Blog • Eduard Limonov de retour en France, un provocateur dans la ligne

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Eduard Limonov à Paris
© Centre de Russie pour la science et la culture à Paris

« Mesdames, Messieurs, merci d’être venus ici pour voir ma gueule ! » Eduard Limonov, l’éternel agitateur de la scène littéraire et politique en Russie qui a fait de sa vie une œuvre, en évoquant au fil de ses livres son parcours inclassable depuis sa jeunesse de petit voyou en Ukraine, dans les années soixante, puis ses séjours new-yorkais et parisiens avant de revenir dans son pays, celui qui a tout connu, célébrités et truands, la dissidence, le combat politique à la tête des « nationaux-bolchéviques », les prisons, les milieux artistiques, la clandestinité, des succès féminins innombrables, Eduard Limonov donc, cette personnalité sans équivalent connu qui se situe quelque part entre la littérature, la politique et un goût certain pour les provocations, mais aussi l’épate, l’esbroufe, et il faut bien le dire, les projecteurs du star system, était ces derniers jours de retour en France pour la première fois depuis plus de vingt-cinq ans, s’exprimant en public au Centre culturel russe à Paris, à l’initiative de l’association France-Oural.

« Je voulais venir à Paris pour le 1er mai mais je n’ai pas obtenu de visa à temps », explique-t-il, avant d’ajouter dans un sourire que le consulat de France n’était manifestement pas ravi de sa venue. Il n’est sans doute pas mécontent de voir que sa réputation sulfureuse le poursuit. Car l’écrivain et journaliste, silhouette mince de jeune homme malgré ses 76 ans, presque frêle, une abondante chevelure blanche et un regard parfois amusé derrière des lunettes, est venu dans la capitale française pour rencontrer des Gilets jaunes qu’il dit suivre avec attention. « Je me réjouis de cette rébellion populaire », ajoute-t-il dans un français correct. Il confie s’en être entretenu le matin même avec le philosophe controversé proche de l’extrême droite Alain de Benoist, dans lequel il voit un « prophète heureux » et perspicace. « On a parlé du fait que le vieux monde était en train de s’écrouler. Il ne s’agit pas aujourd’hui d’années, mais de mois. »

Avec les Gilets jaunes, « c’est finie la dépression » chère à Michel Houellebecq qu’il a bien connu lorsqu’il travaillait avec lui à Paris à l’Idiot international de Jean-Edern Hallier. Si le « vieux monde » est voué à disparaître, à quoi donc ressemblera le nouveau ? « À un chaos total » chargé de « violence », répond-il, cultivant volontiers un pessimisme foncier sans toutefois élaborer davantage.

Devant cette salle qui lui est pourtant largement acquise, presque en adoration, on devine qu’Eduard Limonov contrôle ses propos au-delà des formules faciles ou à l’emporte-pièce pour amuser la galerie. L’opposant de toujours est plus prudent qu’il n’y paraît. « À ma connaissance, il y a des petits mouvements (semblables aux Gilets jaunes) qui s’organisent en Russie. Ce sont des imitations timides », dit-il sans s’appesantir.

Ses commentaires sur la vie politique russe ne sont guère susceptibles de faire froncer les sourcils de Vladimir Poutine, quand ils ne le soutiennent pas clairement, lui et sa politique. « Je ne suis pas un admirateur » du président russe, « pas du tout », prend-il soin de souligner mais, mais…

« Regardez la Russie qui était toujours réactionnaire. C’est maintenant un pays d’avant-garde », soutient-il. Quant à parler de « peur » aujourd’hui en Russie comme l’a fait, paraît-il, Ksenia Sobtchak, cette « pimbêche frivole », fille de l’ancien maire de Saint Pétersbourg Anatoli Sobtchak et candidate malheureuse à la présidentielle, c’est une ineptie. « Elle parle de sa propre peur », hausse-t-il les épaules. « Elle exprime le point de vue des libéraux en Russie. Pour eux, il est très important de donner l’impression qu’ils vivent sous une pression énorme. Mais ce n’est pas vrai. La majorité des Russes applaudit Poutine. Les Russes en majorité sont des bourgeois qui veulent vivre tranquilles, manger, avoir des emplois ».

Vladimir Poutine était « au début une sorte de playboy, ami de (Silvio) Berlusconi et de n’importe qui. Mais maintenant, il est beaucoup plus sérieux. Parfois l’homme qui gouverne très bien, il faut le laisser (au pouvoir)… Il n’y a pas de règles ». Si d’aucuns pensaient qu’Eduard Limonov inquiétait Vladimir Poutine avec ses foucades, les voilà fixés...

De même, sur l’Ukraine, qui « essaye d’être un petit empire en Europe de l’Est », l’écrivain assure en substance que le pays n’est pas homogène avec ses régions russophones, les régions qui relevaient autrefois de l’empire d’Autriche-Hongrie et d’autres pays encore. « Un jour, l’Ukraine sera réduite à neuf régions » contre une vingtaine actuellement. Pour lui, « le monde occidental comprend mal le problème ukrainien » et il s’avoue « très sceptique » sur l’avenir des relations entre Moscou et Kiev après l’élection du président ukrainien Volodymyr Zelensky..

Comme une coquetterie, une ultime pirouette pour montrer qu’il est resté le même, l’écrivain rebelle, Edward Limonov lance, bravache, devant son auditoire : « Ce qui me fait avancer ? Le désir de nuire au monde le plus possible ».

La précision était nécessaire.