Blog • L’exil et la quête d’une identité perdue

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Le cheval rouge, de Tasko Georgievski, traduit du macédonien par Maria Bejanovska, édition Cambourakis, 2023.

Boris Touchev, ardent militant communiste macédonien, se réfugie en Albanie peu après la fin de la seconde guerre mondiale avec quelques camarades de l’Armée populaire de libération grecque, contraint au départ après la défaite de son camp dans la guerre civile qui ravage son pays natal.

L’Europe est encore à feu et à sang. L’errance commence, comme la connurent en ces années-là des millions de personnes déplacées sur les décombres du conflit mondial. Une errance où des responsables mal déterminés vont décider du sort du petit paysan macédonien et de ses compagnons, grecs et macédoniens. Il traverse clandestinement, caché dans une cale, la Mer Egée, puis la Mer Noire, avant de gagner l’URSS de Staline. Puis c’est le Caucase, la Mer Caspienne et enfin l’Ouzbékistan.

Tachko Gheorghievski, Le Cheval rouge, Éditions Cambourakis, Paris, 2023, 176 pages, 11 euros

  • Prix : 11,00 
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Boris ne pense pas d’abord pouvoir revoir le Kajmakcalan, cette région montagneuse située aujourd’hui entre la Grèce et la Macédoine du Nord et où vivent ses filles. Il refait même sa vie avec Olga. Fidèle à ses idéaux politiques, il se rend à Moscou pour s’incliner devant le mausolée de Lénine.

Rouge et nu, sans selle, un poulain sauvage

Mais la nostalgie reste douloureuse et il finit en 1965 à la suite d’une ambiguîté administrative lourde moralement par regagner la terre natale, qu’il ne reconnaît plus, après une vingtaine d’années d’absence. « Mon retour à la maison n’a pas été comme je l’avais imaginé. Tout d’abord, ça n’a pas été une joie pour mon frère ; quant aux autres, je ne veux même pas en parler ». Il n’y a plus qu’un seul communiste au village. Déboussolé, de plus en plus solitaire, désespéré, renié par plusieurs de ses filles, il ne sait plus à quel pays, quelle communauté il appartient. Il est devenu un étranger sur la terre. « La douleur enfoncée dans le coeur ne guérit pas. Elle se calme, se cache, tu crois que c’est devenu de la cendre et c’est encore de la braise ».

Il achète à un paysan sur une route un « cheval rouge », indomptable, « rouge et nu, sans selle, un poulain sauvage ». L’animal intrigue tout d’abord le lecteur puis on comprend sa dimension allégorique de l’utopie et de la rebellion communistes face à l’injustice, restées intactes dans l’âme du narrateur.
Seul reste peut-être pour Boris, le paysan déraciné, l’attachement à la terre de ses ancêtres.

Ça s’est passé comme ça

Récit puissant et vrai, concis et écrit à la première personne, Le cheval rouge est fortement inspiré de la vie même de l’auteur (1935-2012). Et cela se sent. Il frappe d’emblée par la sincérité de son ton, presque sa candeur, et son refus de céder à des envolées littéraires sur un terreau aussi tragique et humain. « Ça s’est passé comme ça », revient comme un leitmotiv et Tasko Georgievski confie lui-même dans une postface que le plus grand compliment qu’on pouvait lui faire sur son livre est d’avoir lu « une confession authentique ».

« Je serai toujours torturé par la question du retour du vaste monde vers la racine, écrit-il un peu plus loin, de l’errance vers la sérénité, des mots étrangers vers mes propres mots, de la vie des autres vers ma propre vie, car en nous tous, éparpillés de par le monde, couve l’étincelle vivante de notre vraie identité. »

C’est bien la raison pour laquelle ce livre touche tant. Le particulier peut rejoindre l’universel et le destin broyé de Boris Touchev, modeste paysan macédonien violenté par l’Histoire, évoque immanquablement le drame et les tragédies personnelles et intérieures qu’ont pu connaître et connaissent toujours les exilés jetés sur les routes du monde.

Telle cette silhouette que l’on peut croiser au détour d’une rue, comme l’avoue Sabrija au souvenir de Boris. « Voilà, comme on dit, un homme qui a passé sa vie à l’étranger et lorsqu’il est revenu nous avons fait comme s’il n’était pas des nôtres. Moi aussi je me sens coupable bien que je ne l’aie jamais évité mais je n’ai rien fait non plus pour le défendre. »

Publié pour la première fois en 1989 aux éditions L’Age d’homme et édité aujourd’hui en poche par les éditions Cambourakis, Le cheval rouge est considéré comme un classique de la littérature macédonienne.