Blog • Le siège et la valeur salvatrice de la littérature

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La semaine passée, j’ai suivi mon auteur préféré lors de son tour italien de présentation de son dernier livre, l’écrivaine belge de langue française Amélie Nothomb. Une des questions qui lui ont été posées était au sujet du processus créatif, étant donné la prolificité, en vingt-cinq années d’activité elle a publié vingt-cinq romans et écrit quatre-vingt-dix-huit manuscrits. L’auteur a répondu qu’elle n’est inspirée que par les touts petit événements, comme un morceau de conversation entendu dans l’autobus, et non pas par le gros événements comme par exemple la guerre.

J’étais assise dans le public et je n’ai pas pu éviter de penser aux Combustibles, un roman de l’auteur écrit en 1994, qui en exergue traite du sujet de la guerre, bien que la guerre soit uniquement sur le fonds, le roman se déroulant dans un huis-clos, trois personnages dans une ville assiégée, brûlent des livres pour se réchauffer et discutent littérature pour évaluer quels livres brûler les premiers.

La référence au siège et aux livres brûlés fait penser à Sarajevo et à la destruction de sa bibliothèque par les flammes, mais dans le roman rien n’aide à placer dans le temps et dans l’espace l’histoire qu’y est narrée, ni les noms des personnages, ni les titres et les auteurs de la littérature citée, clairement inventés.

Et pourtant, les mots de l’auteur m’ont fait penser que si c’étaient les moindres faits de la vie la possible source d’inspiration de l’auteur, alors Sarajevo pourrait être bien la ville du siège. Une ville dans laquelle le siège a duré presque quatre ans est bien le lieu où la condition de siège devient une condition permanente, un tout menu événement du quotidien. Un quotidien où l’on lutte pour la survie et l’on est disposé à renoncer à la culture, brûlant des livres, tout comme à renoncer aux sentiments.

Le siège comme source d’inspiration

Les combustibles en effet a été inspiré par le siège de Sarajevo et le tout menu événement l’ayant engendré dans l’esprit de l’auteure est un article de journal paru dans la presse où un citoyen de la ville admettait que l’on brûlait des livres pour se réchauffer. Au-delà de l’idée de la transformation des livres en objets matériaux de surcroit combustibles, comme aussi la critique à une certaine littérature et à la façon de faire de la recherche académique, le roman pose des questions sur le rôle de la littérature dans les moments difficiles.

Mais la réalité du siège de Sarajevo a aussi produit de la littérature, elle s’est donc transformée en des livres. Je fais référence ici à la production des écrivains bosniens qui ont quitté Sarajevo et qui à l’étranger ont écrit une littérature du souvenir et du regret pour le temps passé et la ville abandonnée, c’est le cas de la poésie de Semeždin Mehmedinović, ou des textes narratifs de Miljenko Jergović et d’Aleksandar Hemon.

Une littérature qui a essayé de trouver du beau dans l’horreur d’un siège et d’une guerre qui se déroulait à côté. Une littérature qui a métamorphosé avec l’usage des mots un quotidien affreux pour en donner un témoignage dans le temps. Parce que la littérature est témoignage, mais aussi transformation, et dans ce pouvoir de réécriture et transformation on retrouve la valeur salvatrice de la littérature.

Dans Les combustibles, le livre que l’on brûle en dernier est Le bal de l’Observatoire, présenté comme une sorte de roman de gare qui devrait être le premier à être brûlé dans la maison du professeur de littérature, à en croire à son activité. Et au contraire c’est le dernier, juste avant que les trois personnages décident de se donner la mort, l’un après l’autre en se rendant sur la place des snipers, outre référence à l’allée des snipers de la ville de Sarajevo.

Si les autres titres cités dans le roman sont carrément paradoxales, comme le titre du livre « Le liquide », lui aussi destiné à être brûlé, le titre Le bal de l’Observatoire, rappelle à mon avis de tout près un autre bal qui a fini pour devenir fameux dans la littérature française, le bal du Casino de T. Beach du Ravissement de Lol V. Stein de Marguerite Duras écrit en 1964. D’ailleurs ce ne serait pas la première fois que l’auteure fait référence dans ces livres à l’œuvre de Duras. Dans le livre de Duras littérature et psychanalyse se rencontrent sur le terrain de la reconstruction du passé par les mots, de la tentative de survivre aux difficultés rencontrées dans la vie par les mots, à travers la narration, ou la narration à nouveau.

La valeur salvatrice de la littérature

On peut donc être sauvée par la littérature, comme les auteurs bosniens en diaspora nous rappellent avec leurs œuvres, les livres peuvent nous aider à guérir de nos blessures, lire est une activité qui apaise notre mental et nous donne une source de réconfort, et cela est valable soit pour l’écrivain que pour ces lecteurs. Et comme Claire Gorrara le rappelle dans le sous-titre de son commentaire de « Les combustibles » : n’y a-t-il pas lieu de se réjouir qu’il y a autant de lectures qu’il y a des lecteurs ? Mais non seulement : il faut aussi se réjouir lorsque l’on a la chance de rencontrer son auteur préféré, parce que devant sois l’on retrouve celui ou celle qui nous ont sauvé bien de fois face à nos propres chagrins.