Blog • Du tour, des Slovènes, des émirs et autres…

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Tadej Pogačar et Primož Roglič se livrent une bataille dantesque pour la victoire du Tour de France 2020
© Capture d’écran / Youtube

A cause de la Covid 19 la saison cycliste 2020 a été totalement bouleversée, le Tour de France a eu lieu en septembre, celui d’Italie, le Giro commence en octobre. Cette année le Tour a fait l’objet d’une polémique, non comme d’habitude pour des histoires de dopage, mais du fait des déclarations de Grégory Doucet, maire de Lyon, à propos d’un Tour de France qui « continue à véhiculer une image machiste du sport » et est accompagné d’un barnum mobile polluant. Il est vrai que cette polémique nourrit l’offensive contre les écolos qui fait rage depuis leurs derniers succès électoraux.

Notons cependant que dans un premier temps Christian Prudhomme, le directeur du Tour, avait reconnu un certain bien-fondé de ces critiques en faisant valoir que, cette année, les organisateurs de l’épreuve et de sa caravane publicitaire avait justement décidé de réduire l’empreinte carbone et les atteintes à l’environnement : réduction des emballages publicitaires plastiques, utilisation de véhicules Skoda hybrides… Quant au machisme supposé, il déplorait le faible écho du cyclisme féminin et avait décidé la fin des bises aux vainqueurs par des hôtesses et instauré la remise des bouquets par un jeune homme et une jeune femme. Il est vrai que c’est aussi à cause de la Covid-19, mais bon…

Mais, lors de l’étape de Grenoble, au côté d’un autre maire écologiste, le même Christian Prudhomme fustigeait ceux qui avaient attaqué le « monument national » qu’est le Tour, ajoutant même que celui-ci contribuait à réduire le « communautarisme ».

Il paraît que le Tour est « le plus grand événement sportif » du monde après les Jeux olympiques et la Coupe du monde de football. Notons toutefois que, contrairement à ce qui se passe pour cette dernière, la grande majorité des spectateurs, français et étrangers, sont incapables de se rappeler le nom des vainqueurs des années précédentes, sauf les vainqueurs en série, régulièrement déclassés pour tricheries du début du XXIe siècle… Ce qui est certain, c’est que cette année comme les autres l’organisation ASO (la société qui gère ce tour-là et quelques autres) a fait défiler ses remarquables images des paysages français jusque sous les yeux des lointains téléspectateurs chinois, australiens ou même slovènes. Un savoir-faire bien rôdé et dont elle s’est fait une spécialité, souvent imitée, jamais égalée…

Cette année, tout le monde (c’est-à-dire les assez rares qui s’intéressent à la course elle-même) a été épaté par la fougue du vainqueur, le tout jeune slovène Tadej Pogačar, qui a battu sur le fil son compatriote Primož Roglič, bien que ce dernier disposait des moyens de son armada de l’équipe Jumbo-Visma, qui avait su verrouiller la course jusqu’à la montée de La Planche-des-Belles-Filles (rien à voir avec le machisme, c’est le lieu d’arrivée de l’avant-dernière étape).

J’ai moi-même été impressionné par le jeune Tadej, et, sauf preuve du contraire, je n’ai pour le moment pas de raison de penser que sa victoire est entachée par une quelconque tricherie dopante (même si j’ai lu les commentaires d’Anthony Hernandez et de Clément Martel dans Le Monde du 22 septembre sur les vitesses ascensionnelles ou les niveaux de performance de certains de la première à la dernière semaine, jugés exceptionnels…).

Certains se sont étonnés de voir des Slovènes a un tel niveau en cyclisme, car dans le passé on trouvait des Slovènes talentueux ou d’autres Slaves du sud plus dans les sports collectifs de ballon que sur les vélos de compétition… sauf que cela fait déjà quelques années que l’on trouve des coureurs originaires d’Europe centrale ou du sud-est dans l’élite professionnelle mondiale.
Bravo à Tadej, il fera peut-être une grande carrière. Ce qui n’a pas empêché d’être choqué par l’inscription figurant sur sa casquette : UAE.

UAE, pour United Arab Emirates (émirats arabes unis). Ça ne vous choque pas ?
Il fut un temps (de 1930 à 1961) où le Tour de France se courait par équipes nationales – belge, française, italienne, espagnole, etc. Puis on est revenu aux « équipes de marques », commanditées pour l’essentiel par des marques de vélos. Rapidement, aux fabricants de vélos se sont ajoutés, puis substitués, toutes sortes de « sponsors ». Ainsi s’affichent sur le bas des reins (ou le haut des fesses, c’est selon) des marques diverses, notamment de banques, de jeux de hasard, de fabricant de machines à café… Comme, en plus, ça change tout le temps, on a du mal à suivre les noms des équipes du World Tour (la première division du cyclisme gérée par l’Union cycliste internationale UCI).

Mais il n’y a pas que des vendeurs de sols stratifiés (Quick-Step), de crédits à la consommation (Cofidis), de supermarchés (Jumbo) ou d’équipementiers de cuisines (Bora) dans le cyclisme. Depuis quelques années, des États se payent des équipes. C’est le Kazakhstan qui a inauguré la tendance quand un consortium d’entrepreneurs locaux soutenu par l’Etat ont créé la formation Astana (de l’ancien nom de la capitale du pays), active depuis les années 2006-2009. Depuis, il y a eu UAE Team Emirates, qui a racheté en 2017 une équipe italienne, et Bahraïn-Merida la même année (devenue Bahraïn McLaren en 2020), une idée du prince Nasser ben Hamed Al Khalifa (par ailleurs accusé d’être un tortionnaire dans cette monarchie dictatoriale qu’est le Bahreïn) qui a monté l’équipe avec l’aide de l’ancien coureur slovène Milan Eržen. Quant à l’équipe Israël Start-up Nation, créée en 2015, par des milliardaires l’année ou le Giro est parti d’Israël comme « ambassadrice d’Israël ». Même si la grande majorité des coureurs ne sont pas israéliens, elle a accédé au World Tour en 2019 après avoir racheté l’équipe russe Katusha.

Dans ces équipes, on trouve très peu, ou pas du tout, de cyclistes des pays de référence. Par contre, elles ont les moyens de se payer quelques champions du circuit. Elles ont plus ou moins défrayé la chronique des affaires de dopages (il est vrai qu’elles ne sont pas les seules), et réussi quelques beaux résultats sportifs. Mais leur objet est ailleurs. Il s’agit de vendre la « marque » d’États qui ne sont connus ni pour leur respect du droit international, ni pour leur respect des droits civiques (concernant les Palestiniens pour Israël), ni pour leur respect des droits du travail (avec de véritables travailleurs esclaves dans les États du Golfe), ni, bien sûr, pour leur modèle en matière d’environnement, mais plutôt pour leur budget militaire ahurissant, leurs crimes de guerre ou leurs violations des résolutions onusiennes et des conventions internationales.

Des cyclistes vendent une image sympathique et pacifique, voire écolo, de ces marques-États devant les caméras du monde entier, et cela coûte beaucoup moins cher que de se payer une équipe de foot de niveau Ligue des champions…

Quel rapport avec notre Tour de France, ses valeurs de courage et de loyauté, son effet intégrateur et républicain ? On se demande ! En tout cas, Israël, Bahreïn et les Émirats roulent ensemble, à Washington (où ils viennent de signer traité) comme au Tour ou au Giro…