Blog • L’honneur perdu de la Société de culture macédo-roumaine

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Puissant lobby au service des intérêts des Aroumains des Balkans, que l’on appelait autrefois Macédo-Roumains ou Roumains du Sud, la Société de culture macédo-roumaine est devenue une sorte d’annexe du département pour les Relations avec les Roumains de partout. L’auteur d’un petit ouvrage qui vient de paraître rappelle son histoire.

La princesse, le président de la SCMR et les 70 invités

Décidément, quand on n’a pas mieux comme projet d’avenir que de prôner le retour aux supposées vertus des principes patriotiques qui auraient guidé le passé pré-communiste, les commémorations constituent les moments forts de la vie politique et culturelle d’un pays. Il en fut ainsi par exemple avec la célébration du Centenaire en Roumanie tout au long de l’année dernière. Pour 2019, les occasions ont été plus rares, en sorte que les 140 ans de la fondation de la Société de culture macédo-roumaine (SCMR) ont fait l’affaire, même s’il s’agissait d’un épisode quelque peu oublié de l’histoire roumaine récente.

Pour marquer le coup, une réception a été donnée le 8 mai par la princesse Margareta, et le 19 septembre la Banque nationale a émis une pièce de monnaie en argent sur ce thème. D’autres festivités sont organisées par la direction de la SCMR ces jours-ci. Parallèlement, paraît en roumain un petit ouvrage intitulé La Société de culture macédo-roumaine, 1879-2019, une histoire courte.

Le parcours de la SCMR reconstitué par Alexandru Giga dans ce livre est édifiant. Pendant les trois décennies qui ont suivi sa fondation, elle a aiguillonné la politique roumaine dans les Balkans menée au nom de la proximité linguistique des Aroumains, dits en ce temps Macédo-Roumains ou encore Roumains du Sud, avec les Roumains. Ceci n’a pas empêché cette société, longtemps fort honorable, d’avoir ses propres initiatives et de les mettre en pratique avec ses propres moyens.

Le lâchage des Aroumains en 1913, après la seconde guerre balkanique, changera radicalement la donne. En renonçant à ses « prétentions » dans les Balkans, la Roumanie acquérait une certaine respectabilité auprès des grandes puissances et un territoire aux dépens de la Bulgarie, la Dobroudja du Sud. Divisés entre plusieurs Etats, les Aroumains, reconnus comme milet (nation) valaque depuis 1905, restaient désormais sans aucun statut. Aussi, à partir de là, la SCRM aura fort à faire pour gérer depuis Bucarest la crise dans le monde aroumain, en Grèce, Yougoslavie, Albanie ou Bulgarie mais aussi en Roumanie puisque un nombre significatif d’Aroumains s’installeront après 1925 dans la Dobroudja du Sud précisément. A l’arrivée des communistes au pouvoir, la SCMR fut suspendue. Elle ne sera réactivée qu’après la chute de Ceausescu.

Pendant toute la période qui précède sa suspension, la SCRM a conservé une certaine autonomie vis-à-vis des gouvernements qui se sont succédé ce qui lui a conféré un pouvoir non négligeable et lui a permis de régler bien des problèmes. Les choses vont changer après sa réactivation quand elle deviendra progressivement une sorte d’annexe du nouveau département pour les Relations avec les Roumains de partout du ministère des Affaires étrangères et des associations nationalistes qui gravitent autour de ce département. Sa direction se contentera de reprendre à son compte la rhétorique de la fin du XIXe siècle sur le thème « les Aroumains sont roumains » en s’adressant sur un ton encore plus agressif qu’autrefois aux éventuels récalcitrants qualifiés parfois de « séparatistes », « traitres à la patrie », « vendus aux étrangers », etc.. Principal argument de la nouvelle direction : le passé prestigieux de la SCRM, dont ils s’estiment les héritiers, évoqué sans relâche en termes dithyrambiques. Or beaucoup de choses, à commencer par le contexte général, avaient entre temps changé, y compris sur le plan de l’auto-perception des Aroumains en Roumanie comme ailleurs. D’aucuns, dont les grands-parents n’auraient jamais osé se présenter comme autre chose que roumains, n’hésiteront plus à se penser et à s’affirmer publiquement comme aroumains et chercheront à se donner des moyens pour cultiver leur propre langue et culture. Depuis la demande de reconnaissance en 2005 d’un statut de minorité nationale par certains d’entre eux, les activités de la SCRM consistent pour l’essentiel dans le torpillage de toute initiative autonome des Aroumains sous prétexte que leur langue serait un dialecte, donc qu’elle n’a pas à être enseignée, et qu’ils seraient et ne pourraient être que Roumains.

Inutile de nous attarder sur les arguments spécieux concernant l’ethnogenèse et par conséquent l’identité des locuteurs actuels des diverses variétés issues du latin populaire dans les Balkans. Le plus grave est que ce sont parfois des chercheurs certifiés de l’Académie roumaine à commencer par son actuel président, qui valident par leur silence ou reprennent même à leur compte de tels arguments, sans que l’on puisse établir s’ils le font par « patriotisme » ou motivés par des considérations de carrière dans leur spécialité ou en politique.

Contentons-nous donc de rappeler que le Conseil de l’Europe a voté en 1997 la Recommandation 1333 concernant la protection de la langue et de la culture aroumaines par les Etats où vivent des Aroumains.