Blog • La vie est un exil

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La fenêtre russe, de Dragan Velikić, traduit du serbe par Maria Bejanovska, éditions Agullo, 2022.

Rudi a fui la Serbie, son pays ravagé par les guerres pendant les années 90 et trimbale son mal-être d’exilé en Hongrie, puis en Allemagne, balloté par l’existence, comme dans un rêve absurde, halluciné, dont toute échappée est illusoire, à l’image de la vie elle-même.

Tu es un « invalide émotif », lâche l’une de ses maîtresses, une formule qui correspond bien en effet au désespoir de cet homme qui évolue dans un monde crépusculaire, où les êtres semblent errer, seuls, voués à l’échec. Rudi lui-même est un comédien raté et ne se départ pas d’un pessimisme que l’on pourrait qualifier de féroce, tant il est compact. Ses conquêtes amoureuses, nombreuses, paraissent comme irréelles, inconsistantes et ne parviennent pas à le sortir de cet état de mélancolie passive que l’auteur étend d’ailleurs à tous les individus.

« Je suis né au mauvais endroit (...) Je n’ai jamais réussi à faire correspondre moi-même avec moi-même », confie également Danijel, un chef d’orchestre âgé, à Rudi, se rappelant les échecs de sa vie.

Le train comme une métaphore

On prend souvent le train dans les romans de Dragan Velikić. C’était aussi le cas dans Le cahier volé à Vinkovci, son précédent roman traduit en français et toujours, comme pour La fenêtre russe, avec élégance, par Maria Bejanovska. Sans doute parce que l’écrivain serbe y voit une parfaite métaphore de nos existences et de ses aléas.

« Chacun n’est qu’un wagon, avec ou sans motrice, mais de toute façon un wagon », ajoute le même Danijel. « Il voyage sur les rails, attend dans les gares, traverse les croisements, s’arrête au signal qu’il ne peut pas prévoir. Il s’accroche et se décroche, change de rame et finit sur une voie sans issue, aux rails envahis par les mauvaises herbes. »

« Ce sont toujours ces mêmes vies anonymes qui s’écoulent aux marges des mondes, dans des scénographies similaires », poursuit ailleurs Dragan Velikić. « Ils ne partent jamais, ils sont des figurants dans les représentations des autres, réduits à des meubles, nés sur une voie secondaire, en attente permanente du sifflet et du signal vert. Il n’existe pas d’aiguillage qui les orienterait vers le lointain où l’on respire à pleins poumons. Leur temps s’écoule hors du monde. »

On comprend la signification du titre, La fenêtre russe ou fortochka, ces petites fenêtres comprises dans une plus grande et que l’on ouvre l’hiver, en Russie, pour aérer la pièce : comment échapper à notre destin tout tracé, « trouver la sortie », comme le lance un personnage du livre.

Quelques pages réussies retracent avec la saveur du vécu les communautés d’exilés serbes à Budapest, Munich ou Hambourg, commentant les nouvelles tragiques du pays ou les bombardements de l’Otan, ou échangeant leurs projets ou aspirations. L’exil ressemble chez eux souvent plutôt à une fuite, à une aspiration à aller toujours plus loin, comme si leur départ était sans esprit de retour. « L’Europe est à la périphérie, épuisée et pleine de préjugés », lance dédaigneuse une jeune femme à Rudi. « L’Amérique est le seul pays où tu peux tout recommencer. »

Dragan Velikić a reçu deux prix littéraires prestigieux pour La fenêtre russe, le prix NIN en Serbie en 2005 et le prix Meša Selimović en 2007. Né à Belgrade en 1953, il vit toujours dans la capitale serbe. Egalement journaliste et chroniqueur, il a été ambassadeur de Serbie à Vienne de 2005 à 2009.

Dragan Velikić, La fenêtre russe, Agullo, Villenave d’Ornon, 2022, 422 pages, 22 euros.

  • Prix : 22,00 
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