Blog • Graffitis : entre art, propagandes et hommages, un moyen d’expression omniprésent dans les Balkans

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Des petits arrêts de bus abandonnés sur les départementales aux murs les plus importants des capitales, ces graffitis peu banals ont des choses à raconter et surtout à revendiquer.

Portrait de Petar Borota
Basile Hiegel

De « Борач », « fuck NATO » au mythique « Kosovo je Srbija », je n’ai pas pu leurs échapper tout au long du voyage. Je les ai classé en deux catégories : sportif et politique.

Sportif : Que ce soit pour le Dinamo de Zagreb, les Partizans de Belgrade ou le Borac FK de Banja Luka, la ferveur des supporteurs transpire sur les murs des capitales. Autant de larmes ont été versées que de litres de peinture soigneusement étalés. On pourrait - si mauvaise foi et pensées occidentales nous submergeaient - critiquer l’état de certaines routes et de certaines façades de pekara (boulangerie) - mais il n’y aura jamais rien à dire sur la propreté et la précision d’un tag de fanatique sportif des Balkans. Vous pensiez que les hooligans étaient des brutes épaisses ne savant se servir que de leurs poings ? Vous vous êtes trompé. Vous pensiez qu’ils n’exprimaient leurs émotions qu’en se battant et en criant ? Vous vous trompiez également. Dans les rues de Belgrade, un hommage à Petar Borota - gardien de foot serbe ayant, entre autres, joué pour les Partizans dans les années 1970 - a été fait en dessinant son portrait. Par ailleurs, ces noms de clubs de foot font de façon récurrentes références à des champs lexicaux de combat - Borac signifiant lutteur/combattant - de résistance - les Partizans de Belgrade - et de force - Dinamo (Zagreb) du grec dunamis « puissance ». Ainsi, au même titre que les guerriers conquièrent des terres, les supporters de la région conquièrent l’espace à leur manière.

"le seul génocide dans les Balkans à été contre les serbes"
Place de la République, Belgrade
Basile Hiegel

Politique : rentrons dans le vif du sujet. Pour être tout à fait transparent, je reste très distant de ces derniers pour deux raisons : je ne suis pas suffisamment renseigné sur l’histoire de la région pour apporter quelques jugements, nuances ou précisions sur ce qui est raconté sur ces murs ; je n’ai pas suffisamment échangé avec les habitants, que ce soit ceux convaincus par ces messages ou ceux qui les dénoncent. Difficile donc de mettre cela en perspective. Perspective pourtant nécessaire lorsque l’on parle de morts, de crimes de guerre, de conflits identitaires et territoriaux. Cependant il est sans danger d’affirmer que ces graffitis servent une propagande nationaliste.

« The only genocide in the Balkans was against the Serbs » - le seul genocide des Balkans a été contre les Serbes. Ce tag, écrit à 5 mètres de haut et s’étalant sur plus de 10 en largeur, Place de la République à Belgrade, fait référence au génocide de Srebrenica et surtout à la décision de l’Organisation des Nations Unis (ONU) du 23 mai 2024 d’instituer un jour de commémoration - le 11 juillet - du massacre de Srebrenica ayant tué au moins 8372 hommes et adolescents bošnjaks. Plus de 20 000 autres habitants ont été forcés de quitter la ville. Au même titre que le génocide de Srebrenica est nié - et instrumentalisé - publiquement sur la Place de la République, le musée d’histoire de la Yougoslavie - également dans la capitale serbe - ne relate que très peu de faits entre 1990 et 1995.

Je n’ai pas réussi à comprendre ou voir l’effet de cette propagande et de cette adaptation historique des évènements sur la population, mais c’est cette ambiguïté qui m’a fait pédaler plus de 1000 kilomètres. Alors je continuerai de chercher à comprendre pourquoi des habitants de Belgrade à peine nés lors des bombardements de 1999 se sont mis à pleurer en me montrant le bâtiment de la télévision nationale laissé en ruines avant d’affirmer quelques heures plus tard, sans débat, ce que j’ai vu sur les murs de Republika Srpska et de Serbie : « Kosovo je Srbija » - le Kosovo est Serbe.

"Quand est-ce que l’armée sera renvoyée au Kosovo"
Belgrade
Basile Hiegel

Est-ce une question de minorité idéologique dominante qui salit les murs d’une majorité silencieuse qui n’a pas encore trouvé - ou à qui nous n’avons pas encore donné - de chiffons pour nettoyer un passé et ses préjugés ? Est-ce une question d’éléments historiques que j’ignore pouvant justifier et/ou légitimer un « Kosovo Je Srbija » ? Est-ce une question de mainmise sur les médias - et donc sur les discours prêchés - par un gouvernement agressif et diplomatiquement trop polyvalent ? Probablement un peu de tout cela et beaucoup d’autres choses. Je pense qu’il faudra encore pédaler des milliers de kilomètres et partager des litres de rakija pour déchiffrer ce sentiment qu’est de vouloir montrer au monde que nous ne sommes pas méchants - car nous ne le sommes pas, nous savons mieux que quiconque accueillir et donner - et d’être convaincu et fier - en surface, sur les murs de nos villes et de nos campagnes - de ce qui nous donne tristement cette image aux yeux du monde.