Blog • Le cinéma Kosmos : un lieu culturel pour tous-tes

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En 2013 le collectif Kosmos se forme et rassemble les amoureux du cinéma, contre la destruction et la transformation de ce qui fut le « plus grand complexe cinématographique de Bulgarie » en un parking. La rénovation du cinéma Kosmos est un projet phare de la capitale de la culture. Mais, en juin 2019, il est toujours en ruine.

La façade du Kino Kosmos
© Ninon Chenivesse

« Je vois ta main », réplique d’une seconde récupéré à la volée sur l’un des films éparpillés au sol, lorsque nous pénétrons dans le mythique cinéma Kosmos, le кино космос, de la rue Gladston, qui relie la place centrale de l’Hôtel de Ville aux allées des jardins du Tsar Siméon. Aujourd’hui caché derrière une rangée de bureaux d’assurances, de banques, de sociétés de climatisation et d’agences de voyages en plexiglas grisonnant, le cinéma, fermé en 1999 du fait de la libéralisation de la distribution cinématographique et de la disparition des financements culturels étatiques à la fin de l’URSS, n’en garde pas moins une certaine splendeur.

Le plus grand théâtre cinématographique de Bulgarie

Construit en 1964 par l’architecte Lyubomir Shinkov pour divertir les jeunesses communistes, le bâtiment, autrefois nommé « Komsomol » est conçu pour être le plus grand théâtre cinématographique de Bulgarie. Sa salle principale – on y pénètre en montant un large escalier en colimaçon – est un vaste amphithéâtre a plafond coloré, plongeant sur l’écran où furent projetés trente-cinq ans de cinéma bulgare ; des films idéologiques de la période soviétique aux productions majeures symbolisant la chute du mur : « c’est ici que j’ai vu Hair, Amadeus, Star-Wars » se souvient Konstantin Bobotzov dans un entretien de 2013.

© Ninon Chenivesse
Les escaliers du Kosmos
© Raphaëlle Segond

Cet ingénieur automaticien est avec Georgi Sebezov, Penka Popova, Todor Ivanov, Toni Stoicheva et Vesselina Sarieva, l’un des principaux militants du « Collectif Kosmos ». Officiellement créé en 2013, ce groupe a pour objectif de proposer et de défendre un plan de rénovation du Kino Kosmos. L’enjeu est de taille : en novembre 2010, la municipalité de Plovdiv, alors dirigée par le maire Slavcho Atanasov [1], déclare la destruction du Kino Kosmos et sa transformation en un parking quatre étages, supposé répondre à des « besoins urgents de stationnement ». Pour ce faire, elle vote à l’unanimité, et à l’abri de tout consultation démocratique – aucune consultation publique n’est organisée, et les études d’impact environnemental ne sont pas faites – le changement de statut du cinéma qui, de propriété publique d’intérêt culturel, devient une propriété municipale privée prête à être rachetée.

Défendre le cinéma Kosmos : « Un acte de démocratie »

En réaction, le groupe à l’origine du futur « Collectif Kosmos », soutenu par des organisations telles que la fondation Open Arts et le café Artnews, ainsi que de nombreux·ses Plovdivien·nes, se battent pour défendre le caractère d’intérêt général du cinéma. Pour sensibiliser à la cause, iels organisent des réunions-débats, montent une exposition, diffusent des pétitions et, selon les possibilités offertes par la loi sur la « participation directe des citoyens », se constituent en un « Comité d’Initiative » représenté par six personnes, leur permettant de participer à des réunions au conseil municipal. Après plusieurs mois de pression citadine, et devant l’insistance médiatique, la municipalité cède et, l’été 2011, rend, à l’unanimité, la propriété publique et son statut culturel au Kosmos. Konstantin Bobotzov explique :

« Pour Plovdiv, il s’agit du premier débat public organisé sous la pression de civil·es. C’était un acte de démocratie, nous avons tenu et défendu notre position, et nous avons gagné. Nous avons montré comment les citoyen·es peuvent être au coeur des institutions ».

Le lieu, plein de promesses créatives, réintègre rapidement les circuits culturels de la ville ; des expositions lui sont consacrées, des projections et spectacles y sont organisés et, à partir de 2011 il figure chaque année au programme de la « nuit des musées et des galeries ». Pour décider de son avenir, un concours de projets architecturaux est lancé en juillet 2012, lors du forum annuel de l’architecture. Il doit servir de base conceptuelle aux rénovations futures du cinéma. Parmi le jury figurent, entre autres, le fondateur du Kino Kosmos, Lubomir Shinkov, une représentante de l’initiative citoyenne Penka Popova, et des personnalités économiques et politiques comme Ilko Nikolov, président du conseil municipal de la ville de 2011 à 2015 et dirigeant d’Arkont, le principal cabinet d’architecture des bâtiments publics à Plovdiv. Tout en prévoyant un budget réaliste, les trente-six candidat·es sont ainsi invité·es à penser les modalités à la fois artistiques – présenter une offre culturelle qui plaise – et techniques – organiser l’offre de transport et de stationnement – de l’attractivité du cinéma pour les habitant.es de Plovdiv.

Plovdiv Film
© Ninon Chenivesse

L’année suivante, en 2013, rempli·es de l’énergie de la reconstruction, les défenseur·seuses du cinéma, les architectes et représentant·es de diverses professions (juristes, journalistes, ingénieurs, artistes) constituent officiellement l’association « Collectif Kosmos » et entreprennent de nettoyer et d’entretenir le bâtiment, tout en continuant de penser sa restauration. Le coût des opérations, qui atteint près de 60 000 лев (30 000 euros), est financé par la chambre des architectes Bulgares. Ce budget est complété par des aides de la fondation Open Art et de la Fondation Plovdiv 2019 pour l’organisation des événements artistiques, de plus en plus nombreux à se tenir au Kosmos.

Pochoirs au mur : "collectif kosmos"
© Ninon Chenivesse

Le "complexe culturel Kosmos", oeuvre phare de la capitale européenne de la culture

La temporalité de la lutte pour le Kosmos permet en effet au collectif de se rapprocher de la jeune Fondation Plovdiv 2019 qui intègre la rénovation du cinéma dan le dossier de candidature. Apprécié du jury parce qu’il illustre la participation active des habitant·es de Plovdiv aux projets culturels de la ville, le cinéma Kosmos devient l’une des réalisations phares de la capitale européenne. Avec quatre autres bâtiments, il fait parti du programme 4GET, qui prévoit de réhabiliter les monuments soviétiques à l’abandon.

Mémorial Bratska Mogila. Autre oeuvre du communisme à l’abandon
© Raphaëlle Segond

Cependant, malgré l’avance et les efforts gratuits du collectif Kosmos pour penser la transformation du cinéma, la Fondation, dont de nombreux membres ont entre-temps été renouvelé·es, ne peut assurer à ce dernier que c’est son projet qui sera retenu : en 2016, elle ouvre un appel à candidature élargi. Les ambitions du collectif sont grandes, mais loin d’être irréalisables. Dans son étude [2] sur les stratégies énergétiques de rénovation du théâtre, Ivan Cholakov écrit :

« La structure architecturale existante du bâtiment est très bien pensée ; elle permettra de développer des espaces variés, tant par leurs tailles que par leurs fonctions »

Car ce qui aurait dû devenir le « complexe culturel Kosmos » va au-delà de l’ancien cinéma et se veut une plateforme de libre création, ouverte à un large public. A l’étage, le grand amphithéâtre devait accueilli des projections cinématographiques, des spectacles de théâtre, de danse, des concerts, ou encore des expositions ou bien des conférences. Au rez-de-chaussé, les nombreuses salles étaient imaginées en espaces d’ateliers, où le public aurait pu se former à des arts aussi divers que la poterie, la charpenterie, la sculpture, la création textile, la bijouterie ... Pour que le cinéma puisse être réellement indépendant, son autosuffisance économique était prévue à travers l’installation, sur le reste de l’étage, d’un espace de co-working loué à des entrepreneurs, d’une librairie artistique, et d’un café. Y compris une garderie pour les enfants dont les parents souhaitaient aller au spectacle, ou lire quelques heures. Durant quatre ans, de 2013 à 2017, les professionnel·les du collectif Kosmos acceptent donc d’engager gratuitement leur temps, leur énergie, et leur savoir-faire dans la transformation du cinéma.

Promesses non tenues

La fin des travaux de rénovation est officiellement prévue pour 2018-2019 Cependant, l’appel à projet de la Fondation n’est pas encore clos à l’été 2017. Dès octobre 2016, les médiateurs européens chargés de suivre le bon développement de la capitale de la culture se disent « préoccupés par la très faible avancée depuis 2014 sur un certain nombres de projets phares, comme le Kosmos Cinéma » et demandent à recevoir un calendrier précis des opérations de reconstruction pour janvier 2017. En avril 2018 le panel européen réitère ses craintes quand au non-avancement des travaux. Et pour cause, en juin 2019, l’édifice est toujours délabré : des 900 sièges de l’amphithéâtre, il ne reste que les gradins en béton, de nombreuses fenêtres de l’immense baie vitrée sont explosées, et le bâtiment souffre des orages successifs qui l’ont partiellement inondé.

Dans le cinéma, reflets des inondations
© Raphaëlle Segond

Jusqu’au mois de mars 2017 la rénovation du Kosmos semble pourtant en bonne voie : les réunions entre le collectif et le maire de la ville, Ivan Totev, se succèdent et un million de leva sont alloués au cinéma lors du vote du budget de la ville, en janvier 2017. Boris Zafirov, metteur en scène et acteur du Théâtre de la Responsabilité, ancien membre du collectif Kosmos explique :

« Nous avions présenté trois scénarios de rénovation : un à un millions de leva, pour reconstruire les bases, un à deux millions, qui incluait des salles supplémentaires, et un à trois millions s’attaquant à tout le bâtiment ».

C’est donc le plan budgétaire le moins élevé qu’a choisi la municipalité, mais Ivan Totev se veut rassurant et déclare « nous parlons là d’une véritable infrastructure où pourront se produire le événements de Plovdiv 2019 ». Ce vote est une victoire pour le collectif et représente la première étape de la reconstruction effective du bâtiment. « On parlait du Kosmos dans toute la Bulgarie, à Sofia, à Bourgas… ; tout le monde y croyait et imaginait y réaliser des projets » se souvient Boris. Mais le metteur en scène coupe cependant net cet élan rêveur :

« Du jour au lendemain, la municipalité n’a plus répondu. Malgré notre insistance, nous n’avons plus été invités à aucune réunion concernant l’avenir du bâtiment. On ne souhaitait nous fournir aucune raison. Alors que nous étions tous les jours actifs au cinéma, une personne a surgi de nulle part et nous a demandé de rendre les clefs du bâtiment. »

Excédé des promesses non tenues, et de plus en plus divisé devant la pression municipale, le collectif Kosmos annonce, en août 2017 qu’il se dissout et qu’il retire « sa confiance, et tous les projets soumis à la Municipalité de Plovdiv et à la Fondation ‘‘Plovdiv 2019’’ ». Pour les membres du collectif, il n’y a pas de doute : si le projet n’est pas réalisé, c’est parce que « la reconstruction du cinéma Kosmos est actuellement monopolisée par les intérêts politiques des dirigeant·es de la municipalité ». Dans leur communiqué de démission où ils et elles dénoncent des droits de rénovation vendus « sous la table » afin que soit signé « illégalement et sans éthique » un contrat de construction avec une entreprise concurrente. « Nous n’avons jamais eu de confirmation officielle, et une enquête est à mener, mais nous pensons que les droits ont d’abord été vendus à une entreprise de matériel de construction proche de la municipalité, dont le directeur est l’architecte de la rénovation du stade de cyclisme défectueux Kolodrouma, l’un des meilleurs exemples de corruption récents à Plovdiv » explique Boris, inquiet d’une rénovation impensée, trop pressée et à bas coût du monument cinématographique.

Jeux d’ombres et de lumières dans le cinéma
© Ninon Chenivesse

Quel avenir pour le Kosmos ?

Cependant, l’entreprise en bâtiment se retire elle aussi du projet, et tout le monde s’interroge sur l’avenir du Kosmos. Un nouvel appel d’offre appelant à la réalisation de nouveaux projets architecturaux, ainsi que cela avait déjà était fait en 2012 est lancé par la municipalité le 22 avril 2019, et une gêne évidente figure à la Fondation, qui, dépendante de cette institution, ne mentionne pas la démission du collectif Kosmos sur son site internet. Personne ne sait ce que pourrait devenir le cinéma. Certains, comme Boris, pensent que le site sera rasé, et, que, dans une boucle négative, il deviendra le parking contre lequel le collectif avait tant lutté. Pour Lubomir Atanassov, qui a vu disparaître les promesses de sa galerie dans la gentrification de Kapana, la publication d’un nouvel appel d’offre pourrait bien être un moyen de faire oublier le cinéma :

« Ils font tout le temps ça, ils attendent, ils attendent, ils attendent. Ils repoussent. Le projet ne se fait pas. Les gens perdent courage, et c’est détruit. »

Exposition sauvage
© Raphaëlle Segond

D’autres sont légèrement plus positif·ves. A la Fondation, Gina Kafedjian, qui était chargée de la médiation entre la municipalité et le collectif Kosmos, évoque en octobre 2018 un possible partenariat avec la bibliothèque de Plovdiv « la deuxième plus grande du pays » pour faire du cinéma un espace dédié au numérique. Emil Mirazchiev, artiste d’art contemporain et fondateur de la capitale européenne de la culture, quant à lui, est résolu : « Non, ça ne deviendra pas un parking. Ça sera un lieu culturel, mais quoi ? ». Au dernières nouvelles, en février 2020, le Kosmos est toujours délabré. Les préfabriqués en plexiglas qui le cachaient de la rue Gladston ont été détruits, mais l’espace libre est devenu un parking à ciel ouvert. Quand nous demandons à Emil si des projets ont été annoncés, il répond par la négative et ne donne plus grand avenir à l’espace culturel qu’il espérait.

Vignette des grands jours du cinéma
© Raphaëlle Segond

Notes

[1Slavcho Atanasov appartient au parti de droite Impro BNM soutenu par le GERB, le parti de la majorité.

[2Cette étude est intitulée : Cosmos Cinema, parametrically optimized passive strategies for the energetic refurbishment of kino cosmos in Plovdiv, Bulgaria, Ivan CHOLAKOV, université d’Augsburg, faculté d’architecture, 2018.