une femme rejoint son mari à Phoenix avec leur jeune enfant, Matej. L’homme travaille déjà sur place depuis un certain temps et explique aux siens leur nouvel environnement qui paraît si différent et dés arçonnant aux yeux de Matej. Tout est dans ces descriptions fines et justes une question d’atmosphère. La confrontation de deux mondes, deux cultures d’où surgira la violence.
La méduse amuse avec le thème des identités floues si fréquentes dans les Balkans et qui continue d’exaspérer les esprits, même à l’étranger. A cela s’ajoutent d’obscurs complexes de l’exilé sur ses origines que l’on rechigne à dévoiler.

« Ivan est originaire de Rijeka, mais il se peut qu’il soit serbe. Il est sans doute un peu des deux et se dit ’yougoslave’, il aime parler ’notre langue’, bien que Simon et moi estimions qu’elle n’est pas la nôtre. Les origines de Sofia sont plus mystérieuses. Elle prétend être née à Belgrade, mais elle ne vient pas de là-bas. J’en suis sûre car elle ne sait pas parler ’notre langue’ », s’interroge la narratrice de La méduse. Les enfants de leurs amis, adolescents et aux prénoms anglais, manifestent un mépris ostensible pour les origines balkaniques de leurs parents.

Tout cela respire l’observation et l’humour, propre à Rumena Buzarovska, est tempéré dans Je ne bouge pas d’ici par de la tendresse et de l’empathie pour de nombreux personnages. Si elle se montre mordante pour ses compatriotes, elle n’est guère attirée non plus par la mentalité américaine, dont elle connaît les travers et la violence de la société.

L’écrivaine était davantage incisive dans Mon cher mari. Elle ne résiste pas toutefois dans la dernière nouvelle de Je ne bouge pas d’ici , intitulée Le 8 mars, l’accordéon, à la tentation de la farce et de l’outrance, un peu comme c’était le cas dans la nouvelle qui clôturait Mon cher mari.

C’est presque dommage d’avoir voulu ici forcer le trait alors que le lecteur retient principalement du livre la finesse des scènes et des personnages, sous l’oeil amusé mais rarement féroce de Rumena Buzarovska, et finalement sa grande humanité.