Nous voilà en Roumanie depuis deux semaines ! L’une de nous y a vécu pendant un an il y a huit ans, c’est donc avec une certaine émotion que nous franchissons le Delta du Danube, pour la dernière étape de cette épopée balkanique ! Nous avons déjà traversé la moitié de ce pays étendu, puisque nous sommes allées jusqu’à Cluj-Napoca depuis notre arrivée.
Le pays est historiquement composé de trois régions : la Moldavie roumaine au Nord-Est, la Transylvanie au centre Ouest et la Valachie dans le Sud. Nous avons donc déjà traversé la Valachie et la Transylvanie et nous finirons notre parcours dans le nord du pays.
La Roumanie prend récemment la forme que l’on connaît aujourd’hui, puisqu’il faut attendre le Traité de Versailles de 1918 pour que la Transylvanie (jusque là austro-hongroise) soit rattachée aux deux autres régions.
C’est donc à un carrefour de peuples, d’histoire, de traditions païennes et orthodoxes que nous nous trouvons. Nous arrivons d’ailleurs pour la fête des défunts, la Rusalii. Nous sommes alors saisies par la présence de la mort dans l’espace public : autels, lieux de mémoire, vêtements de deuil, drapeaux de deuil à l’entrée des maisons sont autant d’éléments que nous croisons partout. À cette occasion, on nous propose des Colivă, ces gâteaux offerts aux proches lors des fêtes de deuil.
Nous quittons peu à peu la plaine du Sud et ses innombrables petits villages encore pleins de vie, pour rejoindre la Transylvanie. Nous passons alors à proximité de la vallée de l’Olt, où nous traversons des villages peuplés des Rudarii, aussi connus sous le nom de Bayaches, artisans du bois.
En Transylvanie, nous découvrons les belles villes saxonnes de Sibiu, Brașov, Sighișoara mais aussi des plus petits villages tels que Viscri et Hosman, dont certains sont inscrits à l’UNESCO. Cette région est marquée par l’héritage de la colonisation saxonne. En effet, dès les XII et XIII siècles, les Saxons sont appelés par le roi de Hongrie pour venir bâtir des villes, développer l’économie et protéger la frontière hongroise en Transylvanie. L’arrivée de ces personnes va dès lors marquer les villages et la langue. En effet, leur architecture est différente, moins de bois, de grands portails donnant sur la rue et qui cachent l’intérieur des foyers ainsi que la ferme située au fond du jardin. Cette population commence à rentrer en Allemagne dès les années 50, poussée dehors par la politique communiste de Ceaușescu.
À la chute du dictateur, les habitants fuient en masse. Peu à peu, des mouvements d’allers et de retours se mettent en place. Aujourd’hui, ce sont notamment des retraités qui viennent finir leurs jours en Roumanie. Plusieurs ONG allemandes s’installent également dans la région autour de projets de rénovation des maisons et de valorisation du patrimoine.
À Hosman, nous rencontrons également l’association Din Hârtibaciu, cu drag, qui fait partie du mouvement Longoï Moi, composé de volontaires qui œuvrent à la valorisation culturelle en organisant des marchés de producteurs, des actions de sensibilisation autour des femmes, des journées à la ferme pour des écoles et des ateliers découverte de la faune locale tout en s’organisant pour la préservation de l’environnement.
Car en effet, lors de notre voyage, nous sommes saisies pour la transformation du paysage : de nombreuses entreprises d’Europe de l’Ouest rachètent les terres pour une bouchée de pain et installent de grandes exploitations agricoles ou d’élevage intensif, ce qui transforme le paysage et la vie pastorale. La déforestation est aussi un sujet prégnant.
Nous sommes à la fois émerveillées et effrayées par la faune sauvage, si proche des habitations dans cette région. Les ours sont notamment très présents autour de Brașov. Nous avons, à plusieurs reprises, le sentiment d’un entre-deux : un rapprochement entre une présence humaine qui se développe et va plus loin dans la nature et des animaux sauvages qui sont par conséquent obligés de se rapprocher des villes. Or, dans cet entre-deux, nous avons l’impression que chacun cherche encore sa place. Cette présence massive d’animaux mais aussi la crainte des multitudes de meutes de chiens nous obligent à renoncer au vélo, notamment entre Brașov et Cluj.
À Cluj, nous savourons le dynamisme de cette métropole : nous allons notamment au TIFF (Transylvanian International Film Festival) et y découvrons le film Pentru Maine esti Ceausescu, "Pour moi tu es Ceaucescu" de Sebastian Mihăilescu qui est un documentaire sur une troupe de jeunes comédiens qui répètent pour interpréter la vie de Ceaucescu avant son accession au pouvoir. Ce film documentaire, très réussi, aborde les questions complexes de la mémoire de la période communiste, sujet encore souvent tabou aujourd’hui. Il nous renvoie aussi au musée des souvenirs communistes que nous avons fait à Brașov où la dérision est utilisée pour parler de la vie quotidienne pendant la période communiste ainsi que des impacts sur des générations de certaines lois prises lors de la dictature de Ceaucescu. L’une d’entre elles, de 1966, a par exemple interdit l’avortement et a notamment eu comme conséquence des décès de femmes cherchant à avorter seules ou encore de nombreux enfants abandonnés. Ces faits font écho à l’actualité autour du droit à l’IVG aux États-Unis.
En parlant d’actualité, le spectre de la guerre en Ukraine est aussi présent. Nous la ressentons notamment dans la commune de Cincu où nous faisons une escale. Cette commune contient la deuxième base militaire de l’OTAN du pays et de nombreux militaires français y sont actuellement. Nous croisons aussi des réfugiés ukrainiens et Iulia, qui nous héberge pour notre halte, nous explique le mécanisme de soutien financier mis en place par l’État roumain pour l’accueil de ces familles. Plusieurs habitants nous décrivent qu’ils se sentent protégés par l’OTAN et n’ont pas peur de la guerre.
En ce qui concerne notre voyage culinaire, nous notons des subtilités régionales. En Transylvanie, les influences hongroise et allemande sont très importantes et impactent les recettes traditionnelles. Nous nous régalons de plats à base de paprika et de choux cuisinés tels que le Varză a la Cluj. Les spécialités de Brașov sont la crêpe salée végétarienne et le fromage de carvi. Nous dégustons aussi de délicieuses Chiftele de pommes de terre et oignons jeunes. Les pommes de terre sont omniprésentes dans la cuisine, y compris dans le pain, mais aussi dans le paysage où des champs de plantation s’étendent à perte de vue. Comme ailleurs, nous retrouvons les salades de tomates et concombres et les pickles qui les accompagnent. Et bien sûr, l’élément phare de la cuisine : la Ciorbă, la soupe, qui se déguste partout en Roumanie.
Mais il est déjà temps pour nous de poursuivre notre dernière étape vers le nord du pays et la région de Maramureș.
Quelques partages culinaires :
- Papanași : beignets accompagnés de crème et coulis de fruits des bois.
- Sarmale : choux farcis.
- La mămăligă : polenta qui accompagne notamment la ciorbă,.
- Varză a la Cluj : moussaka de choux et viande hachée
- Chiftele de cartofi : rosti de pommes de terre/oignons jeunes accompagnés de crème fraîche
- Chutney de poivrons pour accompagner une viande