Les résultats du premier tour de la présidentielle roumaine, dans la nuit du 24 au 25 novembre, ont mis sur le devant de la scène médiatique européenne un candidat inconnu en dehors de la Roumanie. Ce candidat, appartenant à une extrême droite très dure, qui a réussi l’exploit de se qualifier au second tour en première position, sans parti politique et avec une campagne passée sous les radars des sondages mais aussi des commentateurs, se nomme Călin Georgescu.
On pouvait émettre l’hypothèse d’un second tour avec le Premier ministre Ion-Marcel Ciolacu du Parti Social Démocrate (PSD) face à George Simion (AUR) ou Elena Lasconi de l’Union sauvez la Roumanie (USR) [1] mais personne n’imaginait voir Călin Georgescu atteindre un grand nombre de votes, encore moins le voir en première position lors du premier tour. Je n’ai pris connaissance de l’importance de ce candidat que la veille du scrutin grâce aux retours d’amies roumaines m’envoyant des captures d’écran de leurs fils d’actualité TikTok avec pour dominance des publications relayant ses discours. On pouvait observer des commentaires douteux faisant penser à des bots, ce qui a été confirmé par la suite [2] .
Son profil, appartenant à l’extrême droite, a été analysé dans de nombreux médias occidentaux et ne mérite pas une nouvelle description de ses propos qu’il a pu tenir durant sa campagne axée sur l’aide à l’Ukraine et des « valeurs », presque uniquement sur les réseaux sociaux. Un détail de son parcours mérite tout de même d’être souligné. En effet, comme l’explique mon professeur Florin Țurcanu à l’Université de Bucarest, Călin Georgescu a un lien avec la Securitate (la police politique secrète roumaine sous l’ère communiste) par ses postures, ses éléments de langage inspirés du national communisme ou en ayant recours à une nostalgie de la grandeur passée de Ceausescu. On peut aussi se demander comment en 1986 a-t-il pu obtenir l’autorisation de sortir de Roumanie pour étudier au Royaume-Uni alors qu’il était extrêmement difficile d’obtenir une autorisation pour un court séjour.
L’annonce du scrutin : surprise après surprise
Le dépouillement des votes du 24 au 25 a été l’objet de nombreux rebondissements, poussant de nombreuses personnes à veiller sur l’avancée des résultats. À l’annonce des premières estimations vers 21 heures, Ion-Marcel Ciolacu (PSD) était donné en première position suivi d’Elena Lasconi (USR), ce qui constituait en soi une première surprise étant donné l’échec à première vue de l’Alliance pour l’Unité des Roumains (AUR, parti d’extrême droite ayant le vent en poupe) et l’apparition de Călin Georgescu à la quatrième place. Mais cela ne s’est pas passé comme prévu, à 50 % du dépouillement, aux alentours de 22 h 30, Elena Lasconi (USR) basculait à la quatrième place, Călin Georgescu et George Simion (AUR) montaient respectivement à la deuxième et troisième place annonçant un résultat très serré.
Vers minuit, à 87 % du dépouillement, Călin Georgescu dépassa Ion-Marcel Ciolacu (PSD), provoquant la stupeur et Elena Lasconi (USR) revenait à la troisième position. Au fur et à mesure de la nuit, la victoire de Călin Georgescu était acquise, mais la deuxième place pour le second tour restait incertaine. Ion-Marcel Ciolacu (PSD) voyait revenir Elena Lasconi (USR), c’est finalement vers 9 h du matin que Elena Lasconi (USR) dépassa l’actuel Premier ministre. C’est en fin de matinée qu’on pouvait donner les deux qualifiés pour le second tour avec Călin Georgescu (2 120 401 votes) et la candidate de l’Union sauvez la Roumanie (1 772 500 votes).
En tirant les conséquences de ce premier scrutin, on observe un éparpillement des votes, le premier n’obtient que 22,94 % des votes, ainsi qu’une participation (52,55%) similaire aux précédents scrutins. Le premier coup de théâtre est donc la venue de nulle part de Călin Georgescu et le second coup de théâtre provient de la défaite de Ion-Marcel Ciolacu (PSD) qui obtient 1 769 760 votes soit 2 740 votes de différences avec Elena Lasconi (USR). C’est la première fois depuis la Révolution de 1989 que le Parti Social Démocrate (PSD) ne se qualifie pas au second tour d’une présidentielle. Enfin, le vote de la diaspora, qui ne vote pas PSD, a été utile aux deux qualifiés du premier tour [3] dits « anti-systèmes ».
Élections parlementaires à suivre
Malgré les promesses des candidats à la présidentielle dans de nombreux domaines comme par exemple sur la question des finances publiques, il convient de rappeler que le Président détient une fonction quasi-protocolaire, leurs compétences touchent la politique extérieure et le domaine de la défense, mais sont partagées avec le gouvernement. C’est donc bien le gouvernement qui détient l’exécutif d’où l’enjeu des élections parlementaires de ce dimanche afin de former le prochain gouvernement. La Chambre des Députés et le Sénat se retrouvent renouvelés pour quatre ans.
Le futur gouvernement sera forcément une coalition au vu de l’éparpillement des votes comme expliqué plus haut. Établir une future coalition est impossible étant donné que cela dépend de nombreux facteurs. Du côté de l’extrême droite, on observe trois partis : AUR, SOS Roumanie (un récent parti d’extrême droite ayant participé aux européennes ) et le Parti des Jeunes (POT) qui soutient Călin Georgescu. Ce parti créé en 2023, inconnu de tous, possède 79 candidats « fantômes » pour les parlementaires.
L’Union sauvez la Roumanie (USR) pourrait ravir des votes aux deux « dinosaures politiques » à savoir le PSD et le Parti National Libéral (PNL). Pour ce dernier, dont les positions idéologiques sont proches de l’USR, cela pourrait être encore plus marqué que pour le PSD. En témoigne, le score du candidat PNL, Nicolae Ionel Ciucă, au premier tour (cinquième position avec 811 952 votes) alors qu’il est issu de la formation du Président sortant.
Ce désaveu des Roumains envers la coalition actuelle au pouvoir (PSD-PNL) signale un déclin inexorable qui pourrait bel et bien être acté ce dimanche. On pourrait ainsi observer une dispersion des votes anti-parti traditionnel soit vers les extrêmes droites, soit vers l’USR, ou encore deux micro-partis [4] soutenus par une partie de la jeunesse étudiante de Bucarest qui se mobilise quotidiennement à Piața Universității Le mouvement de protestation lancé par les étudiants et les professeurs de l’université de Bucarest du 22 avril au 15 juin 1990 eut lieu sur cette place. Ce mardi les manifestations pacifiques ont eu lieu dans un en lieu différent, Piața Victoriei.